Cet amateur allemand de théâtre fait le point sur ses 33 années de vie dans l’Oural
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Aujourd’hui, Ekaterinbourg est une ville confortable et moderne. Cependant, Alexander admet que de nombreux Russes ne comprenaient pas comment il pouvait vivre ici au début des années 1990. Après tout, à l’époque, il s’agissait presque du principal centre criminel de la Russie.
Premières impressions sur la Russie
« Nous sommes arrivés à Ekaterinbourg de nuit, sortant de la gare dans l’obscurité totale. À l’époque, il n’y avait qu’une seule avenue éclairée pour toute la ville, la perspective Lénine. Nous avons marché à tâtons, poussés par l’excitation de la jeunesse », se souvient Kahl en souriant.
Il a même acheté une torche, car il faisait nuit très tôt en ville, dès quatre heures de l’après-midi.
Tout était loin de ce à quoi il était habitué. Dans l’appartement, de l’eau brune coulait du robinet, et dans les magasins, il fallait demander des marchandises à un endroit et les payer à un autre.
« Mais je n’ai pas évalué cette nouvelle vie en fonction des catégories "mauvais-bon", tout était intéressant pour moi. J’ai pénétré dans un autre monde, j’ai appris à le comprendre. Et si cela m’avait fait peur, je ne serais pas resté ici », confie-t-il.
Cet Allemand est venu en Russie pour traduire dans sa langue des pièces russes contemporaines. Il a été invité par Nikolaï Koliada, alors dramaturge en herbe et aujourd’hui metteur en scène et directeur artistique de ce qui est probablement le théâtre privé le plus célèbre de Russie, le Koliada-théâtre.
Comment a-t-il décidé d’apprendre le russe ?
Kahl est originaire de la petite ville de Lörrach, qui compte 50 000 habitants. Il a toujours rêvé de partir de là pour découvrir le « grand monde ».
Alexander aimait le théâtre, mais son père, très rationnel, l’a dissuadé d’y consacrer sa vie et lui a suggéré de choisir une spécialité plus pratique.
C’était au milieu des années 1980, lorsque la Russie, la Chine et le Japon commençaient à s’ouvrir au monde. Toutefois, il existait une pénurie de linguistes maîtrisant ces langues. Loin de la culture et des caractères d’écriture orientaux, Kahl a opté pour le russe et s’est inscrit à l’Université libre de Berlin-Ouest.
En outre, l’Allemand connaissait déjà la littérature russe – il avait lu, à l’université, Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne, ainsi que Dostoïevski, Tolstoï et Tourgueniev.
Rencontre avec le théâtre russe
En 1989, l’Allemagne s’est unifiée, et Kahl est devenu auditeur libre à l’Université Humboldt de Berlin-Est.
Le département d’études slaves y organisait de nombreux séminaires sur la culture russe. Lors de l’un d’entre eux, l’Allemand a rencontré le dramaturge russe Nikolaï Koliada.
« Il était très ouvert, répondait à toutes les questions et nous invitait à lui rendre visite. Un mois plus tard, nous, étudiants allemands, avons été invités à Moscou pour un stage à l’Institut Pouchkine ».
Koliada a obtenu pour les Allemands des billets pour diverses représentations, et ils ont commencé à s’imprégner avec avidité du théâtre russe, se familiarisant avec des légendes vivantes.
Comment le destin l’a-t-il fait se retrouver dans l’Oural ?
L’Allemand a également été invité à Ekaterinbourg par Koliada – au début des années 1990, il y a organisé le festival international Koliada-Plays, puis son propre théâtre privé. Koliada cherchait alors un traducteur pour traduire ses pièces en allemand afin qu’elles puissent être jouées par des théâtres allemands.
Il n’était pas satisfait de toutes les traductions qui avaient été réalisées auparavant, car il connaissait lui-même bien la langue.
« La première pièce que j’ai traduite s’intitulait "L’Américaine". Il a aimé la traduction. Nous avons trouvé un éditeur et signé un contrat pour cinq pièces ».
D’autres auteurs sont ensuite venus s’ajouter. Au total, Kahl a traduit 112 pièces russes.
Après dix ans de vie en Russie, l’intérêt pour les traductions s’est quelque peu estompé et Kahl a dû chercher un autre emploi. Il a d’abord travaillé à la télévision, où il parlait de la vie culturelle d’Ekaterinbourg, et a même été nominé au prix TEFI en tant que présentateur. Cependant, la crise de 1998 a frappé et le projet s’est arrêté.
L’Allemand s’est donc progressivement orienté vers la linguistique. « Ce que mon père m’avait conseillé, les langues, s’est avéré utile ».
Aujourd’hui, Alexander Kahl enseigne au département de linguistique de l’Université fédérale de l’Oural et dirige son propre Centre de la langue allemande.
Les particularités de la vie russe
Afin de transmettre les nuances de la vie russe lors de la traduction des pièces, Kahl a dû étudier en détail les traditions, les coutumes, les proverbes et bien d’autres choses encore. Par exemple, apprendre ce qu’est un lave-mains de village (un réservoir disposant d’une sorte de petite tige en-dessous, sur laquelle il faut appuyer pour que l’eau s’écoule).
« Koliada était tout près, je pouvais l’appeler à tout moment et lui demander : pourquoi ne faut-il pas se saluer d’un côté et de l’autre du seuil ? ».
En Russie, Kahl a d’abord vécu dans l’appartement du dramaturge. Une fois, Koliada a aussi été l’invité de l’Allemand dans son pays natal. Chaque jour, chez lui, Kahl demandait à son collègue russe s’il voulait dîner. Et celui-ci répondait : « Non ».
« Et puis il s’est avéré que tout ce temps il s’est couché le ventre vide. Parce que les Russes ont l’habitude de persuader : "Allez viens manger, assieds-toi, allez...". Et moi, je ne le savais pas et, à l’allemande, je ne voulais pas insister, imposer... ».
Les Allemands ont de l’ordre, de la discipline, alors que les Russes, au contraire, s’en remettent à la chance, au hasard. Et Alexander s’est habitué à cette particularité. Et aussi à ce que les Russes soient toujours en retard.
« Bien que je n’aie pas changé à cet égard. Et j’exige de mes étudiants qu’ils arrivent à l’heure ».
Le redoutable aneth russe
Ce à quoi il a cependant mis du temps à s’habituer, c’est à la cuisine russe.
« Ce que j’ai vraiment dû supporter en Russie au début, c’est cet horrible aneth ! Avant, peu importe ce que vous commandiez, ils en mettaient partout : dans les salades, dans la viande, dans le poisson ! ».
L’Allemand a également refusé catégoriquement d’adopter le « hareng sous son manteau de fourrure », l’une des principales salades des fêtes russes.
Au début, il a également considéré l’okrochka (une soupe froide ayant pour base le kvas, une boisson gazeuse à base de pain fermenté) comme un plat étrange. « Lorsque je l’ai goûtée pour la première fois, je me suis dit que le monde n’avait pas encore inventé quelque chose de pire : comment peut-on verser de la limonade dans une salade ? ».
Or, aujourd’hui, il ne peut plus s’en passer. « L’essentiel est de choisir le bon kvas, avec un peu d’aigreur », assure-t-il.
La version intégrale de l’entretien a été publiée en russe dans le magazine Nation.
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