Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie 

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Assassinat de Paul Ier dans la nuit du 11 au 12 mars 1801, Sergueï Tchoudanov
Sergueï Tchoudanov
Au XVIIIe siècle, la Garde impériale russe n’était pas sans faire penser à la garde prétorienne romaine. Elle décida souvent qui occuperait le trône de Russie et pour combien de temps.

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Le XVIIIe siècle russe est souvent qualifié « siècle des coups d’État ». Différents groupes politiques se disputaient le pouvoir et parvenaient à renverser du trône un souverain pour y placer un autre.

La Garde impériale, le corps d’élite de l’armée russe, prêtait souvent main forte à l’un ou l’autre de ces groupes. Ses soldats, qui bénéficiaient de privilèges, servaient à la cour impériale, protégeaient les personnages les plus importants de l’Empire et étaient bien informés de ce qui se passait au sommet de l’État.

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Soldat, sergent et officier du régiment Preobrajenski
Adolf Jossifowitsch Charlemagne

Les soldats de la Garde impériale comprirent rapidement le rôle qu’ils pouvaient jouer dans ces luttes de pouvoir. Le succès ou l’échec d’un coup d’État dépendaient du parti qu’ils prenaient.

Ils exigeaient de ceux qu’ils avaient portés au pouvoir de nombreux avantages et privilèges. Si un souverain ignorait les intérêts de la Garde impériale, cela pouvait lui coûter son trône, voire la vie.

Premières armes en politique de la Garde impériale

La Garde impériale intervint pour la première fois dans la vie politique de la Russie en 1725. À sa mort, l’empereur Pierre Ier (1682-1725) n’avait plus d’héritier mâle. Dans son testament, il ne s’était désigné aucun successeur.

Deux groupes s’affrontèrent alors pour le trône resté vacant à la mort de Pierre : les partisans de Pierre Alexeïévitch (1715-1730), son petit-fils, d’une part, et ceux de Catherine Alexeïevna, sa seconde épouse et veuve.

Soutien de Catherine, le prince Alexandre Menchikov (1673-1829) fit preuve de résolution et d’habileté. Il sut convaincre les régiments Preobrajenski et Semionov de la Garde impériale de se ranger du côté de Catherine.

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Catherine Ire par Nattier, 1717
Ermitage

« Alors que les sénateurs discutaient au palais la question de la succession au trône, dans un coin de la salle où ils se trouvaient apparurent des officiers de la Garde [...] Ils ne prirent pas part aux débats entre sénateurs. Mais, tel le chœur des tragédies antiques, avec une franchise pénétrante, ils donnèrent leur avis, menaçant de briser le crâne des vieux boyards qui refuseraient de voir monter Catherine sur le trône », résumait le grand historien russe Vassili Klioutchevski (1841-1911). 

Catherine Alexeïevna fut couronnée impératrice et Alexandre Menchikov exerça le pouvoir réel. À la mort de Catherine Ière en 1727, il fut exilé en Sibérie où il mourut.

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Pour la monarchie absolue

En janvier 1730, le petit-fils de Pierre le Grand Pierre Alexeïévitch, monté sur le trône avec le nom de Pierre II, mourut de la variole. Éclata alors une nouvelle crise dynastique. De facto, le pouvoir fut assuré par le Haut conseil secret où siégeaient des représentants des plus grandes familles princières.

Ses membres décidèrent de profiter du moment pour limiter de jure le pouvoir absolu du monarque. Ils proposèrent le trône à la duchesse Anna (1693-1740), l’une des nièces de Pierre le Grand, sous réserve qu’elle signe un document appelé Les Conditions (Кондиции) l’obligeant à gouverner en bonne entente avec le Haut conseil secret.

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Anna Ivanovna déchirant les Conditions
Domaine public

La Garde impériale, dans laquelle servait de nombreux représentants de la noblesse, ne vit dans ce document aucun avantage pour elle. Elle considéra au contraire que soutenir la future impératrice pourrait lui être beaucoup plus profitable, tant en termes d’honneurs que de privilèges.

Le 8 mars (nouveau style) 1730, Anna Ivanovna rencontra au Kremlin de Moscou les membres du Haut conseil privé. Étaient également présents d’autres nobles et des officiers de la Garde impériale. Ces derniers s’opposèrent à ce que la duchesse signe Les Conditions et exigèrent que la future impératrice soit «un monarque absolu comme ses prédécesseurs.

Ambassadeur de la couronne espagnole en Russie de 1726 à 1730, James Francis Fitz-James Stuart (1696-1738) se souvenait : « Ils tombèrent tous à ses pieds et dirent : "Nous, fidèles sujets de Sa Majesté, avons fidèlement servi Ses prédécesseurs et sacrifierons nos vie au service de Sa Majesté. Nous ne tolérerons aucune tyrannie à Son égard. Ordonnez-le-nous, Votre Majesté, et nous déposerons les têtes des tyrans à Vos pieds !" » 

Assurée d’un tel soutien, Anna Ivanovna déchira alors Les Conditions dans d’un geste théâtral.

Pas de favori au pouvoir

Dix ans plus tard, les officiers de la Garde impériale intervinrent une nouvelle fois dans la vie politique de l’empire. En octobre 1740, après la mort d’Anna Ivanovna, le trône échut à l’un de ses petits-neveux, Ivan VI (1740-1764), alors âgé de deux mois. La régence fut confiée au favori de la défunte impératrice, le duc Ernst Johann von Biron (1690-1772).

