Viazma: du champ de bataille au centre spirituel
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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un procédé complexe de photographie permettant d’obtenir des clichés détaillés aux couleurs vives. Sa vision de la photographie en tant que forme d’éducation et d’illumination s’est illustrée avec une clarté particulière dans ses clichés de monuments architecturaux réalisés sur des sites historiques du cœur de la Russie.
L’un de ces endroits est la ville de Viazma, que Prokoudine-Gorski a visitée à l’été 1912 dans le cadre du projet visant à répertorier les sites en rapport avec la campagne de Russie menée par Napoléon, et ce, à l’occasion de son centenaire. Même si les négatifs en verre originaux n’ont pas survécu dans la collection de ces photos au sein de la bibliothèque du Congrès des États-Unis, les tirages contacts monochromes du segment magenta de son processus de triple-séparation fournissent beaucoup de détails historiques. Mes propres visites à Viazma ont eu lieu entre 1992 et 2014.
Des débuts humbles
Aujourd’hui, Viazma est un centre régional paisible, situé à proximité de l’autoroute de Minsk (la route principale de Moscou vers l’ouest), et comptant quelque 56 000 habitants. Appartenant administrativement à la région de Smolensk, Viazma se trouve quasiment à distance égale de ces deux anciens centres du destin de la Russie : à 210km à l’ouest de Moscou et à 165km à l’est de Smolensk.
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Cet emplacement est la clé qui permet de comprendre la dramatique histoire de la ville qui, durant la Seconde Guerre mondiale, a été témoin de l’ampleur de la défaite et d’une longue route vers le rétablissement. Le temps n’a pas effacé la mémoire de ce combat, qui est commémoré à travers la région de Viazma.
La première mention attestée de Viazma remonte à 1239, à un moment coïncidant avec l’invasion mongole et la large destruction d’une Rus’ médiévale déjà fragmentée. La ville est restée une partie de la principauté de Smolensk jusqu’en 1403, lorsqu’elle a été saisie par le grand-duché de Lituanie.
À la fin du XVe siècle, le contrôle de Viazma est passé à Moscou, qui a remporté la ville au cours d’une série de guerres aux frontières avec la Lituanie. Au XVIe siècle, elle a servi d’important point de défense de l’ouest, lorsque les frontières de la Moscovie se sont élargies, tandis que Smolensk, pendant ce temps, est tombée sous l’invasion par la Pologne. Durant le Temps des troubles, au début du XVIIe siècle, la ville a été de nouveau impliquée dans une série d’allégeances changeantes, avant de servir la nouvelle dynastie des Romanov.
Ville-forteresse
Depuis ses débuts, le centre de la ville était une forteresse en terre érigée sur une haute falaise avec vue sur la rivière Viazma. Après les guerres dévastatrices du XVIe et du début du XVIIe siècles, Moscou a décidé de reconstruire le kremlin, mais sans les coûteux murs de maçonnerie. Seules six tours étaient en briques, dont l’une est toujours debout : la Tour Saint-Sauveur.
La forteresse de Viazma contenait une cathédrale, dédiée à la Trinité. En 1654-1655, le tsar Alexis Ier l’a reconstruite dans un style archaïque. Elle a ensuite été modifiée et agrandie au milieu du XVIIIe siècle. Le clocher était le monument le plus haut de la ville avant qu’une grande tour de communication ne soit érigée vers la fin des temps soviétiques.
La plupart des églises que Prokoudine-Gorski a observées au centre de Viazma ont été détruites durant le XXe siècle. L’exception constitue l’église dédiée à l’Icône du Sauveur miséricordieux construite en 1786 au monastère du Saint-Arkadi. Seule structure de ce monastère arrivée à nos jours, l’église sert aujourd’hui de bibliothèque municipale.
Près de celle-ci, se trouvent des monuments à la guerre de 1812. Viazma a été prise par les Français le 29 août. Une grande partie de la ville a été brûlée à la fin d’octobre, lorsque les forces russes commandées par les généraux Miloradovitch et Platov ont engagé une bataille furieuse avec le corps des Français en retraite commandé par le maréchal Davout.
