«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale L’entrée des troupes russes à Samarcande, le 8 juin 1868
Nikolaï Karazine/Domaine public
Londres craignait sérieusement que les Russes ne parviennent à atteindre les territoires placés sous sa domination en Inde. De son côté, la Russie a alimenté ces craintes par tous les moyens afin de maintenir les Britanniques dans un état de tension constante.

Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale L'empereur Paul Ier et sa suite. Constantin Ossokine, 1835
Musée historique

L’Empire britannique a toujours jalousement veillé sur la principale source de sa richesse et de sa puissance : l’Inde. Tout menace contre cette « perle de la couronne » émanant de l’une des puissances européennes suscitait une réponse immédiate de Londres.

Dans cette logique, les Britanniques ont « tué dans l’œuf » la tentative de l’empereur russe Paul Ier et de Napoléon d’entreprendre une campagne commune en Inde en 1801. Paul a été assassiné à la suite d’un complot que la Grande-Bretagne a activement contribué à ourdir.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Des Cosaques, Constantin Filippov, 1851
Domaine public

Au cours des conflits russo-perses qui ont émaillé la première moitié du XIXe siècle, la Grande-Bretagne était invariablement du côté de Téhéran : elle lui apportait un soutien financier et envoyait ses conseillers militaires dans l’armée du shah, s’occupant de l’équipement et de la formation de cette dernière. Cependant, la Russie est sortie victorieuse des guerres de 1804-1813 et 1826-1828, ce qui lui a permis d’établir sa domination sur d’importants territoires dans le Caucase.

Lire aussi : Comment la Russie a aidé l’Iran à créer ses troupes cosaques 

Dans les années 1830, les Russes ont commencé à prendre activement pied sur la rive orientale de la mer Caspienne et tenté de s’enfoncer plus profondément en Asie centrale, entreprenant une campagne infructueuse contre le khanat de Khiva en 1839-1840. Tous ces événements ne sont pas passés inaperçus à Londres.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Ghazni, 1839
Lieutenant James Rattray / La British Library

« Tôt ou tard, le Cosaque et le Cipaye, l’homme de la Baltique et lui des îles britanniques se rencontreront au centre de l’Asie », affirmait le ministre britannique des Affaires étrangères Henry John Temple,3evicomte Palmerston, en 1840. « Il nous incombe de veiller à ce que cette rencontre se déroule aussi loin de nos possessions indiennes que ce sera commode pour nous. » 

À cette époque, les Britanniques menaient déjà une guerre éreintante contre l’Afghanistan, qui s’est finalement soldée par un échec. L’un des déclencheurs de leur invasion était l’initiative de l’émir Dost Mohammad Khan d’établir une coopération à long terme avec Saint-Pétersbourg.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Le dernier carré du 44e régiment d'infanterie d’Essex à Gandamak. William Barnes Wollen, 1989
Domaine public

De la sorte, les deux empires se sont retrouvés entraînés dans une rivalité géopolitique à grandeéchelle pour l’Asie centrale, tentant de s’évincer mutuellement de la région sans entrer dans un conflit armé ouvert. Intrigues diplomatiques, espionnage, corruption des dirigeants locaux visant à les retourner contre l’adversaire... tous les moyens étaient mis en œuvre.

Le capitaine du 6e régiment de cavalerie légère du Bengale de la Compagnie des Indes orientales, Arthur Conolly, a qualifié cet affrontement de « Grand Jeu », un nom qui resterait par la suite. Il est à noter que Conolly lui-même a été victime de ce « jeu » - le 17 juin 1842, il a été accusé d’espionnage sur le territoire de l’émirat de Boukhara puis décapité.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale L’entrée des troupes russes à Samarcande, le 8 juin 1868, Nikolaï Karazine, 1988
Domaine public

En Russie, différents plans d’invasion de l’Inde britannique ont été élaborés, mais dans l’ensemble, l’idée de conquérir des colonies ne faisait pas l’unanimité. Dans le même temps, à Saint-Pétersbourg, on pensait que l’existence même d’une telle menace contraindrait Londres à se trouver dans un état de tension constante.

« Afin d’être en paix avec l’Angleterre et de la forcer à respecter la voix de la Russie, tout en évitant une rupture avec nous, il est nécessaire de sortir les hommes d’État anglais de leur agréable illusion de sécurité concernant leurs possessions indiennes, l’impossibilité [pour] la Russie de recourir à des actions offensives contre l’Angleterre, notre manque d’initiative et le caractère suffisant à nos yeux des routes à travers l’Asie centrale », écrivait le général Nikolaï Ignatiev en 1863. 

