L’église de l’Ascension à Kolomenskoïé, intrigant monument dédié à la naissance d’Ivan le Terrible
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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe permettant de réaliser des photographies aux couleurs vives et détaillées. Sa vision de la photographie en tant que forme d’éducation et d’illumination a été démontrée avec une clarté particulière par ses clichés de sites historiques et architecturaux de premier plan dans tout le cœur de la Russie.
La majeure partie de la collection de Prokoudine-Gorski a fini par être intégrée à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, mais le photographe a également créé une entreprise qui produisait des cartes postales en couleur et des illustrations de livres. En 1914, sa société a été rétablie sous le nom de Biochrome.
Parmi les publications contenant ses photographies en couleur, figure un gros volume publié en 1913 à l’occasion du tricentenaire de la dynastie Romanov. Les illustrations comprenaient sa reproduction d’une gravure teintée réalisée pour un album offert en 1673 au tsar Alexis Ier en commémoration de l’intronisation de son père, Michel Ier, le premier tsar Romanov.
La gravure est censée montrer l’occasion solennelle du 21 février 1613 où le peuple, sur la place Rouge, a juré fidélité au tsar Michel nouvellement élu. Les détails de cet événement font l’objet d’un débat historique, et la représentation de la foule est une reconstitution imaginaire.
Néanmoins, l’image représente des structures qui existent encore aujourd’hui, comme la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, dotée de plusieurs dômes et officiellement appelée cathédrale de l’Intercession-de-la-Très-sainte-Mère-de-Dieu-sur-les-Douves. Au XVIIe siècle, on l’appelait aussi « Jérusalem ».
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Mystérieuse cathédrale médiévale
Célèbre dans le monde entier, la cathédrale Saint-Basile a longtemps posé des questions concernant ses origines et la complexité de sa conception. Il semble toutefois évident que la tour centrale élancée est dérivée d’un remarquable prédécesseur, l’église de l’Ascension, datant du début du XVIe siècle, à Kolomenskoïé, l’un des rares sites russes inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Situé de façon pittoresque sur une falaise surplombant la rivière Moskova dans le sud-est de Moscou, l’actuel parc de Kolomenskoïé s’étend sur 390 hectares et comprend plusieurs secteurs. La pièce maîtresse est l’ancien domaine tsariste et son église de l’Ascension du XVIe siècle, commandée par le grand-prince Vassili III (1479-1533) et consacrée en 1532.
La première mention du village de Kolomenskoïé remonte à 1336. Son nom est peut-être lié aux colons venus de la ville fortifiée de Kolomna, située au confluent de la Moskova et de l’Oka à environ 110km au sud-est de la capitale russe.
Au XIVe siècle, Kolomenskoïé était un lieu de retraite et de chasse privilégié pour le grand-prince moscovite et sa suite. Bien que l’on sache peu de choses sur son aspect initial, les bâtiments du domaine et du village étaient vraisemblablement construits en rondins selon la tradition.
Sous le règne de Vassili III, ce site bucolique a vu la construction de l’une des églises les plus remarquables de Russie, considérée comme une offrande votive en supplication à Dieu pour la naissance d’un héritier mâle. Dédiée à juste titre à l’Ascension, cette première des grandes églises-tours de la Moscovie mesurait 62 mètres de haut, ce qui en faisait l’un des plus hauts bâtiments de cet État médiéval.
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Gratitude envers Ivan le Terrible
Les travaux préliminaires de la fondation massive de l’église ont apparemment eu lieu à l’automne 1528, et les travaux de la structure principale ont commencé l’année suivante. La naissance d’un fils, que Vassili et sa seconde épouse, Elena Glinskaïa (vers 1510-1538), avaient si ardemment désiré, a eu lieu le 25 août 1530.
Avec la naissance d’Ivan IV (connu par la suite sous le nom d’Ivan le Terrible), l’église de l’Ascension est passée d’une offrande de supplication à une offrande de gratitude. En septembre 1532, la structure a été consacrée par le métropolite Daniel, le chef spirituel de l’Église orthodoxe russe. Vassili, sa femme et leur fils en bas âge ont assisté à la cérémonie.
L’année suivante, Vassili est mort d’une infection soudaine, et sa femme est devenue régente pour le petit Ivan, âgé de 3 ans. La mort d’Elena, survenue près de cinq ans plus tard – peut-être à la suite d’un empoisonnement – préfigure les grandes turbulences qui marqueront le règne complet d’Ivan en tant que tsar, de 1547 à 1584.
Le design distinctif de l’église de l’Ascension est principalement dû à sa tour à huit côtés à pente raide, appelée chatior (terme dérivé d’un mot turcique signifiant « tente »), qui repose sur une structure supérieure octogonale allongée. Cette forme a donné lieu à des comparaisons avec les églises russes en bois qui culminent en chatior, mais la notion de prototype en bois a été contestée par de nombreux historiens. Non seulement il n’existe aucune preuve de l’existence d’églises « tentes » en bois antérieures à l’église de l’Ascension, mais au moins un modèle en brique a survécu : l’église de l’Intercession construite vers 1510 dans l’enceinte du grand-prince au Kremlin d’Alexandrov, au nord de Moscou.
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Des racines italiennes
L’élan imaginatif du projet audacieux de l’église de l’Ascension reste une énigme historique. Le défi technique que représente l’équilibre d’un tel poids vertical a été résolu par un architecte italien, connu en Russie sous le nom de Bon Friazine, dans sa conception du clocher d’Ivan le Grand, l’élément dominant du Kremlin de Moscou. Pourtant, le plan du clocher du Kremlin est plus simple que celui de l’église de l’Ascension, avec sa base cruciforme et sa tour complexe.
