Hareng sous son manteau de fourrure: histoire d’une salade festive

Legion Media
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Le hareng sous son manteau de fourrure, au même titre que le kholodets (aspic), la salade Olivier et les mandarines, est devenu à l’époque soviétique l’un des symboles des repas de fête. Or, des salades similaires étaient préparées en Russie et dans d’autres pays bien avant cela.

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Salades à base de hareng dans la cuisine allemande et scandinave

Au XIXe siècle, des salades similaires à la salade du hareng sous son manteau de fourrure ont gagné en popularité en Allemagne, en Norvège, au Danemark et dans d’autres pays européens. Ce poisson était l’un des moins chers, même les paysans et les artisans pauvres pouvaient se le permettre. Le hareng était accompagné de légumes cultivés dans le potager familial, ce qui donnait un plat simple, copieux et abordable.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les salades à base de hareng sont également devenues populaires en Russie. Elles contenaient presque les mêmes ingrédients qu’aujourd’hui : du poisson, des pommes de terre bouillies, des carottes et des betteraves.

« La truite de couronnement de Gatchina sous son manteau de fourrure »

Musée de l'Ermitage Couronnement de l'empereur Alexandre III et de l'impératrice Maria Fiodorovna le 27 mai 1883, fragment, par Georges Becker
Musée de l'Ermitage

Selon l’une des versions, le prototype de la salade du hareng sous son manteau de fourrure moderne serait un hors-d’œuvre froid à base de poisson, inventé par le chef du restaurant moscovite Rossiya. En 1883, il participa à la préparation d’un dîner de gala organisé dans le Palais à Facettes pour célébrer le couronnement d’Alexandre III et de l’impératrice Maria Fiodorovna. Le chef décida alors de servir un plat spécial : il disposa des légumes, notamment des betteraves et des navets, en couches sur des morceaux de truite, puis les garnit d’une sauce provençale aux anchois. Les betteraves et les navets symbolisaient les couleurs des vêtements d’apparat impériaux, tandis que la sauce blanche parsemée de taches sombres rappelait la bordure d’hermine de la mantille tsariste.

Bibliothèque nationale de Russie Menu du déjeuner au Palais à Facettes du Krmelin de Moscou pour le couronnement d'Alexandre III et Maria Fiodorovna
Bibliothèque nationale de Russie

Le plat fut baptisé « Truite de couronnement de Gatchina sous son manteau de fourrure ». Cependant, ce nom s’avéra mal choisi, car il ressemblait à une moquerie à l’égard de l’impératrice : ce jour-là, elle portait une robe ornée d’hermine. À l’époque, la truite était importée du Danemark, pays natal de Maria Fiodorovna, tandis que le couple impérial prévoyait de s’installer à Gatchina, près de Saint-Pétersbourg. Au final, le nom du plat ressemblait donc à un calembour politique.

Musée de l'Ermitage Table impériale de déjeuner au Palais à Facettes le 15 (27) mai 1883, par Constantin Makovski
Musée de l'Ermitage

Après le dîner, Alexandre III s’entretint personnellement avec le cuisinier et s’assura que celui-ci avait préparé l’entrée sans mauvaise intention et ne méritait donc pas de punition sévère. Néanmoins, l’empereur ordonna de retirer la truite de la recette. Pendant longtemps, les anchois furent par conséquent les seuls poissons à figurer dans ce plat. C’est d’ailleurs sous cette forme qu’il fut inscrit au menu du restaurant Rossiya sous le nom de « Chouba » (Manteau de fourrure). Toutefois, peu après, la salade fut adaptée aux goûts habituels des Moscovites : les anchois et les navets furent retirés, mais du hareng légèrement salé fut ajouté.

« Au chauvinisme et à la décadence — boycott et anathème ! »

Fred Grinberg/Sputnik
Fred Grinberg/Sputnik

Une autre version raconte que le hareng sous son manteau de fourrure aurait été inventé en 1919 par Anastas Bogomilov, marchand et restaurateur moscovite. Les clients de son établissement discutaient souvent de la situation politique instable, des querelles éclataient régulièrement en raison de divergences d’opinions, et cela dégénérait souvent en bagarres, en casse de vaisselle et en dégradation du mobilier de l’auberge. C’est pourquoi Bogomilov aurait imaginé un hors-d’œuvre « fédérateur », dont les ingrédients symbolisaient les différentes couches de la nouvelle société soviétique : le hareng bon marché représentait le prolétariat ; l’oignon, la pomme de terre et la carotte représentaient les paysans ; la betterave représentait les soldats de l’Armée rouge ; et la mayonnaise, qui gagnait en popularité à l’époque, représentait la bourgeoisie.

Bogomilov aurait alors également donné à cette salade le nom de « CHOUBA », abréviation de « Au chauvinisme et à la décadence - boycott et anathème ! ». Ce plat copieux convenait bien comme accompagnement pour les boissons alcoolisées et, grâce à lui, les clients ne s’enivraient pas aussi vite, et les querelles et les bagarres dans les tavernes se seraient considérablement réduites.

Mikhaïl Savine/MAMM/MDF Célébration du Nouvel An 1947 dans un appartement moscovite
Mikhaïl Savine/MAMM/MDF

Selon la légende, Anastas Bogomilov aurait présenté ce plat pour la première fois juste avant le Nouvel An. Depuis lors, il est devenu l’un des principaux symboles de la table soviétique de cet événement.

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