Attaque du 20e convoi: comment un émigré de l’Empire russe et ses amis belges ont sauvé des Juifs d’un train de la mort

michelvanderburg (CC BY-SA 4.0); Domaine public; WO2 (CC BY-SA 3.0)
michelvanderburg (CC BY-SA 4.0); Domaine public; WO2 (CC BY-SA 3.0)
En avril 1943, munis d’une simple lampe-tempête, de tenailles et d’un pistolet, les résistants belges Youra Livchitz, Jean Franklemon et Robert Maistriau ont attaqué un train de déportation transportant 1 631 Juifs vers Auschwitz. Leur acte courageux a permis de sauver plus d’une centaine de vies.

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En août 1942, les nazis ont entamé la déportation des Juifs de Belgique vers les camps de concentration d’Europe de l’Est, principalement Auschwitz. Pour ce faire, ils ont mis en place des convois spéciaux, étroitement surveillés par la Sicherheitspolizei, la police de sûreté du régime nazi. Les trains partaient de la gare de Malines, située entre Bruxelles et Anvers. Le camp de transit qui s’y trouvait a rapidement été surnommé la « Maison de la mort ».

michelvanderburg (CC BY-SA 4.0) Сamp de transit de Malines
michelvanderburg (CC BY-SA 4.0)

Le 19 avril 1943, le 20e convoi s’apprêtait à quitter la Belgique avec 1 631 Juifs à bord, dont 262 enfants. Après la tentative d’évasion de déportés du convoi précédent, les nazis ont renforcé la surveillance et fait venir des wagons de bétail, dont les petites fenêtres étaient obstruées par des barbelés.

JoJan (CC BY-SA 3.0) Wagon de la déportation belge
JoJan (CC BY-SA 3.0)

Pour les prisonniers du 20e convoi, toute échappatoire semblait alors impossible. Ils ignoraient qu’à cet instant, entre champs et forêts belges, trois jeunes hommes fonçaient à leur secours à vélo. Munis d’une simple lampe-tempête, de quatre tenailles et d’un unique pistolet, ils s’apprêtaient à arrêter le train de la mort.

Un descendant de Juifs de l’Empire russe dans la Résistance belge

Youra Livchitz, inspirateur de l’opération, venait d’une famille juive originaire de Bessarabie et installée à Kiev. Il n’avait que 11 ans lorsque ses parents ont divorcé. Sa mère est alors partie s’installer en Belgique avec ses enfants.

Domaine public
Domaine public

Suivant les traces de son père, médecin militaire, Youra a entamé des études de médecine à l’Université libre de Bruxelles. En dépit de la loi nazie promulguée en juin 1942 interdisant aux Juifs d’exercer la médecine, il est parvenu à terminer son cursus et à décrocher un poste à l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, puis au sein de l’entreprise pharmaceutique Pharmacobel. 

Il n’a pu rester indifférent face à l’extermination de son peuple dans la Belgique occupée. Il a rejoint les résistants de l’Université libre de Bruxelles, qui ont formé le « Groupe G ».

Trois contre le train de la mort

Lorsque Livchitz a suggéré à ses camarades d’attaquer le 20e convoi, ils ont opposé un refus : l’opération était jugée trop risquée. Cependant, le jeune homme n’était pas prêt à renoncer. Il ne s’est assuré que du soutien de deux de ses amis, Jean Franklemon et Robert Maistriau, eux aussi membres clandestins. Ensemble, ils sont passés à l’acte.

Après avoir dissimulé leurs vélos, ils se sont approchés de la voie ferrée et y ont placé une lampe-tempête. Pour en teinter la lumière en rouge, ils durent la recouvrir d’une simple serviette que l’un d’eux avait apportée de chez lui. Ils se sont donc mis à guetter l’arrivée du convoi.

michelvanderburg (CC BY-SA 4.0) La médaille des Justes de Robert Maistriau, le pistolet et la lampe tempête conservés à la Caserne Dossin à Malines
michelvanderburg (CC BY-SA 4.0)

Et ça a marché ! À la vue de ce feu improvisé, le train s’est arrêté. Youra a couru le long du convoi, tirant au hasard, dans l’espoir de tromper les gardes et de leur faire croire à une attaque organisée par un groupe de résistants. Pendant ce temps, ses amis coupaient à la hâte les barbelés d’un wagon à l’aide de tenailles.

Au moment où les gardes ont compris la ruse de la lampe-tempête, les trois jeunes hommes avaient déjà réussi à libérer dix-sept personnes. Le train a repris sa route. Toutefois, Jean et Robert avaient eu le temps de passer les outils aux déportés, afin que d’autres puissent tenter de s’évader. Au risque de sa vie, le machiniste a ralenti autant que possible, pour laisser une chance aux prisonniers de sauter.

Au total, 233 Juifs sont parvenus à s’échapper avant que le convoi ne franchisse la frontière belge. Vingt-six ont été abattus sur place, et 92 repris. Cependant, grâce à l’exploit des trois jeunes hommes, 118 personnes ont échappé à la déportation.

Sacrifier sa vie au nom de la liberté

Youra Livchitz a payé de sa vie l’attaque du 20e convoi. Dans un premier temps, il est parvenu à se cacher chez les parents de sa bien-aimée, mais la Gestapo a fini par le retrouver. Il a réussi à s’échapper et envisageait de rejoindre la Grande-Bretagne pour fuir les nazis. Capturé de nouveau, il s’est retrouvé au Fort de Breendonk, transformé par l’occupant en camp de détention et de transit, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Anvers. Le 17 février 1944, les nazis l’ont exécuté. « Pense que je suis mort au front », a-t-il écrit à sa mère avant de mourir.

Francisco Peralta Torrejón (CC BY-SA 4.0)
Francisco Peralta Torrejón (CC BY-SA 4.0)

Quant à ses camarades belges, Jean Franklemon et Robert Maistriau, ils ont connu eux aussi les horreurs des camps de concentration, mais ont survécu et pu finir leurs jours dans la Belgique libre.

Anne Jea (CC BY-SA 4.0) Wagon de déportation à Malines
Anne Jea (CC BY-SA 4.0)

L’acte de ce trio courageux reste à ce jour la seule attaque connue contre un train de la mort.

WO2 (CC BY-SA 3.0) Stèle commémorative de l'attaque du 20e convoi
WO2 (CC BY-SA 3.0)

Pour en savoir plus sur les ressortissants de l’Empire russe et de l’URSS engagés dans la Résistance belge, consultez l’exposition en ligne proposée par la Maison russe à Bruxelles (contenu disponible en russe).

Dans cet autre article, découvrez comment l'Armée rouge a libéré l'Europe durant la Seconde Guerre mondiale.

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