Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique?

Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique?
Kira Lissitskaïa (Photo: Alexeï Poddoubny/TASS; Sputnik; Novy mir)
Il est apparu il y a 100 ans et existe encore aujourd’hui. En publiant les principales nouveautés littéraires des écrivains les plus célèbres, cette revue a en quelque sorte forgé le goût littéraire en URSS.

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En janvier 1925 est paru le premier numéro du magazine Novy mir (Nouveau monde), que l’on peut qualifier sans exagération de principal et plus célèbre magazine soviétique.

Ce mensuel est apparu comme une « revue littéraire, politique et scientifique » à l’initiative du rédacteur en chef du journal Izvestia, Iouri Steklov. Au début, la publication était éditée par Anatoli Lounatcharski, commissaire du peuple (équivalent de ministre) à l’Éducation, lui-même.

Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique? Les publications d’Izvestia : le quotidien Izvestia, l’hebdomadaire Krasnaïa niva, le mensuel Novy mir
Photographie d'archives

Novy mir s’est toujours caractérisé par son audace et a publié les œuvres les plus controversées et les plus talentueuses des écrivains soviétiques. Le magazine a souvent été au cœur de scandales et ses rédacteurs ont été démis de leurs fonctions. Néanmoins, il a continué à fonctionner – il a été publié même pendant la Seconde Guerre mondiale.

À différentes époques, il a publié des poèmes d’Ossip Mandelstam, des œuvres de Maxime Gorki, l’épopée du Don tranquille de Mikhaïl Cholokhov, Le Roman théâtral de Mikhaïl Boulgakov, des poèmes d’Evgueni Evtouchenko et d’Andreï Voznessenski, Le Livre du blocus de Daniil Granine et Alès Adamovitch, les meilleurs œuvres de guerre de Vassili Grossman, Valentin Kataïev et Konstantin Simonov.

À partir de 1947, Novy mir est devenu l’organe officiel de l’Union des écrivains de l’URSS et c’est dans ses pages qu’ont été publiées les principales nouveautés littéraires. Alors que les livres se faisaient rares, tout le pays s’est abonné au magazine.

La revue de Tvardovski et la lutte contre la censure

Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique? Alexandre Tvardovski, rédacteur en chef de Novy mir (1950-1954, 1958-1970)
Evgueni Kassine, Vladimir Savostianov/TASS

La véritable apogée commence en 1958, lorsqu’Alexandre Tvardovski, l’auteur du poème de guerre culte Vassili Terkine, prend la tête du comité de rédaction. Il reste en poste pendant plus d’une décennie, et Novy mir est même appelé « le magazine de Tvardovski ».

De nombreuses œuvres n’ont en effet été imprimées que grâce à ses efforts. « Le magazine a publié de nombreux ouvrages de fiction et de journalisme qui n’ont pas pu être imprimés en raison de la censure, a confié Valentina, la fille de Tvardovski. Père, d’ailleurs, a toujours eu le pressentiment de ce qui pouvait passer et de ce qui ne pouvait pas passer. Il décidait douloureusement s’il valait la peine de se battre pour ce travail ou s’il fallait le reporter ; s’il fallait publier tel ou tel manuscrit avec des modifications et des suppressions mineures ou s’il fallait le retarder et l’imprimer dans son intégralité plus tard ».

Malgré ses succès, il est encore difficile de pardonner à Tvardovski de ne pas avoir publié Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov. Cependant, il lui avait été auparavant trop difficile et trop long d’obtenir l’autorisation de la censure pour son Roman théâtral.

Tvardovski a également opposé un refus à Brodsky. Avant même son émigration, le jeune poète a apporté ses poèmes au rédacteur en chef, qui lui a répondu par une lettre polie : il y louait sa « finition en filigrane » et son haut niveau de poésie, mais a assuré que ses compositions n’étaient « pas dans l’esprit de la revue ». Il lui a toutefois proposé d’envoyer d’autres poèmes à l’avenir. Brodsky, froiss2, n’enverra plus rien d’autre.