Tout porte donc à croire qu’un autre maître italien – peut-être celui connu sous le nom de Petrok Maly dans les documents écrits – a guidé la résolution de ce difficile défi structurel. C’était un ingénieur expérimenté, et l’église de l’Ascension illustre brillamment les compétences requises d’un ingénieur en fortification, ainsi que d’un concepteur de grandes structures sacrées.
Ses murs, qui reposent sur des voûtes massives en briques renforcées par des tirants en fer, varient en épaisseur entre 2,5 et 3 mètres, ce qui est considérablement plus large que nécessaire pour le poids de la « tente ». Les murs sont encore soutenus par l’effet de contrefort des trois escaliers, chacun avec un tournant perpendiculaire qui aurait augmenté le drame visuel des processions rituelles.
Le bloc principal de la tour, bordé de solides pilastres, s’élève vers trois rangées de pignons pointus, ou kokochniks (ainsi nommés d’après la forme pointue de cette coiffe russe traditionnelle). Cet ornement est repris au sommet de la forme octogonale de l’étage suivant. Au-dessus de l’octogone, la « tente » s’élève en une forme pyramidale à huit facettes délimitées par des nervures de calcaire. La montée est accentuée par un motif rhomboïdal, également en calcaire, qui se rétrécit vers le sommet de chaque facette. La tour se termine par une lanterne octogonale, une coupole et une haute croix de fer.
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Preuve photographique
Lorsque j’ai photographié pour la première fois l’église de l’Ascension en février 1972, ce motif était clairement visible dans le contraste entre les éléments en calcaire blanc et la structure en briques rouges. Preuve historique, la tour entière a été blanchie à la chaux avant les Jeux olympiques de 1980 à Moscou, créant ainsi un monolithe brillant.
Ce changement frappant est visible sur mes photographies de septembre 1979 et mars 1980. Inévitablement, le badigeon s’est progressivement terni sous l’effet de la force abrasive des hivers rigoureux, un processus documenté par mes photographies au cours des deux décennies suivantes. Dans le cadre d’une préservation et d’un entretien attentifs, le badigeon a été réappliqué, comme on peut le voir sur mes clichés de 2012.
Les photographies de l’intérieur prises en 1984 montrent un espace restreint, faiblement éclairé, destiné non pas au culte général mais au grand-prince, à sa famille et à sa suite. Cette limitation a empêché la présence d’abondantes peintures murales, que l’on retrouve dans les églises plus ouvertes. Mes photographies ne montrent aucune trace de la décoration peinte qui aurait pu exister.
L’intérieur était également inhabituel car il n’y avait pas d’abside pour l’autel, mais seulement des niches pour les sacrements dans le mur oriental. Il y aurait cependant eu une iconostase.
Au niveau du sol, se trouve un espace fortement voûté qui supporte le poids énorme de la structure imposante. Lorsque j’ai photographié cette base en 1984, elle servait encore d’entrepôt pour les éléments décoratifs en pierre calcaire sculptée provenant d’églises démolies dans les années 1930.
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Perchée en surplomb de la Moskova
La magnifique impression verticale créée par l’église de l’Ascension était intensifiée par sa situation, haut perchée au-dessus de la Moskova, avec vue sur les domaines princiers. Son emplacement au milieu d’un ensemble de structures en bois, dont un grand palais de forme désordonnée (incendié en 1571 et reconstruit deux fois), devait créer une silhouette plus riche qu’aujourd’hui, où les structures en pierre qui subsistent se dressent dans un isolement majestueux.
Parmi les bâtiments voisins, l’on trouve un petit clocher daté provisoirement du milieu du XVIe siècle. Après sa conversion au XVIIe siècle en une petite église dédiée à Saint-Georges, la tour a été dotée d’une extension en bois qui servait de vestibule. À côté de l’ensemble de Saint-Georges se trouve une structure en brique simple mais imposante, construite à la fin du XVIIe siècle pour servir de château d’eau à l’enceinte du tsar.
L’entrée de ce domaine verdoyant surplombant la Moskova passe par une structure connue sous le nom de Porte avant, construite en 1671-73 et flanquée de casernes de garde. Au sommet de la porte se trouve une flèche et un pignon à cloches – celles-ci étaient reliées à un mécanisme d’horloge.
Nous avons la chance que cet ensemble rare ait été préservé, d’abord lors de sa transformation en musée en 1923 grâce aux efforts du célèbre conservateur architectural Piotr Baranovski, qui a continué à surveiller l’église de l’Ascension dans les années 1930.
D’autres travaux de restauration (compliqués par la menace d’un glissement de terrain) ont eu lieu à la fin des années 1970 et au début des années 1980. En 1994, l’ensemble historique a reçu le statut de site protégé de l’UNESCO et, en 2000, l’église de l’Ascension a été reconsacrée en tant qu’église fonctionnelle. Elle fait toujours partie du complexe muséal, mais est désormais utilisée pour le culte lors des grandes fêtes religieuses.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l’Empire russe et a pris plus de 2 000 photographies avec ce procédé, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie et s’est installé en France où il a retrouvé une grande partie de sa collection de négatifs sur verre, ainsi que 13 albums de tirages par contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis. Au début du XXIe siècle, celle-ci a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du grand public. Quelques sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les vues des monuments architecturaux de Prokoudine-Gorski avec les photographies prises par Brumfield des décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield se penche sur les mystères de l’intérieur de la cathédrale Saint-Basile sur la place Rouge.
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