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Gandamak, mai 1879
John Burke / La British Library

En 1868, l’Empire russe a considérablement renforcé ses positions en Asie centrale via la création d’un protectorat sur le khanat de Kokand et l’émirat de Boukhara. Il a en fait atteint la frontière avec l’Afghanistan, où les Britanniques ne comptaient pas laisser entrer les Russes.

Londres a sabordé toute tentative d’établir une quelconque alliance entre la Russie et l’émirat d’Afghanistan. Ainsi, peu après la visite à Kaboul en 1877 de la mission diplomatique du général Nikolaï Stoletov, la seconde guerre anglo-afghane a éclaté. À la suite de ce conflit, les Afghans ont perdu un certain nombre de territoires et une partie de leur souveraineté.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Combat sur la Kouchka, François Roubaud
Domaine public

En 1885, la guerre « froide » anglo-russe a failli devenir chaude. Le conflit se déroulait autour de l’oasis de Panjdeh (la ville actuelle de Serhetabat, au Turkménistan), que la Russie et l’Afghanistan, sous protectorat britannique, ne parvenaient pas à se partager.

Le 30 mars, une bataille acharnée a eu lieu à la frontière sur la rivière Kouchk entre les troupes russes et afghanes. Ces dernières ont été complètement vaincues. Des appels à la guerre ont commencé à retentir à Londres, mais le conflit a finalement été évité – le Panjdeh est revenu à la Russie et le tsar Alexandre III a fourni des garanties qu’à l’avenir, il n’empiéterait pas sur l’intégrité territoriale de l’Afghanistan.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Le Petit Journal daté du 20 novembre 1904 Couverture illustrant la fuite du 13e Dalaï Lama de l’invasion britannique
Domaine public

Dans les années 1890, les empires se sont opposés autour du massif du Pamir. Les deux camps ont envoyé des contingents militaires dans la région, mais l’affrontement armé a finalement été évité. Le Pamir a été divisé entre l’Afghanistan, la Russie et l’émirat de Boukhara soumis à cette dernière.

Lire aussi : Les guerres les plus terribles ayant opposé la Russie et la Grande-Bretagne 

Au début du XXe siècle, le Tibet a à son tour attisé les rivalités. La confrontation a conduit à une invasion militaire de la région par les troupes britanniques en 1903-1904 et la conclusion du traité de Lhassa. Selon l’une de ses conditions, le Tibet ne pouvait plus autoriser les représentants d’une autre puissance à opérer sur son territoire sans le consentement des Britanniques.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Habitants du Tibet occidental, Vassili Verechtchaguine 1874 - 1876
Galerie Tretiakov

Tandis que la Russie et la Grande-Bretagne étaient prises dans leur Grand Jeu en Asie, l’Empire allemand montait rapidement en puissance en Europe. En fin de compte, le danger qu’il représentait est devenu évident tant à Londres qu’à Saint-Pétersbourg.

En 1907, les parties ont conclu une convention destinée à résoudre toutes les questions épineuses dans leurs relations. Les puissances ont reconnu les droits de l’empire Qing sur le Tibet et accepté de ne pas s’immiscer dans ses affaires intérieures.

«Grand Jeu»: comment Russie et Grande-Bretagne ont lutté pour l’Asie centrale Affiche russe de 1914
Domaine public

La Perse a été divisée en zones d’influence. La Grande-Bretagne s’est engagée à respecter les intérêts russes dans le nord du pays, tandis que la Russie a reconnu la domination de Londres sur le sud-est. Une zone neutre dans laquelle les deux parties bénéficiaient de droits commerciaux et économiques égaux a en outre vu le jour.

La Russie a reconnu le protectorat britannique sur l’Afghanistan et obtenu le droit d’établir des liens économiques et culturels (mais pas politiques) avec l’émirat. Dans l’ensemble, les parties ont tacitement convenu de considérer ce pays asiatique comme un tampon entre l’Inde britannique et les territoires sous contrôle russe d’Asie centrale.

Le Grand Jeu était terminé. Les opposants d’hier sont devenus alliés, et se sont concentrés sur le renforcement d’un bloc militaro-politique généralement connu sous le nom d’Entente.

Dans cette publication découvrez l'Orient et l'Asie vus par les peintres russes.

Chers lecteurs,

Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :

Vous abonner à notre canal Telegram

Vous abonner à notre newsletter hebdomadaire par courriel

Activer les notifications sur notre site web

<