Trois contes russes dont la publication a été interdite

Éditions du Conseil des députés des travailleurs et de l'Armée rouge de Petrograd, 1919
Éditions du Conseil des députés des travailleurs et de l'Armée rouge de Petrograd, 1919
Ces histoires magiques étaient considérées comme dangereuses: avant la révolution, les censeurs y voyaient une calomnie envers le tsar, et à l’époque soviétique, elles étaient jugées... trop magiques!

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Le Petit cheval bossu

Domaine public
Domaine public

Il était une fois trois frères. Le plus jeune, Ivan l’imbécile (aussi traduit comme Ivan le fou ou Ivan l’idiot), a hérité d’un petit cheval bossu magique. Celui-ci l’aide dans toutes ses aventures : grâce à lui, Ivan obtient la plume de l’Oiseau de feu, épouse la Tsar-donzelle et devient enfin tsar lui-même.

L’on pourrait penser qu’un tel scénario ne peut être interprété de manière détournée ? Et pourtant, le conte en vers de Piotr Erchov a été interdit plus d’une fois. Au début, l’on y a vu une satire du tsar (dans le conte, non seulement le monarque envoie Ivan voler la Tsar-donzelle, mais il exige ensuite que celui-ci se baigne à sa place dans du lait bouillant, c’est-à-dire qu’il l’envoie à une mort certaine). En raison de ces « ambiguïtés » du point de vue des autorités, Le Petit cheval bossu a été soumis à 13 années d’interdiction !

Après la révolution, l’histoire s’est répétée, et le conte a de nouveau été interdit à cause du tsar. Tout était dans la description : le peuple l’accueillait en tombant à genoux. Les changements politiques ont également eu une incidence sur le conte plus tard, mais dans le contexte de la lutte contre les koulaks (paysans aisés), les censeurs trop vigilants ont soupçonné le personnage principal du conte d’être issu de cette classe sociale.

Riaba la poule

Éditions pour enfants du Comité central du Komsomol (organisation de la jeunesse communiste), 1936
Éditions pour enfants du Comité central du Komsomol (organisation de la jeunesse communiste), 1936

C’est avec cette histoire que les enfants russes découvrent les contes. Une poule bigarrée pond un œuf, non pas un œuf ordinaire, mais en or. Personne ne parvient à le casser, jusqu’à ce qu’une souris qui passe par là le heurte avec sa queue. La coquille se fend et les propriétaires de la poule se mettent à pleurer amèrement. Elle promet alors de pondre la prochaine fois un œuf ordinaire, et non doré.

Dans les années 1920, le jeune État soviétique luttait contre la littérature néfaste de l’époque tsariste, dont faisaient partie des contes tout à fait inoffensifs. Et ce, uniquement parce que leur intrigue n’était pas très réaliste. Jugez par vous-mêmes, les poules pondent-elles des œufs en or ? Ou peut-être parlent-elles ? Il s’avère donc que c’est du « mysticisme et de l’anthropomorphisme », dont les enfants soviétiques n’avaient pas besoin.

Le conte a cependant été sauvé... par la bureaucratie. Plusieurs commissions ont immédiatement débattu de la question de savoir s’il fallait l’interdire ou non. Néanmoins, la Direction générale de l’éducation sociale du Commissariat du peuple (équivalent de ministère) à l’Éducation s’est opposée à l’interdiction, estimant que les enseignants devaient simplement expliquer qu’il s’agissait d’une invention. C’est ainsi que le conte a été épargné.

Le Crocodile

Éditions du Conseil des députés des travailleurs et de l'Armée rouge de Petrograd, 1919
Éditions du Conseil des députés des travailleurs et de l'Armée rouge de Petrograd, 1919

« C’est de la vase bourgeoise ! », a déclaré Nadejda Kroupskaïa, l’épouse de Lénine, stigmatisant le conte en vers de Korneï Tchoukovski. Elle lui a consacré un article dans lequel elle expliquait en détail que les enfants soviétiques n’avaient pas besoin d’une telle littérature, car dans la réalité, les animaux ne portent pas de chapeaux, ne fument pas de cigares, et de plus, ce conte « nuisible » est totalement dépourvu de sens politique clair. À partir des années 1920, Le Crocodile a donc été interdit, et le conte n’est revenu aux lecteurs qu’au milieu des années 1950.

D’autres œuvres de l’un des poètes pour enfants les plus appréciés de l’Union soviétique furent également touchées. Quelques années plus tôt, Moïdodyr et même Mouche-Tsikatouche avaient connu le même sort. Les censeurs y avaient vu un sous-entendu politique dangereux, et la mouche qui « se promenait dans les champs » et « trouvait de l’argent » leur semblait trop bourgeoise. En 1929, Korneï Tchoukovski a été contraint de renoncer publiquement à ses œuvres.

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