Lady Death: la Soviétique qui a éliminé 309 nazis et s’est liée d’amitié avec Eleanor Roosevelt
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Le 27 août 1942, Lioudmila Pavlitchenko est devenue la première citoyenne de l’URSS à visiter la Maison Blanche à Washington. La jeune fille a alors brièvement rencontré le président américain Franklin Roosevelt, puis s’est entretenue avec son épouse Eleanor. La Première dame s’est liée d’amitié avec la visiteuse soviétique et lui a ensuite organisé un voyage à travers le pays. Quelques mois plus tôt, Lioudmila, âgée de 25 ans, avait reçu sa quatrième blessure et avait été évacuée des lignes de front de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de la première année de la lutte sanglante contre Hitler, la jeune tireuse d’élite avait tué 309 nazis.
« J’ai décidé de prouver que les filles sont également capables de bien tirer »
« Le premier travail de tireur d’élite était la chasse au sniper. En été, nous sortions par deux à quatre heures et demie du matin. Un binôme s’allonge à un endroit, à 300-400 mètres de là – un autre. On ne peut pas se parler, on ne peut pas siffler, on ne peut pas bouger, on ne peut pas fumer et on ne peut rien faire du tout. Cela dure jusqu’à 9 ou 10 heures du soir. Pendant ce temps, un sniper peut tuer 5 fascistes. Peut-être trois. Ou peut-être aucun. Tout dépend de la mobilité des silhouettes ennemies. Nous n’ouvrions pas le feu au premier coup, mais seulement sur des silhouettes précises », a relaté Lioudmila Pavlitchenko.
Lioudmila est née en 1916 dans la ville de Belaïa Tserkov, près de Kiev. Dès l’enfance, elle se distinguait par son physique athlétique et son esprit combatif, s’efforçant de ne pas être inférieure aux garçons en quoi que ce soit. Lorsque Lioudmila est passée en dixième année d’école (15-16 ans), elle a commencé à travailler à l’usine d’armes Arsenal. C’est là qu’elle a pris goût au tir et qu’elle a même suivi un cours de courte durée pour tireurs d’élite.
« Lorsque j’ai entendu un voisin se vanter de ses exploits au stand de tir, j’ai décidé de prouver que les filles sont également capables de bien tirer, et j’ai commencé à m’entraîner avec acharnement et persévérance », a déclaré Pavlitchenko à des journalistes américains.
En 1937, Lioudmila est entrée au département d’histoire de l’Université de Kiev, souhaitant devenir enseignante ou scientifique. Cependant, elle n’a pas pu terminer ses études : la guerre l’a surprise en stage de prédiplôme à Odessa. Lorsque les troupes hitlériennes ont entrepris l’invasion de l’URSS, Pavlitchenko a fermement décidé d’aller au front en tant que volontaire. Toutefois, les choses n’étaient pas si simples. Elle est loin d’avoir été immédiatement prise dans les rangs des soldats et les refus s’accompagnaient de conseils de s’orienter plutôt vers les unités d’infirmières. « Les filles n’étaient pas admises dans l’armée, et j’ai dû recourir à toutes sortes d’astuces pour devenir soldat moi aussi », a-t-elle témoigné.
La femme tireur d’élite la plus redoutable
« Le deuxième type de travail est le duel de tireurs d’élite. Pour trouver un sniper ennemi, vous devez passer environ 48 heures. Il y a des détails de vérification – les tireurs d’élite se tendent mutuellement des pièges. S’il tombe dans votre piège, vous serez le vainqueur. Si vous tombez dans son piège, c’est pire. Grâce à votre fusil et à une visée très précise, vous pouvez voir la couleur des cheveux, la couleur des yeux et même déterminer l’âge de votre adversaire. Il pourra également vous regarder de près. Mais le moment de tirer n’est pas encore venu. Un tireur d’élite n’a jamais de deuxième chance. Il faudra peut-être encore 8 à 10 heures pour que le tireur d’élite se montre. Les mitrailleurs ennemis vous nargueront et vous devrez endurer en silence. C’est très difficile. Ce n’est que lorsque le sniper croit que vous n’êtes plus là qu’il peut se lever. Et alors, le tir est déjà le vôtre », peut-on lire dans les mémoires de Lioudmila Pavlitchenko.
Pour entrer dans les rangs de l’Armée rouge, Lioudmila a dû prouver son habileté avec les armes et passer un test improvisé. On lui a remis un fusil, puis on lui a indiqué deux officiers roumains qui avaient travaillé avec les nazis. Ce n’est qu’en les tuant qu’elle a prouvé sa volonté de se battre sur un pied d’égalité avec les hommes. Cependant, Lioudmila n’a pas inclus ces individus dans sa liste des 309, elle a évalué ces éliminations comme des essais. Le soldat Pavlitchenko a été enrôlé dans la 25e division de fusiliers de l’Armée rouge du nom de Vassili Tchapaïev, un célèbre commandant militaire de la guerre civile.
Au cours des premiers mois de la Grande Guerre patriotique, Lioudmila a combattu en Moldavie et à Odessa. Ici déjà, plus d’une centaine de soldats et d’officiers nazis ont été tués par son fusil. Son régiment a ensuite été transféré en Crimée et elle a participé à la défense héroïque de Sébastopol.
