Les marieuses, personnages clefs des unions entre familles de marchands au XIXe siècle
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Dans les milieux aristocratiques, le rôle des marieurs était souvent tenu par des parents ou des dames du monde. Les fiancés et fiancées en puissance se rencontraient aux bals. Dans les milieux bourgeois et ouvriers, les jeunes gens faisaient eux-mêmes connaissance à l’église et lors des périodes de fêtes. Dans le milieu traditionnellement fermé des marchands, les marieuses étaient indispensables. À de rares exceptions, les filles de famille de marchands n’avaient pas le droit de sortir. C’est pourquoi les mariages se faisaient par leur intermédiaire.
La marieuse était généralement une femme d’âge mûr, souvent veuve, qui avait l’expérience de la vie et des gens. Elle rassemblait des informations sur les familles et les jeunes gens en âge d’être mariés. À une famille comme à une autre, elle devait tout à la fois communiquer des renseignements dignes de foi et vanter les qualités du jeune homme et de la jeune fille à marier. D’un garçon, elle pouvait dire non pas qu’il « boit » mais qu’il est « guilleret » ; d’un homme, non pas qu’il est « vieux » mais « solide, d’un certain âge » ; d’une fille, qu’elle n’est pas « maladive » mais « délicate », non pas qu’elle est « pauvre » mais « d’une bonne famille peu fortunée, qu’elle est modeste et habile aux travaux d’aiguille ».
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Si l’homme, quel qu’ait été son âge, voulait épouser une jeune femme brune, on lui promettait une beauté aux cheveux noirs, même si la candidate désignée était blonde comme les blés. Il arrivait qu’on découvre après la noce que sa chevelure avait tout simplement été enduite de suie.
Dans la mesure où le premier venu ne pouvait s’introduire dans les maisons des marchands, les marieuses devaient ruser. Une marieuse expérimentée savait gagner l’amitié de la domesticité et finissait par obtenir des femmes de chambre et des cuisinières des informations sur les mœurs et les inclinations de leurs maîtres. Sous le prétexte de vendre de la mercerie, elle se présentait ensuite à la maîtresse de maison en sachant déjà comment agir.
Tous les renseignements qu’une marieuse avait glânés lui permettaient de se faire une idée précise de la fortune de la famille, information indispensable pour mener les négociations concernant la dot (sans laquelle le mariage ne se ferait pas), connaître le prix de chaque chose et marchander au mieux.
La marieuse organisait l’examen de la fiancée, c’est-à-dire la première visite de la famille du jeune homme dans la famille de la jeune fille. Celle-ci était parée de ses plus beaux atours et assise dans le coin rouge de la maison. Elle devait faire preuve de modestie et d’humilité et ne pas lever les yeux. La marieuse dirigeait le spectacle en soufflant à la jeune fille quand se mettre debout, quand traverser la pièce pour montrer qu’elle avait du maintien et était en bonne santé. La marieuse assurait également les parties que le mariage à venir est recevable du point de vue de l’Église (par exemple, parce que le fiancé n’était pas déjà marié).
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Jouer l’entremetteuse était une entreprise de longue haleine et onéreuse. C’est pourquoi les commissions des bonnes marieuses étaient élevées. Dans sa pièce Le Mariage de Balsaminov, Alexandre Ostrovski illustre cette réalité : la marieuse demande 2 000 roubles et fait établir un contrat écrit pour s’assurer cette rétribution.
S’il pouvait être très rentable, le métier de marieuse était dangereux. S’ils estimaient avoir été trompés, le jeune époux ou sa famille pouvaient s’en prendre physiquement à la marieuse. Elle risquait alors de rester sans rémunération aucune et avec des bleus.
À la fin du XIXe siècle, les mœurs des familles de marchands évoluèrent. Les jeunes gens purent alors faire connaissance seuls. Les marieuses se firent de plus en plus rares. On en trouve encore dans les milieux où le patriarcat est fermement établi, par exemple dans certaines communautés religieuses.
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