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Valeri Jacobi, Arrestation du régent Biron, duc de Courlande. 1870
Domaine public

Il n’eut pas le temps de s’habituer à son rôle. En novembre 1740, à la tête d’une centaine de soldats de la garde, le feldmaréchal Burkhard Christoph von Münnich (1683-1767) fit irruption dans ses appartements et le fit mettre aux arrêts.

Anna Leopoldovna (1718-1746), la mère de l’empereur, fut alors désignée régente. Elle ne parvint à se maintenir dans cette fonction qu’un peu plus d’un an.  

Soutien à la fille de Pierre le Grand

Anna Leopoldovna fut renversée par Élisabeth (1709-1761), la fille cadette de Pierre Ier et de Catherine Ire, qui avait gagné la confiance de la Garde impériale.

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Des soldats du régiment Préobrajenski proclamant Élisabeth Petrovna impératrice, début du XXe siècle
Eugène Lanceray/Domaine Public

Ses officiers nourrissaient nombre de griefs contre la régente d’Ivan VI. Elle distribuait les grades selon son bon vouloir. Elle avait imposé un système d’apprentissage militaire à la prussienne et un renforcement de la discipline de corps. La goutte d’eau qui fit déborder le vase de leur patience fut l’envoi de régiment de la Garde à la guerre contre la Suède.

Lorsqu’elle était en train de mûrir son projet de coup d’État, Élisabeth chercha à s’assurer du soutien du régiment Preobrajenski de la Garde. Elle le reçut immédiatement. Le 6 décembre (nouveau style) 1741, la future impératrice prit la tête des soldats qu’elle conduisit dans le palais d’Hiver où ils arrêtèrent Anna Leopoldovna et son enfant.

Destitution de Pierre III

Pierre III (1728-1762), le successeur d’Élisabeth, suscitait l’irritation des membres de la Garde impériale. Il les obligeait à porter un uniforme à la mode prussienne (plus court et plus cintré que le russe), il arrêta la guerre que la Russie menait avec succès contre Frédéric II de Prusse (1712-1786) qu’il ne cessait d’encenser.

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Catherine II sur le balcon du palais d’Hiver le jour du coup d'État.
Domaine public

Pierre III décida aussi de déclarer la guerre au Danemark, allié de la Russie, dans l’espoir de récupérer ses terres patrimoniales du Schleswig. L’empereur de Russie était aussi duc de Holstein-Gottorp.

Les officiers des régiments Preobrajenski et Izmaïlovksi tinrent un rôle considérable dans le coup d’État qui permit à Sophie Frédérique Augusta d’Anhalt-Zerbst, la future Catherine II, d’évincer son mari Pierre III du trône de Russie pour y prendre sa place.

Le 9 juillet (nouveau style) 1762, Piotr Passek, capitaine du régiment Preobrajenski, fut arrêté pour paroles irrespectueuses à l’endroit du souverain. Il connaissait tous les détails de l’opération en préparation. Les conjurés n’avaient plus d’autre choix que d’en précipiter la réalisation.

Le jour même, les régiments de la Garde prêtèrent serment à Catherine. Presque tous les fonctionnaires et militaires de haut rang firent de même. Privé de tout soutien, Pierre III abdiqua.

Le 17 juillet (nouveau style), l’empereur destitué mourut dans des conditions troubles.

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Assassinat de Paul Ier

Le dernier coup d’État dans lequel la Garde impériale tint un rôle significatif fut celui au cours duquel fut assassiné l’empereur Paul Ier (1754-1801). Comme son père Pierre III, il s’était attiré la colère de la Garde impériale.

Le rôle de la Garde impériale dans les coups d’État du XVIIIe siècle en Russie  Assassinat de Paul Ier par J. Kuyper (1761-1808)
Domaine public

Connaissant le rôle qu’elle avait joué dans les différents coups d’État du XVIIIe siècle, Paul Ier chercha à réduire son influence à la cour : il imposa un renforcement de la discipline, introduisit de nouveaux règlements, autorisa les châtiments corporels. « À celui à qui beaucoup est donné, on demande beaucoup », aimait à répéter l’empereur.

« Les soldats de la Garde furent humiliés par l’attitude qu’avait Paul à l’égard de leurs commandants et de leurs officiers. Il était capable de dégrader n’importe lequel d’entre eux. Il fit donner mille coups de bâton à un capitaine d’état-major qui avait manqué de respect à l’ordre de Sainte-Anne. Or l’une des favorites de Paul s’appelait justement Anne », raconte l’historien Mikhaïl Miagkov. 

Si elle ne fut pas à l’initiative du complot contre l’empereur, la Garde impériale y prit activement part. Parmi les conjurés, on comptait les commandants de ses quatre régiments et nombre d’officiers.

Paul Ier fut assassiné au palais Michel dans la nuit du 23 au 24 mars (nouveau style) 1801. Son fils Alexandre (1777-1825) lui succéda au trône de Russie.

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À l’exposition L’Héritage de Pierre le Grand et les Coups d’État dans l’Empire russe qui se tient du 15 novembre 2024 au 23 février 2025, les Musées du Kremlin proposent à leurs visiteurs de découvrir de nombreux objets ayant appartenu aux acteurs de ces coups d’État.

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