
Que montre Stanisław Chlebowski sur son tableau Le Tsar Pierre Ier et sa Cour?

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En 1718, le tsar Pierre Ier signa un décret concernant la tenue d’« assemblées ». Il fallait comprendre ce mot français au sens où « plusieurs personnes se retrouvent pour se divertir, ou pour délibérer de questions importantes ou pour converser ». Ces assemblées devaient se tenir trois fois par semaine, de cinq à dix heures du soir. Les participants devaient y venir habillés à la mode européenne.
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Nouvelle place accordée aux femmes
Pierre Ier rendit obligatoire la présence des femmes à ces assemblées. Cette décision était totalement incongrue pour l’époque. En effet, il était encore d’usage que les jeunes femmes et les femmes mariées de l’aristocratie passent presque tout leur temps chez elles. Elles sortaient uniquement pour aller à l’église. Leurs seuls divertissements étaient les histoires et les ragots colportés par les nourrices, les bouffons, les domestiques et les vieilles dévotes.
Le tsar se montra intraitable sur cette question : ces assemblées devaient être l’occasion pour les jeunes gens de faire connaissance en vue de contracter des mariages. La majorité d’entre eux ne savaient pas encore et n’aimaient pas exécuter les figures du menuet, de la contredanse ou de la polonaise sur des musiques venues de l’étranger. Mais, Pierre Ier leur montrait lui-même l’exemple. Il punissait ceux qui butaient et tombaient en les forçant à boire une grande coupe de vin.
Lors des premières assemblées, les jeunes gens se séparaient après avoir dansé. Les femmes s’isolaient entre elles dans une pièce, les hommes faisaient de même dans une autre. Aucune conversation n’était alors possible. Certains membres de la cour se plaignaient même que, lors de ces réunions, « tous restent assis, muets et se regardent en chiens de faïence ».
Après les danses était servi un souper ou un dîner froid. À dix heures, on annonçait où se tiendrait l’assemblée suivante et les jeunes gens rentraient chez eux. Avec le temps, lorsque l’on s’habitua aux danses et aux vêtements européens, ces assemblées se transformèrent en bals.
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Interdiction des caftans
Ces assemblées étaient ouvertes à tous, sauf aux domestiques et aux paysans. Le maître de maison n’avait pas l’obligation d’accueillir lui-même ses hôtes, même s’il s’agissait du tsar. Cette règle était censée donner un caractère informel aux réceptions. Habituellement, les invités dansaient dans une salle, jouaient aux échecs ou aux dames dans une autre, conversaient dans une troisième où les hommes pouvaient fumer la pipe. Si la maison n’était pas très grande, tout se passait dans la même pièce.
Sur sa toile, Stanisław Chlebowski illustre tous les codes de ces assemblées. Les hôtes sont habillés à la dernière mode européenne. Hommes et femmes portent des perruques. Les domestiques s’affairent. Pierre Ier joue aux échecs et vient de se détourner de l’échiquier. Dans l’embrasure de la porte, on voit des hôtes danser dans la pièce voisine.

Presque tous les invités prêtent attention à un homme barbu, imposant, vêtu d’un caftan de prix. Or, à cette époque déjà, Pierre Ier avait interdit aux nobles, sous peine d’amendes, le port de la barbe et de tenues non européennes. D’un geste de la main, cet homme refuse la grande coupe de vin qu’il doit boire pour avoir enfreint les volontés du souverain.

Un scandale est sur le point d’éclater ! Les hôtes ne cachent pas leur étonnement et murmurent entre eux. Certains fixent Pierre Ier et attendent sa réaction. Sa femme Catherine en robe blanche et l’une de leurs filles observent la scène avec attention.

En 1858, cette toile valut à Stanisław Chlebowski la petite médaille d’or de l’Académie Impériale des Beaux-Arts. En 1940, elle rejoignit les collections du Musée Russe où elle se trouve jusqu’à aujourd’hui.
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