Lors de la bataille de Sébastopol, les Allemands étaient nettement plus nombreux que les soldats soviétiques et Lioudmila avait donc de nombreuses cibles. Avec 257 hitlériens tués en mai 1942, elle s’est attiré les louanges du conseil militaire de l’Armée rouge du front sud. En réponse, la tireuse d’élite la plus précise de l’armée soviétique a promis d’en tuer encore plus. Les dirigeants ont particulièrement remarqué son habileté dans les duels de tireurs d’élite : Lioudmila a détruit 36 snipers ennemis, que la Wehrmacht avait envoyés spécialement pour l’éliminer.
Pavlitchenko a ainsi été promue au rang de lieutenant principal et a pris la tête d’une section de fusiliers, qu’elle a elle-même formée à partir de soldats récemment arrivés sur le front. Pour le supérieur immédiat de Lioudmila, le lieutenant principal Dronine, cette nomination semblait anormale. Selon lui, il était absurde de voir une femme occuper un poste d’officier, mais il ne s’est pas opposé aux ordres de ses supérieurs.
L’amour et la mort
« Lorsque les snipers s’éloignent de l’ennemi, si l’un d’entre nous tombe – et un sniper ne tombe pas s’il est blessé, seulement s’il est mort – toute l’équipe embusquée s’arrête immédiatement et s’engage au combat. Et si quelqu’un d’autre meurt, le camarade sera quand même emmené. On ne peut pas laisser le corps d’un camarade sur le terrain capturé par l’ennemi. Ce n’était écrit dans aucun règlement, mais c’était une loi stricte parmi les tireurs d’élite », soulignait Lioudmila Pavlitchenko.
Avant la guerre, sa vie personnelle n’avait pas été rose. Son enfance s’était terminée assez tôt : à l’âge de 15 ans, elle avait donné naissance à un fils, Rostislav. Alexeï Pavlitchenko, le père de l’enfant, était beaucoup plus âgé que Lioudmila. La jeune fille n’était pas heureuse dans son mariage et avait bientôt divorcé de son mari, retournant vivre avec ses parents. Elle n’a parlé à personne de son mariage précoce et ne l’a même pas mentionné dans sa brève Autobiographie, aujourd’hui conservée aux Archives centrales du ministère de la Défense de la Fédération de Russie.
Lioudmila a rencontré l’amour principal de sa vie au front. Au cours des batailles près de Sébastopol, elle a rencontré le lieutenant Leonid Kitsenko, qui était également tireur d’élite. Les soirées autour d’un feu de camp à raconter des histoires sur la vie quotidienne des snipers se sont rapidement transformées en une histoire d’amour sur le front. Les deux tourtereaux ont commencé à participer ensemble à des missions de combat, ce qui a renforcé leur relation. Bientôt, Lioudmila et Leonid ont présenté à leurs supérieurs un rapport concernant leur mariage, mais la guerre ne leur a pas permis de devenir officiellement mari et femme.
En mars 1942, les nazis ont couvert les positions des tireurs d’élite de l’Armée rouge avec des tirs de mortier, et Leonid s’est retrouvé mortellement blessé. Lioudmila a miraculeusement survécu : son amant l’a protégée des éclats d’obus avec son propre corps. Elle a transporté Leonid hors du champ de bataille, mais il n’a pu être sauvé.
La mort du lieutenant Kitsenko n’a fait qu’endurcir l’esprit combatif de Lioudmila, qui a commencé à se battre encore plus férocement contre les envahisseurs. Pavlitchenko a avoué qu’elle tuait les hitlériens sans regret, et que la seule chose qu’elle ressentait était la « satisfaction du chasseur » qui tue un animal prédateur : « Tout Allemand vivant et en bonne santé peut facilement tuer une femme, un enfant et n’importe qui d’autre. En tuant des Allemands, je sauve donc des vies ».
Cependant, en juin 1942, Lioudmila a finalement été gravement blessée lors d’une attaque au mortier. Elle a alors été évacuée de la ville assiégée de Sébastopol et envoyée dans le Caucase, puis rappelée du front. Sa prochaine mission serait d’une tout autre nature.
Voyage aux États-Unis
« Les nazis étaient tellement offensés par les tireurs d’élite de Sébastopol et d’Odessa qu’en avril 1942, ils ont remplacé tous les artilleurs et envoyé leurs as à Sébastopol. À la radio, les hitlériens ont déclaré que tous les tireurs d’élite de Sébastopol seraient détruits. Pour nous, c’était une très grande insulte. Nous avons décidé d’aller sur le terrain et avons passé plus d’une journée à trouver cet as. Les gars ont décidé de le prendre vivant, il n’a pas résisté. Son carnet de tireur d’élite portait le numéro "502". Nous lui avons demandé d’où venait un tel nombre et sur quelles zones ils travaillaient. Nous avons appris que le sniper nazi avait été diplômé d’une école de tireurs d’élite pour officiers et que, pour s’habituer à tuer, il avait été envoyé surveiller les camps de la mort. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment un tireur d’élite peut tuer une femme, un enfant, un homme prisonnier de guerre désarmé. À mon avis, cela relève de la bestialité, et non du travail de tireur », lit-on dans les souvenirs de Lioudmila Pavlitchenko.
