Pourquoi toutes les jeunes filles russes rêvaient-elles d’être dames de compagnie des impératrices?

Musée russe
Musée russe
Derrière la façade dorée de la vie à la cour de Saint-Pétersbourg, les dames de compagnie des impératrices et de leurs filles choisies parmi les jeunes nobles étaient soumises à une discipline spartiate.

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Les tsarines avaient une cohorte d’aides et de servantes bien avant l’apparition de l’institution des dames de compagnie. Si elles n’étaient ni jeunes, ni célibataires, les femmes qui remplissaient alors ces fonctions étaient déjà nobles : c’étaient généralement les femmes des boyards. Elles gouvernaient les pièces du terem réservées aux femmes, administraient la cassette de la tsarine, commandaient ses vêtements, ses draps et tout ce dont elle avait besoin pour ses travaux d’aiguille. Pour leur travail, elles touchaient beaucoup plus que la domesticité masculine.

La fonction de dame de compagnie (фрейлинa, mot emprunté à l’allemand Fräulein) fut officiellement instaurée par Pierre Ier durant le premier quart du XVIIIe siècle. Seules les jeunes filles encore non mariées issues de la noblesse pouvaient y prétendre.

Musée russe Catherine II
Musée russe

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Dans la Table des Rangs (Табель о рангах) instituée par Pierre Ier en 1722, on trouve cinq rangs exclusivement réservés aux femmes. Dans le courant du XVIIIe siècle s’établit la hiérarchie suivante : Ober-Hofmeisterin (littéralement, grande-maîtresse de la cour), Hofmeisterin (maîtresse de la cour), Statsdame (dame de la cour), Kammer-Fräulein (demoiselle de la chambre) et Fräulein (demoiselle d’honneur). Sous Nicolas Ier, les émoluments d’une demoiselle d’honneur était de 600 roubles par an, ceux d’une dame de la cour, de 1 000. Sans compter les présents de prix que l’impératrice faisait à ses dames de compagnie préférées.

Les exigences fixées aux dames de compagnie étaient très strictes : leurs manières et leur maîtrise de l’étiquette devaient être idéales. Elles devaient, par exemple, savoir combien de pas faire lors d’une réception ou quelle révérence faire devant qui. Leur capacité à rapporter les ragots qui couraient à la cour était aussi appréciée que l’éventail de leurs connaissances. On choisissait généralement des jeunes femmes avec de l’esprit mais au physique peu attrayant. Celles qui étaient belles étaient les maîtresses des empereurs qu’ils imposaient dans l’entourage des impératrices. Nicolas Ier et son fils Alexandre II entretinrent des liaisons avec une dame de compagnie de leur épouse durant de longues années.

Fenêtre sur la Russie (Photo : Domaine public)
Fenêtre sur la Russie (Photo : Domaine public)

Les dames de compagnie se relayaient auprès des impératrices de semaine en semaine. Leurs journées commençaient à six heures du matin et se terminaient tard dans la soirée. Elles les assistaient pour leur toilette du matin, les accompagnaient durant leurs promenades, leur faisaient la lecture, entretenaient les hôtes de leurs conversations. Elles écrivaient les lettres que leur dictaient les souveraines et faisaient en sorte de satisfaire le moindre de leurs caprices.

Le prestige de la fonction était une honnête compensation pour la lourdeur de la charge. Les dames de compagnie des impératrices faisaient habituellement de très beaux mariages. Leurs dots étaient en partie constituées par la couronne.

Fenêtre sur la Russie (Photo : Ermitage) Portrait de Sofia Orlova-Denissova
Fenêtre sur la Russie (Photo : Ermitage)

La tenue des dames de compagnies des impératrices – celle connue comme le « style russe » caractérisé par le port d’un corsage et d’un voile – fut codifiée par Nicolas Ier en 1834. À chaque rang, une couleur de robe. Par exemple, le vert pour les dames de la cour ; le bleu ciel pour les demoiselles de compagnie des grandes-princesses. Chacune avait son « chiffre » : il s’agissait d’une broche en or à ses initiales sur un ruban bleu clair porté sur la poitrine du côté gauche.

Beaucoup de dames de compagnie des impératrices devenaient leurs amies et leurs personnes de confiance. Ce qui avait pour conséquence d’accroître leur influence auprès de la famille impériale et à la cour. Catherine II reste connue pour avoir eu beaucoup d’amies parmi ses dames de compagnie. Maria Perekoussikhina ne la quittait jamais, l’aidait en tout de sa toilette matinale à sa toilette vespérale, la conseillait sur de très nombreux sujets ; Anna Narychkina connaissait tous ses secrets d’amour et facilita beaucoup de ses liaisons. Anna Protassova répondait du corps des dames de compagnie et des pages pour qu’ils soient aussi fiables qu’une horloge suisse.

Domaine public Sonia Orbeliani
Domaine public

L’histoire a aussi retenu la fidélité des impératrices à leurs dames de compagnie. Ainsi, lorsque Sophia Orbeliani tomba gravement malade, l’impératrice Alexandra Fiodorovna l’installa au palais, paya son traitement et commanda un équipage aménagé pour qu’elle puisse se déplacer. Après sa mort, la femme de Nicolas II organisa elle-même les obsèques de son amie.

L’institution des dames de compagnie s’éteignit en Russie avec la monarchie, en mars 1917.

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