Survivants architecturaux
Aujourd’hui, le centre-ville porte le nom de place Soviétique, qui s’étend juste au pied de la colline de la cathédrale. Cet espace est dominé par une colonne en granite monumentale, érigée en 2011 à l’honneur du statut obtenu par Viazma deux ans auparavant, celui de ville de gloire militaire. Sévèrement endommagée durant la guerre, cette partie de la cité est un mélange d’architecture post-soviétique et de bâtiments du XIXe siècle reconstruits à partir de ruines.
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Une survivante pittoresque est l’église de la Nativité-de-la-Vierge (1727-1728), que Prokoudine-Gorski a photographiée depuis le nord-est avec une école paroissiale et une large pile de bois en arrière-plan. Elle se trouve maintenant dans un parc. Un étang reflète la façade sud de la bâtisse.
L’ensemble architectural le plus impressionnant de Viazma est le monastère Saint-Jean-Baptiste (maintenant un couvent), à l’extrême ouest de la ville.
Fondé en 1536, il a subi de nombreuses épreuves résultant des invasions de ses terres. D’abord, il a été brûlé par les forces polonaises au début du XVIIe siècle, puis reconstruit dans les années 1630, grâce à un don du tsar Michel Ier (premier tsar Romanov). Il a été brûlé de nouveau du temps de l’invasion napoléonienne de 1812 et réparé encore une fois en 1832-36. Fermé par les communistes, il a été gravement endommagé durant la Seconde Guerre mondiale.
Protection divine
Heureusement, les églises ont été bien construites et sont restées structurellement solides. Le portail principal du monastère au sud sert de base pour l’église de l’Ascension peinte de couleurs vives et construite au milieu du XVIIe siècle avec un grand réfectoire et un clocher à son extrémité ouest.
En entrant sur le territoire du couvent, les visiteurs se voient offrir une vue sur l’un des bâtiments monastiques les plus distinctifs de toute la Russie, l’église de l’icône Hodigitria de la Vierge, avec une chapelle attachée dédiée à Jean Baptiste. Cette structure relativement petite de plan irrégulier semble à la base être conçue comme un piédestal pour trois tours vertigineuses et richement décorées. Chacune est couronnée d’une petite coupole dorée.
Les lignes de pignons ornementaux et de murs blanchis sont encore ornés avec de la céramique verte restaurée. Peut-être que ce design exubérant représente un phare, c’est au moins ce que laisse croire sa dédicace (hodigitria, « qui montre la voie »). Ou, peut-être, commémore-t-il la résistance aux envahisseurs, comme l’une des églises construites en Moscovie juste après le Temps des troubles.
Un bon nombre d’églises de la ville sont en restauration actuellement, après des décennies de guerres, la négligence et la persécution religieuse des temps soviétiques. D’autres restent des ruines pittoresques, comme l’église Sainte-Catherine (1770-76). Les dégâts à Viazma ont été particulièrement sévères et le processus de rétablissement est souvent progressif.
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Un rappel de gloire ancienne
L’étude précédente porte sur les monuments architecturaux, mais Viazma a également un extraordinaire monument de sculpture dédié au général Mikhaïl Iefremov, commandant de l’infortuné 33e régiment, encerclé pendant la seconde bataille de Viazma au printemps de 1942.
Créée par le sculpteur Evgueni Voutchetitch (l’auteur principal du futur complexe mémorial de Stalingrad) et érigée dans le Viazma en ruines en 1946, la statue et l’un des meilleurs exemples de sculptures militaires héroïques en Russie. Le défunt Iefremov est debout, bras tendu, pointant vers l’ouest. Il est symboliquement encadré et protégé par quatre soldats de l’Armée rouge. Leurs positions sont tendues, leurs armes sont à prêt. L’un des soldats, mortellement blessé, lève le regard vers le général. Après la libération finale de Viazma en mars 1943, le corps de Iefremov a été réenterré au cimetière adjacent de l’église de Sainte-Catherine.
La région de Viazma contient d’autres sites d’intérêt facilement accessibles, notamment le domaine de Griboïedov magnifiquement restauré à Khmelita. Au début du XIXe siècle, la propriété était étroitement associée au cher écrivain Alexandre Griboïedov (1795-1829), l’auteur de Le Malheur d’avoir trop d’esprit, l’une des pièces les plus connues en Russie. Cela mérite plus d’exploration.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l'Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s'est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d'une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield s’intéresse à Iasnaïa Poliana, le domaine de Léon Tolstoï.
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