Ironiquement, c’est dans Novy mir que les premières publications « officielles » de Brodsky en exil ont été publiées pendant la perestroïka.

Novy mir a également participé indirectement au harcèlement de Boris Pasternak. En 1956, l’écrivain a envoyé le manuscrit de son roman Le Docteur Jivago au magazine, mais les rédacteurs lui ont adressé une lettre collective dans laquelle ils refusaient de l’imprimer et l’avertissaient qu’un contenu aussi idéologique ne pouvait figurer dans les pages de la presse soviétique.

Après l’attribution du prix Nobel à Pasternak, toute une campagne contre l’écrivain et son « roman antisoviétique » a été lancée, et la lettre du comité de rédaction à Pasternak a été publiée dans Literatournaïa Gazeta (Journal Littéraire). En 1988, pourtant, c’est à nouveau Novy mir qui a publié Le Docteur Jivago sans aucune censure.

C’est grâce à Tvardovski que le Goulag, sujet jusqu’alors totalement tabou, a été abordé pour la première fois dans ses pages. En 1962, Novy mir a publié Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne. Tvardovski a demandé personnellement à Nikita Khrouchtchev l’autorisation de publier cette œuvre.

Les débuts littéraires de Soljenitsyne sont devenus l’un des symboles du dégel khrouchtchévien. L’auteur, lui-même emprisonné pendant près de dix ans, a ici décrit une journée de camp à travers les yeux d’un prisonnier, un simple paysan russe. Accueilli avec enthousiasme par d’éminents écrivains, ce récit a eu un effet assourdissant sur les masses. En Occident, l’on a écrit qu’Une journée d’Ivan Denissovitch avait rayé de la carte toute la littérature soviétique du réalisme socialiste.

Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique? Soljenitsyne dans sa tenue de prisonnier du Goulag
Archives familiales d'Alexandre Soljenitsyne

Bien plus tard, Novy mir publiera les autres œuvres de Soljenitsyne : L’Archipel du Goulag, Le Premier cercle et Le Pavillon des cancéreux.

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Le boom de l’impression de la perestroïka

À la fin des années 1980, lorsque la glasnost (politique de transparence) s’est emparée de l’URSS et que les chaînes de censure sont tombées, le magazine a commencé à publier des œuvres qui avaient été interdites pendant des décennies. Il s’agit notamment du Docteur Jivago de Boris Pasternak, déjà mentionné, du Chantier d’Andreï Platonov, et même d’œuvres d’auteurs étrangers, tels que George Orwell et sa dystopie culte 1984. Auparavant, ces livres étaient publiés en samizdat, et seul un cercle restreint de personnes pouvait en prendre connaissance. En outre, le magazine imprimait des textes journalistiques pointus.

Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique? Impression du magazine, 1988
Rybtchinski/Sputnik

Le pays se délectait de sa lecture – la revue donnait un sentiment vertigineux de liberté. Pendant la perestroïka, la diffusion a été multipliée par 10 et le magazine a commencé à être imprimé à des millions d’exemplaires. Le véritable record a été atteint en 1990 avec 2,7 millions d’exemplaires (la maison d’édition ne savait pas où trouver autant de papier !).

Le magazine aujourd’hui

Dans les années 1990, sont parues les nouveautés de nombreux auteurs modernes – Victor Pelevine, Vladimir Makanine, Alexandre Kouchner, Vladimir Charov et d’autres.

Après 100 ans, le magazine est toujours publié chaque mois – 240 pages ! Aujourd’hui, la version numérique est également disponible sur Internet.

Novy mir: quel est le secret de la popularité de cet épais magazine soviétique? 100 ans de Novy mir
Novy mir

« Nous essayons d’imprimer des documents de genres différents, qui ne se démodent pas et ne perdent pas leur sens avec le temps. Et le magazine lui-même est, comme je le répète souvent, une arche de petits genres, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas des romans. Nous publions également des romans – en version abrégée ou en fragments – mais il est difficile et inutile de rivaliser avec les maisons d’édition dans ce domaine », déclare le rédacteur en chef Andrreï Vassilevski.

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