Maison Charonov à Taganrog: quand un riche notable engageait les meilleurs artistes de son temps
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Au début du XXe siècle, le projet de reconstruire la gare de Iaroslavl, inaugurée en 1862 sous le nom de gare de Troïtsk, fut confié à Franz Schechtel. Le nouveau bâtiment accueillit ses premiers voyageurs en 1904.
Quelques années plus tard, Evgueni Charonov, un riche avocat et marchand de grain de Taganrog, engagea l’architecte pour construire une maison qui constituerait la dot de sa fille. Il est possible que les deux hommes aient été introduits l’un à l’autre par Anton Tchekhov, enfant de Taganrog et ami de Franz Schechtel.
La construction de cette maison à un seul niveau dura de 1912 à 1915. Son remarquable état de conservation permet aujourd’hui encore d’admirer sa façade, hommage aux plus grands artistes russes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Le portail est gardé par deux têtes de lion que l’on doit à Mikhaïl Vroubel. Ils ne sont pas sans rappeler, par exemple, le masque de lion en céramique réalisé en 1891 dans les ateliers d’Abramtsevo et aujourd’hui conservé au musée Russe de Saint-Pétersbourg.
Sous la ligne du toit court une large frise de céramique. Ces panneaux ont probablement été fabriqués à l’atelier d’Abramtsevo.
Sous l’auvent en forme de kokochnik – forme caractéristique du style néo-russe – de la porte d’entrée, on peut admirer un portrait carré au-dessus de deux rangées de panneaux multicolores de fleurs. Certains y distinguent des narcisses, ce qui les pousse à conclure que la figure androgyne du portrait est Narcisse.
Les tons bruns et verts des petits carreaux de céramique au motif floral qui entourent l’auvent laissent progressivement place à un dégradé de bleu. Trois vases d’où s’échappent des plantes luxuriantes – dans l’esprit Art Nouveau – semblent posés sur le chambranle de la fenêtre rectangulaire à la droite de la porte d’entrée.
Un grand panneau de carreaux de céramique également carrés habille le pan du mur dans lequel ont été perçées deux fenêtres cintrées. Il est librement inspiré des Hôtes d’Outre-Mer, une œuvre de Nicolas Roerich, que l’on peut aujourd’hui admirer sur différents supports à la Galerie Tretiakov et au musée Russe et à la Galerie Tretriakov.
Eléments de symétrie rares sur la façade de cette maison, trois autres vases se détachent sur le fond de céramique bleue au-dessus de la deuxième fenêtre rectangulaire.
Le panneau de céramique sous le toit arrondi est celui dont le contraste de couleurs est le plus marqué : turquoise, tons allant de l’orangé au gris-brun, bleu intense des deux arcades qui sont un rappel des deux fenêtres cintrées de la partie centrale, tons gris clair se côtoient harmonieusement.
La scène représentée sur le long panneau rectangulaire est une bataille peut-être dessinée par Viktor Vasnetsov.
La citation que l’on peut y lire est extraite du poème Borivoï d’Alexis Tolstoï. On retrouve exactement le même panneau de céramique, ouvragé toutefois avec moins de soin, sur la façade de l’immeuble situé au N°1 de la rue Lebiaji à Moscou que Piotr Solodovnikov avait fait construire en 1913 pour en mettre les appartements en location. Les motifs qui encadrent le panneau central sont aussi les mêmes que ceux que l’on peut admirer sur la maison des Charonov.
Sur le tableau de céramique posé au-dessus des deux fenêtres rectangulaires, on distingue une jeune fille nue – certainement une sirène des rivières – au bord d’une étendue d’eau. Il est lui aussi réalisé dans le style Art Nouveau encore très en vogue à l’époque.
Evgueni Charonov dépensa 25 000 roubles pour la construction de ce qui reste aujourd’hui un chef-d’œuvre de l’architecture et des arts appliqués du début du XXe siècle. C’était une somme considérable : pour comparaison, dans les grandes villes de l’Empire russe, 10 kilogrammes de pain de seigle coûtaient alors un rouble. Sa famille n’habita pas longtemps cette maison. Après la Révolution d’Octobre, elle fut transformée en fabrique de soieries, puis en orphelinat, puis en hôpital pédiatrique. Pendant la Grande Guerre patriotique, la Wehrmacht en fit l’un de ses états-majors. Après la guerre, elle devint le centre de l’administration du district. En 1971, elle fut transformée en bibliothèque. Dix ans plus tard, on y ouvrit le musée de l’urbanisme et de la vie quotidienne de Taganrog que l’on peut visiter aujourd’hui.
La maison Charonov n’est pas l’unique bâtiment que Franz Schechtel contruisit à Taganrog. La ville lui doit également la bibliothèque qui porte le nom de son ami Anton Tchekhov.
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