Quels vins boivent les héros de la littérature russe?

KTSDESIGN/SCIENCE PHOTO LIBRARY/Getty Images
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Champagne, madère, bordeaux, sauternes: les personnages de la littérature classique russe s’y connaissaient en vins.

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Champagne

John Keeble/Getty Images
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« Quand les pensées moroses t’importunent, débouche une bouteille de champagne ou relis “Le Mariage De Figaro” pour t’en débarrasser ». C’est le conseil que Salieri donnait à Mozart dans Mozart et Salieri de Pouchkine, mais il semble que le poète lui-même n’était pas contre l’idée de le suivre.

Dans nombre de ses œuvres, les héros boivent en effet précisément ce vin joyeux et pétillant. Par exemple, le héros principal d’Eugène Onéguine se rend dans un restaurant français pour déjeuner : « Il arrive chez Talon, sûr que Kavérine l’y attend. Il entre, et le bouchon saute au plafond ; le vin de la comète jaillit ».

Il s’agit à nouveau de champagne, et pas n’importe lequel, celui de 1811, année où la grande comète fut visible dans le ciel pendant longtemps. La récolte de raisin fut si bonne cette année-là que les vignerons conclurent immédiatement que cela était dû à cet objet céleste. Barbe-Nicole Clicquot-Ponsardin partageait cet avis et commercialisa un vin mousseux portant la mention « Vin de Bouzy, 1811, de la Comète ». Une partie des bouteilles fut expédiée en Russie, il est donc probable qu’Onéguine ait bu au restaurant précisément ce vin de la veuve Clicquot.

Dans Les Âmes mortes de Nicolas Gogol, l’un des personnages mentait avec inspiration sur les festins et les vins qui coulaient à flots. « Il nous a sorti un Champagne auprès duquel celui du chef-lieu n’est que du kvass ! Un certain Cliquot matradoure, comme qui dirait, vois-tu, du double Cliquot. […] Croirais-tu que pendant le dîner, j’en ai sablé dix-sept à moi tout seul ? », confiait-il à son interlocuteur.

Enfin, pendant le bal chez Woland dans le roman Le Maître et Marguerite, « jaillissaient en moussant des fontaines de champagne, et le vin retombait en pétillant dans trois vasques transparentes ». Les dames, « avec de petits cris, piquaient une tête dans le bassin », jusqu’à ce que Béhémoth transforme le champagne en cognac.

Vins de Tsimliansk

Sergueï Veniavski/Sputnik
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Dans le roman de Pouchkine Doubrovski, l’on boit du mousseux mais pas du français, plutôt du vin de Tsimliansk, qui était produit sur les rives du Don, dans le Sud de la Russie, à partir de cépages locaux. « Le commissaire remit humblement son papier dans sa poche et, sans dire mot, se mit à manger son oie aux choux ; cependant les domestiques faisaient le tour de la table et versaient à boire à chacun. Plusieurs bouteilles de vin de montagne et de Tsimliansk furent débouchées avec bruit et furent accueillies avec bienveillance sous le nom de Champagne ; les visages commençaient à rougir et les conversations devenaient plus bruyantes, plus décousues et plus joyeuses ».

Le vin de Tsimliansk n’était pas non plus un vin bon marché, mais il était tout de même beaucoup plus abordable que le champagne français. Les familles nobles de condition moyenne pouvaient se le permettre lors d’occasions spéciales. Dans un poème dédié au Don, Pouchkine mentionnait « le jus bouillonnant, pétillant de tes vignobles ». Ce vin était également bu dans la maison des Larine dans Eugène Onéguine, « entre le rôti et le blanc-manger ».

Vins rares, et pas seulement

AAron Ontiveroz/Getty Images
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Dans Le Maître et Marguerite de Boulgakov, le procurateur de Judée Ponce Pilate boit lui aussi du vin, un Tsekouba vieux de trente ans. Cependant, lorsqu’Azazello apporte au Maître et à Marguerite un cadeau de Woland, une bouteille de vin de Falerne moisie, il précise que c’est exactement ce que buvait Pilate. Le falerne était un vin très cher et très fort : l’on considérait que la vigne qui le produisait avait été offerte aux hommes par Bacchus, le dieu du vin. Les amoureux du roman le versent dans leurs verres, sans se douter qu’il est empoisonné.

Dans La Mouette de Tchékhov, Arkadina invite tout le monde à table : « Posez le vin rouge et la bière pour Boris Alexéevitch ici, sur la table. Nous boirons en jouant ». Et dans Crime et châtiment de Fiodor Dostoïevski, l’un des personnages commande à boire pour la chanteuse de l’auberge : « Katia but le verre d’un coup, comme font les femmes, c’est-à-dire sans quitter celui-ci des lèvres, en une vingtaine de petite gorgées ».

Vins de dessert

madisonwi/Getty Images
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Dans le roman Les Âmes mortes de Nicolas Gogol, les personnages préfèrent les vins plus sucrés. Par exemple, chez le propriétaire terrien Nozdriov, l’on sert à table du porto et du haut-sauternes, ainsi qu’un certain cocktail de vins – « un vin spécial qu’il baptisa bourguignon-champagnon, ce breuvage ayant, à l’en croire, le bouquet des deux vins ». Ensuite, l’on apporte aux invités une bouteille de madère, qui « emportait le palais ; connaissant le goût de nos gentillâtres, les marchands ont soin de corser ce vin avec du rhum et parfois même de [vodka], persuadés que les estomacs russes supportent tout ».

En général, les héros de la littérature russe aimaient le madère presque autant que le champagne. Par exemple, dans le roman d’Ilia Gontcharov Oblomov, un serviteur se plaint de son maître. Ce dernier en effet « a bu à lui seul une bouteille et demie de madère, deux pintes de kvas, et il s’est couché là-dessus ».

Les héros de Tolstoï s’y connaissaient aussi en vins : dans Guerre et Paix, les scènes de festin regorgent de descriptions détaillées des plats et des boissons qui y étaient servis. Par exemple, lors d’un dîner chez les Rostov, Pierre n’a pas « refusé un seul des vins offerts par le maître d’hôtel, qui tenait majestueusement la bouteille enveloppée d’une serviette, et qui lui glissait mystérieusement à l’oreille : "Madère sec, vin de Hongrie, vin du Rhin !" ».

Dans la pièce d’Anton Tchekhov Une demande en mariage, le demande « avec quoi il faut servir les glaces : avec du rhum, du madère, ou rien du tout ? ». Or, en réponse, le marié ordonne d’apporter encore du haut-sauternes. Enfin, des vins issus du cépage muscat étaient servis lors du banquet de mariage dans le roman d’Alexis Tolstoï Le Prince Serebriany. « Pendant que les invités mangeaient, les serviteurs distribuaient des cruches et des coupes de miel : de cerisier, de genévrier et de cerisier à grappes. D’autres servaient différents vins étrangers : romain, rhénan et muscat. Des sommeliers spéciaux allaient et venaient entre les rangées pour surveiller et servir les tables ».

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