Est-il vrai que les Russes se battaient contre des ours?
Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Le divertissement de l’ours est une ancienne tradition russe, autrefois appréciée par tout le monde, des paysans aux boyards. Le spectacle pouvait être présenté pour le plaisir, mais c’est surtout lors de festivités que l’on trouvait des ours savants. Les dresseurs attrapaient ou achetaient des oursons et en faisaient des animaux de cirque. Ce travail était un véritable business – et assez cruel.
Comment apprivoiser un ours
Les ours, très nombreux dans les forêts russes, étaient plus faciles à dompter que d’autres animaux sauvages. Les petits oursons étaient capturés dans la forêt et vendus entre un et quatre roubles aux dresseurs. Un grand ours savant pouvait en coûter plus de cent – tels étaient les tarifs à la fin du XIXe siècle. À titre de comparaison, en 1884, un professeur d’université gagnait environ 83 roubles par mois.
Les méthodes utilisées pour dresser les petits ours étaient loin d’être humaines. Pour apprendre aux oursons à se tenir debout et à marcher sur leurs pattes arrière, on les chaussait de lapti (souliers russes traditionnels en écorce de bouleau tressée), puis on les enfermait dans une cage en cuivre dont on chauffait le fond. Lorsque le fond commençait à brûler leurs pattes avant, non protégées, les oursons se dressaient sur leurs pattes arrière chaussées. Le dresseur frappait alors un tambourin. Ensuite, lorsque les oursons étaient libérés de la cage, en entendant le son du tambourin, ils commençaient par réflexe à marcher sur leurs pattes arrière.
Après cette « formation », les griffes et les dents des ours étaient limées et un anneau leur était passé dans le nez et les lèvres. La traction de l’anneau causait une grande douleur à l’ours, qui était forcé d’obéir aux instructions. L’on allait jusqu’à crever les yeux de ceux qui ne pouvaient pas être complètement apprivoisés afin d’assurer la sécurité du guide.
La comédie de l’ours
Le divertissement de l’ours était divisé en trois parties : la comédie de l’ours, la chasse à l’ours et le combat de l’ours. La comédie de l’ours était un jeu de scènes dans lequel l’ours imitait un être humain et son guide accompagnait le spectacle d’explications. Dans son récit L’arrivée du chef avec un ours, l’historien Dmitri Rovinski décrivait ainsi la comédie : « "Eh bien, Michenka", commence le chef, "incline-toi devant les honnêtes messieurs et montre ta science, ce que le sacristain t’a enseigné à l’école, par quelle intelligence il t’a récompensé. Et comme les vierges rouges, les jeunes femmes, se blanchissent, se rougissent, se regardent dans le miroir, se font belles". L’ours s’assoit par terre, se frotte le museau d’une patte et fait tourner l’autre devant lui – imitant une jeune fille se regardant dans le miroir ».
Les dresseurs donnaient ainsi l’impression que l’ours comprenait le langage humain.
Un autre participant traditionnel à la comédie de l’ours était un garçon jouant le rôle d’une chèvre. L’apprenti du dresseur enfilait un sac, duquel, par un trou, était brandit un bâton avec une fausse tête de chèvre et des cornes. Une langue en bois était attachée à la tête, qui produisait un grand bruit. Le garçon ainsi déguisé courait autour de l’ours et le narguait en lui donnant des coups de cornes et en l’excitant. L’ours grognait et s’étirait de toute sa hauteur, mais le guide tirait sur l’anneau et l’animal se mettait à danser. À la fin du spectacle, l’ours lui-même recueillait la gratitude du public dans le chapeau de son maître.
Combat de l’ours
Les spectacles d’ours ne se terminaient toutefois pas toujours bien. Parfois, le guide se battait avec l’animal – et il avait beaucoup de chance s’il terminait le spectacle sans fractures. Cependant, il y avait aussi ceux qui allaient se battre avec des ours sauvages non dressés !
Un homme muni d’une fourche ou d’une lance était placé dans un cercle fortifié et un ours sauvage était lâché sur lui. Si le combattant tuait l’ours, il recevait de l’argent du trésor du souverain, ce qui était suffisant pour acheter un bon tissu pour un caftan, et était admis dans les caves royales. Si le combattant n’avait pas de chance, il mourait. Ce divertissement s’appelait le combat de l’ours, et il a été populaire jusqu’au XVIIIe siècle, jusqu’à ce qu’il disparaisse en raison de sa cruauté. Toutefois, à l’époque, ce loisir semblait tout à fait normal. Tout d’abord, les chasseurs se rendaient seuls à l’ours dans le cadre d’une véritable chasse. Deuxièmement, la participation à ces spectacles était volontaire. Ils se déroulaient généralement à la cour, et c’est pourquoi y prenaient le plus souvent part des membres de l’ordre de la chasse – le service responsable de la chasse aux animaux et des domaines de chasse du tsar. Il s’agissait donc en quelque sorte de professionnels.
Condamnation et interdiction
Dans le Domostroï, un recueil de conseils sur tous les domaines de la vie écrit au XVIe siècle, les divertissements de l’ours sont condamnés. L’auteur les qualifie d’« affaire odieuse » et assimile même les dresseurs aux sorciers et aux diseurs de bonne aventure, qui étaient excommuniés de l’Église pendant 6 ans s’ils étaient pris en flagrant délit.
Malgré cela, la tradition s’est avérée très persistante et populaire auprès de la population – des villages entiers se réunissaient pour assister aux spectacles des dresseurs.
En 1867, les divertissements de l’ours ont été officiellement interdits grâce au travail des associations de protection des animaux et à un décret du Sénat interdisant la comédie de l’ours. Cependant, ces traditions n’ont complètement disparu que dans les années 1930.
Dans cet autre article, découvrez pourquoi les ours sont vénérés en Sibérie.