Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre?

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre?
Russia Beyond (Photo: Anatoli Garanine/Sputnik; Ullstein bild/Getty Images)
Après la Seconde Guerre mondiale, les prix des biens de consommation et des produits alimentaires ont été abaissés six fois en URSS. Comment les autorités ont-elles réussi à faire cela?

Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Il n’y a presque plus de survivants en Russie qui se souviennent des baisses de prix staliniennes et de l’incroyable élan d’optimisme de la population qui a accompagné ces miracles. En effet, alors que l’ensemble du monde capitaliste était habitué à vivre avec des prix toujours plus élevés et les considérait comme des signes de croissance économique, l’URSS, avec son économie planifiée, prétendait avoir atteint une croissance de la prospérité non seulement lorsque les prix n’augmentaient pas, mais aussi lorsqu’ils baissaient. S’agissait-il d’une astuce de propagande ou d’un véritable miracle économique ?

La vie par tickets de rationnement

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre? Ticket de rationnement soviétiques, années 1930
Domaine public

En 1929, le dirigeant de l’URSS, Joseph Staline, déclarait : « Nous n’avons pas de libre jeu des prix sur le marché, comme c’est généralement le cas dans les pays capitalistes. Nous déterminons principalement le prix du pain. Nous déterminons les prix des produits industriels. Nous essayons de poursuivre une politique de réduction des coûts de production et de baisse des prix des produits industriels, en nous efforçant de maintenir stables les prix des denrées agricoles ».

Au début des années 1930, Staline préconisait l’abolition des tickets de rationnement en vigueur à l’époque. Leur prix était élevé et ils servaient d’étalon pour les paysans qui vendaient leurs produits sur les marchés. L’annulation des tickets en 1935 a donc entraîné une baisse temporaire des prix, mais pendant les années de guerre, le pays est revenu au système de distribution de denrées alimentaires et de produits manufacturés en échange de bons. Ce système est resté en vigueur jusqu’en 1947.

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre? Affiche de propagande: "À qui vont les revenus nationaux ? En URSS – aux travailleurs. Dans les pays capitalistes, la majorité va aux exploiteurs."
Domaine public

Cette année-là, plus d’un tiers de la population de l’URSS (62,8 millions de personnes) était approvisionnée en pain par l’État. Le système des tickets était dominant, mais il existait également un marché libre. Il y avait donc un niveau de prix fixé par l’État sur les tickets et des prix commerciaux. À un moment donné, les autorités ont décidé qu’il était temps d’abandonner les bons et de fixer des prix uniformes.

La réforme monétaire de 1947 contre les spéculateurs

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre? Échange de monnaie lors de la réforme monnétaire
историческая-самара.рф

À cette époque, tant les villageois qui vendaient leurs produits au marché que les spéculateurs avaient accumulé des surplus d’argent. Selon les données de 1943-1944, la part des revenus provenant de « l’échange de biens et de services entre groupes de population » dans le revenu total de la population était de 56%. L’État s’est ainsi rendu compte qu’une certaine partie de la population avait accumulé des sommes considérables et que cette tranche aisée de la population n’était pas la « majorité laborieuse » dont le bien-être préoccupait l’État. Les autorités ont donc réfléchi à un moyen de réduire, au détriment de l’épargne de certains, le coût de la vie pour les autres.

En décembre 1947, une réforme monétaire a débuté simultanément à l’annulation des tickets, au passage à l’uniformisation des prix et à l’émission d’une nouvelle monnaie. L’État a en effet alors émis un nouveau rouble, qui s’échangeait au taux de 1 nouveau contre 10 anciens.

Les dépôts dans les caisses d’épargne jusqu’à 3 000 roubles, détenus par plus de 80% des citoyens, ont été échangés à parts égales : pour une épargne supérieure à 3 000 roubles et inférieure à 10 000, trois anciens roubles ont été échangés contre deux nouveaux, et pour un montant supérieur à 10 000 roubles : un nouveau contre deux roubles anciens. Ce sont donc les citoyens aisés qui ont le plus souffert.

« Afin de réduire les inévitables émotions négatives des citoyens soviétiques liées à la perte d’une partie de leurs économies, l’échange de monnaie a été précédé par l’annulation des tickets de rationnement et une réduction massive des prix de détail », a conclu l’équipe d’auteurs de la monographie La réforme monétaire de 1947 et son rôle dans la restauration de l’économie nationale de l’URSS (éditée par R. Noureïev, M. Exindarov, Moscou, Maison d’édition KNORUS, 2019).

