Pourquoi le métier d’«orfèvre» était-il peu glamour en Russie impériale?

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Le nom de cette profession, en russe «золотарь» (zolotar’) dans lequel on devine le mot «or» (zoloto), peut induire en erreur. Ces personnes n’avaient pas affaire à des lingots tous les jours.

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« Dans l’obscurité, un convoi nocturne odorant se traîne : une quinzaine de tonneaux, chacun attelé à une paire de chevaux maigres et écaillés. Entre le tonneau et le cheval, sur la charrette, est installé un siège en corde sur lequel somnole le "zolotar’", comme on appelait à Moscou les éboueurs [dans le sens ancien et large de ce mot]. Le convoi cahote sur la chaussée, répandant son contenu sur les pierres, faisant du bruit dans tout le quartier. Et après minuit, un tel convoi avance péniblement sur la Tverskaïa, devant le palais... Un "zolotar’" dort. L’autre mange un gros kalatch [un pain avec une poignée] qu’il tient par l’anse ». Cette citation tirée du livre de Vladimir Guiliarovski Moscou et les Moscovites est intéressante à plusieurs titres.

Tout d’abord, elle informe le lecteur sur qui sont les « zolotari ». Ces personnes vidaient les fosses d’aisance, nettoyaient les toilettes publiques (par exemple, dans les casernes et sur les marchés) dans les villes. Elles transportaient les déchets hors de la ville ou vers des sites d’élimination spéciaux.

Les avis des chercheurs divergent quant à la raison pour laquelle les éboueurs étaient surnommés « zolotari » par le peuple. Il s’agit peut-être d’un surnom humoristique (les bijoutiers étaient également appelés « zolotari », c’est-à-dire « orfèvres »). Ou peut-être parce que les excréments étaient appelés de manière allégorique « l’or de la nuit » et utilisés comme engrais.

Deuxièmement, le convoi était qualifié de « parfumé nocturne ». En effet, comme les fosses étaient vidées à l’aide d’une pelle, l’odeur restait longtemps dans l’air. C’est pourquoi les « orfèvres » étaient tenus de travailler la nuit. Cependant, lorsque les commandes étaient trop nombreuses, ils devaient œuvrer pendant la journée, et les passants avaient à supporter une odeur suffocante.

Troisièmement, il existe une opinion bien établie selon laquelle le kalatch, le fast-food russe de la Russie tsariste, aurait été inventé précisément pour les cas où il fallait manger sur le pouce et où il n’y avait nulle part où se laver les mains. L’on pouvait tenir la pâtisserie par sa fine « poignée », puis la jeter simplement. Pour le travail des « orfèvres », c’était une invention culinaire inestimable.

Au XIXe siècle, le travail des zolotari était bien rémunéré : ils gagnaient souvent plus que beaucoup d’autres ouvriers. Cependant, leur métier était dangereux et extrêmement pénible. Les « orfèvres » portaient des tabliers, des bottes et des gants de protection en cuir, mais leur travail comportait tout de même des risques pour leur santé et leur vie : vers, bactéries, infections, intoxication au sulfure d’hydrogène et autres gaz.

Dans cet autre article, découvrez comment l’on allait aux toilettes dans la Russie prérévolutionnaire.

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