Aux États-Unis, Lioudmila a été chargée d’une importante mission diplomatique : convaincre les Américains de la nécessité d’ouvrir un second front. Cela devait diviser les forces d’Hitler et permettre à l’armée soviétique de contre-attaquer.
Pavlitchenko est arrivée aux États-Unis à la fin du mois d’août 1942 en compagnie de Nikolaï Krassavtchenko, secrétaire du comité du Komsomol de la ville de Moscou, et de Vladimir Ptchelintsev, un tireur d’élite. La délégation soviétique y a été accueillie chaleureusement : « À notre grande surprise, la gare était pleine d’étudiants. Ils venaient de tous les pays pour saluer l’Armée rouge par le biais de notre personne. Une armée qui se bat jusqu’à la mort contre les fascistes ».
Lioudmila est immédiatement devenue une star des journaux américains, mais les journalistes parlaient souvent d’elle dans un contexte qui n’était pas celui qu’elle aurait souhaité. Elle était en effet bombardée de questions gênantes, voire absurdes : « Pourquoi une tireuse d’élite soviétique ne fait-elle pas attention à son apparence ? Les femmes russes sont-elles autorisées à se maquiller au front ? Quelle couleur de sous-vêtements préférez-vous ? ».
Lioudmila a repoussé de toutes ses forces les assauts de la presse américaine : « Je porte mon uniforme avec fierté ! L’Ordre de Lénine sur ma poitrine a été lavé dans le sang. Il est évident que pour les Américaines, il est beaucoup plus important d’avoir des sous-vêtements en soie sous l’uniforme que l’uniforme lui-même, dont elles n’ont d’ailleurs pas encore appris la véritable fonction ».
Pavlitchenko a passé trois mois aux États-Unis, au cours desquels elle a eu de nombreuses conversations avec Eleanor Roosevelt. Il semble que la Première dame ait donné à la jeune Soviétique des conseils utiles pour communiquer avec la presse, car au fil du temps, son discours est devenu de plus en plus convaincant. Elle est intervenue devant des milliers de personnes, racontant sa jeunesse et ses jours au front, ainsi que les atrocités commises par les nazis dans son pays natal. Le public a donné à Lioudmila le surnom de « Lady Death » (Dame Mort), et le célèbre chanteur de country américain Woody Guthrie lui a dédié la chanson Miss Pavlichenko, dont les paroles se traduisent ainsi : « Ce monde aimera votre doux visage comme je l’ai fait ; car plus de trois cents chiens nazis sont tombés sous vos balles ».
Lioudmila n’a jamais oublié l’objectif principal de sa visite aux États-Unis et a continué à insister sur le fait que les Américains se devaient d’aider l’Europe et l’Union soviétique dans la lutte contre Hitler. Lors d’une conférence de presse, fatiguée des questions habituelles sur la vie d’une tireuse d’élite, Pavlitchenko a prononcé sa célèbre phrase : « J’ai 25 ans, au front, j’ai réussi à détruire 309 envahisseurs fascistes. Ne pensez-vous pas, messieurs, que vous vous cachez dans mon dos depuis trop longtemps ? ». Le public a accueilli ces paroles par des applaudissements et la société américaine a pris conscience de la nécessité d’aider le front de l’Est. Les autorités américaines ont alors augmenté les livraisons d’armes et d’équipements à l’URSS, mais l’ouverture tant attendue du deuxième front n’a lieu que deux ans plus tard, à l’été 1944, alors que l’armée soviétique avait déjà pris l’initiative et mené une contre-offensive active contre les nazis.
De retour en URSS, Lioudmila Pavlitchenko a commencé à former des tireurs dans le cadre de cours de sniper. Plus de 1 000 élèves sont passés par son école, dont beaucoup sont devenus d’excellents tireurs d’élite et ont aidé le pays à remporter la Seconde Guerre mondiale. En 1943, les dirigeants ont décerné à Lioudmila la plus haute distinction : le titre de Héros de l’Union soviétique. Après le conflit, elle a enfin soutenu son diplôme à l’Université de Kiev et est devenue chercheuse principale à l’État-major de la marine de l’URSS.
Lioudmila est restée en contact avec Eleanor Roosevelt, et toutes deux continueront à échanger des lettres jusqu’à la mort de la Première dame. En 1957, elles se sont à nouveau rencontrées lorsque l’Américaine est arrivée à Moscou pour une visite d’affaires. Lioudmila a alors reçu Eleanor dans son appartement, où elles ont pu discuter chaleureusement et se souvenir du voyage à travers les États-Unis qui avait fait d’elles des amies.
Lioudmila Pavlitchenko est décédée en 1974 à l’âge de 58 ans. Sa santé avait été gravement affectée par ses blessures au front. La tireuse d’élite la plus redoutable a été enterrée au cimetière de Novodievitchi, à Moscou.
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