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre? Confiserie à Moscou en 1949
Anatoli Garanine/Sputnik

Après l’annulation des bons, des prix uniformes ont été établis pour les marchandises – une moyenne entre les prix étatiques et les prix commerciaux. Les prix du pain, de la farine, des céréales et des pâtes ont été réduits de 10 à 12% (par rapport aux prix étatiques), car ils étaient importants pour la population. En revanche, le prix de nombreux autres produits étaient plus élevés qu’auparavant. Par conséquent, à l’exception d’un groupe limité de denrées alimentaires, les prix des produits alimentaires et industriels dans les magasins sont restés élevés et supérieurs aux prix d’avant-guerre.

Cependant, des biens industriels étaient laissés à l’abandon dans les entrepôts. Pour changer la situation, en avril 1948, le gouvernement a réduit les prix de 10 à 20% sur les voitures, les motos, les machines à coudre, les montres, les lecteurs de musique et d’autres biens.

Toutefois, même après cette réduction en termes monétaires, les prix sont restés élevés pour les gens ordinaires, si bien qu’ils ont été à nouveau réduits en mars 1949. À partir de là, les prix ont été réduits chaque printemps, la dernière réduction ayant eu lieu au printemps 1953, après la mort de Staline. Selon les années, les réductions de prix ont concerné différents groupes de marchandises. Par exemple, en avril 1953, les prix des fruits et légumes ont été divisés par deux, ceux de la viande par 15% et ceux des produits industriels par 5 à 30%, ce qui était très perceptible pour les citoyens ordinaires.

Cette baisse des prix était-elle un « miracle économique » ?

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre? Une du journal Pravda
Pravda

Les journaux soviétiques ont consacré des pages entières aux réductions de prix, expliquant aux citoyens la prospérité économique et la disponibilité de divers produits. Le 2 avril 1953, un éditorial de la Pravda était consacré à la sixième réduction des prix : « La présente réduction des prix, comme toutes les précédentes, est le résultat des succès remportés par notre peuple sous la direction du Parti dans le développement de la production industrielle et agricole, le résultat d’une augmentation systématique de la productivité du travail et d’une réduction des coûts de production. Le peuple soviétique a un intérêt direct à l’augmentation de la productivité du travail, car il sait qu’elle renforce la puissance économique de l’URSS et améliore le niveau de vie des travailleurs ».

En effet, l’une des raisons de cette déflation pluriannuelle est la reprise industrielle d’après-guerre, l’augmentation de la production et la réduction du coût des marchandises, obtenue grâce aux travailleurs soviétiques. À l’époque, le pays disposait d’un système de primes pour les employés et les équipes en cas de performances élevées et de réduction des coûts de production.

Entre 1940 et 1953, la productivité du travail a ainsi été multipliée par 1,7 dans l’industrie et par 1,5 dans la construction. Le coût des marchandises étant en baisse, il semblait logique de réduire les prix.

Cependant, selon Iakov Mirkine, docteur en sciences économiques, la principale raison de cette réduction était le gonflement des prix d’avant-guerre, ainsi que le retrait de l’argent de la population lors de l’échange des anciens roubles contre les nouveaux, y compris par des conditions défavorables pour l’échange de roubles lors de la clôture des dépôts.

Pourquoi le prix des aliments a-t-il été baissé six fois de suite en URSS après la guerre? Illustration de journal sur la baisse des prix
Photographie d'archives

« La population est sortie de la réforme monétaire avec des prix d’État uniformes, qui étaient 2,56 fois plus élevés que les prix d’avant-guerre, et avec la liquidation de plus de 90% de l’épargne en espèces, de 16% des dépôts et de plus de 60% de l’épargne sous forme d’obligations », explique Mirkine.

De plus, comme il le fait remarquer, la croissance des revenus réels à cette époque a été trois fois supérieure à celle de l’industrie, contrairement aux lois de l’économie. Cependant, après la réforme monétaire en sa faveur, le gouvernement a eu la possibilité d’augmenter la croissance des revenus « par le haut » grâce à des augmentations de salaires ou à des réductions directes des prix de détail. Nikita Khrouchtchev, qui a succédé à Staline au pouvoir en 1953, a lancé de nouvelles réformes économiques et mis un terme à la pratique stalinienne des baisses de prix.

Dans cet autre article, découvrez comment l’on faisait du business au pays des Soviets.

<