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Comment un ancien serf devint-il l’un des plus grands brasseurs de l’Empire russe?

Fenêtre sur la Russie (Photo: Alter_photo/Getty Images, Public domain, Klipartz)
Ivan Dourdine gravit tous les échelons de l’industrie de la bière: il commença vendeur et termina propriétaire d’une brasserie. Il devint millionnaire et fut le premier d’une dynastie de marchands.

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Comment une telle ascension fut-elle possible?

Au début du XIXe siècle, les serfs (qui appartenaient aux propriétaires terriens et étaient attachés à leurs terres) bénéficièrent du droit d’acheter leur liberté (вольность / volnast’). On estime que 150 000 d’entre eux l’exercèrent jusqu’en 1861, année de l’abolition du servage. Il leur fallut bien évidemment travailler beaucoup pour économiser le prix qu’ils valaient. Ceux qui le purent étaient généralement des hommes talentueux et entreprenants, comme Ivan Dourdine.

Domaine public

Après de mauvaises récoltes, le propriétaire d’Ivan Dourdine l’envoya travailler à Moscou. Le paysan alors âgé de 20 ans trouva une place dans un magasin de bière. Le marchand qui l’avait embauché fut tellement satisfait de lui qu’il en fit le gérant de sa nouvelle brasserie à Saint-Pétersbourg. Ivan Dourdine y gagna suffisamment pour se libérer lui et libérer toute sa famille de la servitude.

Au milieu des années 1830, il racheta la brasserie dont il était le gérant et en fonda une autre. Il devint ainsi l’un des plus gros brasseurs et marchands de bière de la capitale.

Celui qui fit découvrir la bière à l’élite de l’empire

Entrepreneur né, Ivan Dourdine acquit fortune et reconnaissance. L’ancien serf, désormais marchand de la 1re guilde (c’est-à-dire les plus riches de l’empire russe) et « citoyen d’honneur héréditaire » (statut qui donnait droits et privilèges), ne faisait pas que brasser de la bière. Il en fit un produit de grande consommation dans toutes les classes supérieures de la société.

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Domaine public

Au XIXe siècle, la bière était considérée comme la boisson du pauvre. Les gens situés au bas de l’échelle sociale en buvaient beaucoup. Ivan Dourdine donnaient aux productions de ses brasseries des noms élégants et en faisait la promotion sur des affiches très colorées. La bière devint une boisson à la mode que tous se mirent à boire.

« Пильзеньское », « Шведское », « Кабинетное », « Баварское », « Богемское » (bières de Pilsen, de Suède, de Salon, de Bavière, de Bohême)... autant de variétés que Saint-Pétersbourg n’avait jamais connues avant qu’Ivan Dourdine ne les fabrique. Elles plaisaient à la noblesse de la capitale qui n’avait longtemps bu que du vin. Le brasseur exploita l’anglomanie de l’époque et proposa une porter que, disait-on, aimait le tsar Alexandre II.

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Les brasseries d’Ivan Dourdine produisaient environ un million de seaux de bière par an, ainsi que de la медовуха (midavoukha), du квас (kvas) et de la limonade.

En 1857, la qualité des bières d’Ivan Dourdine et ses mérites personnels furent reconnus par décret impérial. Il obtint ainsi le droit de représenter l’aigle bicéphale sur les étiquettes de ses bouteilles, dont la forme de pyramide étirée les rendait reconnaissables entre toutes.

Dynastie de brasseurs

Ivan Dourdine envoya ses fils étudier en Europe occidentale, notamment à Dresde. Ils découvrirent la Bohême et, en particulier, Pilsen (Plzeň). Ce fut à leur retour que furent commercialisées les bières de Pilsen et de Bohême. Ivan et Alexeï Dourdine prirent la tête de la Société de l’usine Ivan Dourine de brasserie de bière et de médovoukha. A Saint-Pétersbourg, ils possédaient des immeubles de rapport. Plus tard, ils ouvrirent un cabaret et une joaillerie.

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En 1878, Ivan, un des petit-fils d’Ivan Dourdine, ouvrit la brasserie « Bohème » à Rybinsk. L’entreprise devint la plus grande de la ville.

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Andreï, un autre de ses petits-fils, fonda à Nijni-Novgorod en 1894 la brasserie « Nouvelle Bavière » qui devint fournisseur de la cour impériale.

Les entreprises des Dourdine souffrirent du déclenchement de la Première Guerre Mondiale et du décret de prohibition de 1914. Après la Révolution d’Octobre, elles furent nationalisées. Beaucoup d’entre elles sont toujours en activité.

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