Alexandre Radichtchev, un écrivain russe qui faillit payer de sa vie un de ses écrits
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Alexandre Radichtchev naquit en 1749 à Moscou dans une famille noble. En 1766, il termina l’école militaire du Corps des Pages. Les excellents résultats qu’il y avait obtenus lui valurent d’être envoyé sur décret de l’impératrice Catherine II étudier à l’université de Leipzig. Il y passa cinq années durant lesquelles il apprit l’allemand, le latin, l’italien, le français et l’anglais et suivit des cours de philosophie, d’histoire et de droit, comme cela avait été exigé de lui.
De retour en Russie, il fut assigné comme auditeur au quartier général du général-gouverneur de Saint-Pétersbourg James (Jacob) Bruce (1730-1791). Il y servit jusqu’à obtenir la fonction de chef de la douane municipale en 1790. Alexandre Radichtchev consacrait son temps libre à la littérature : il écrivait de la prose et de la poésie, traduisait des auteurs étrangers. Il suivait attentivement ce qui se passait au-delà des frontières de l’Empire russe, notamment le déroulement de la Révolution américaine. Au début des années 1780, elle lui inspira l’ode La Liberté (Вольность – Volnast’). Par ailleurs, en 1771, il commença à coucher sur le papier ses observations de la vie en Russie. Puis, il reprit ses notes éparses pour écrire son Voyage de Saint-Pétersbourg.
« Un insurgé pire que Pougatchev »
Ce fut en ces termes que Catherine II qualifia Alexandre Radichtchev après la publication de son Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou. L’auteur se défendit plus tard de n’avoir voulu qu’attirer l’attention des propriétaires terriens sur la condition des paysans. Reprenant la composition du Voyage Sentimental à travers la France et l'Italie (A Sentimental Journey Through France and Italy – 1768) de Laurence Sterne, Alexandre Radichtchev composa 25 chapitres, un consacré à chacune des villes où il s’arrêta entre Saint-Pétersbourg et Moscou. Il y décrivit la corruption des fonctionnaires, la violence des propriétaires terriens, la ruse des marchands prêts à tromper le premier venu.
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Le récit d’Alexandre Radichtchev passa miraculeusement la censure. Le grand-maître de police Nikita Ryléiev se contenta de lire les titres des chapitres et conclut bien rapidement qu’il s’agissait d’un... guide. En mai 1790, sans indiquer qu’il en était l’auteur, Alexandre Radichtchev imprima son Voyage de Saint-Pétersbourg dans sa typographie privée à 650 exemplaires. Le poète et homme d’État (à l’époque sénateur) Gavriil Derjavine en reçut un et le donna à Catherine II.
L’épigraphe : « Monstre corpulent, ignominieux, aux cent gueules qui aboient », reprise des Aventures de Télémaque du poète Vassili Trédiakovski, aurait suffi à elle seule à effrayer l’impératrice. Elle lut pourtant tout le récit d’Alexandre Radichtchev et n’y vit rien moins qu’un soutien aux idées promues par la Révolution française. Il fut arrêté et incarcéré à la forteresse Pierre-et-Paul. Il fut accusé d’être l’auteur de mensonges délétères, de saper les fondements de l’ordre public, d’affaiblir le respect dû au pouvoir et d’offenser le pouvoir impérial. Le tribunal le priva de son titre de noblesse, de son titre dans la Table des Rangs et de ses récompenses, ordonna que son ouvrage soit détruit et le condamna à mort. Alexandre Radichtchev attendit plus d’un mois son exécution. Catherine II commua toutefois sa peine en 10 ans de bagne à Ilimsk, dans la région d’Irkoutsk. Elle fit savoir que l’écrivain « ira[it y] pleurer sur le sort lamentable de la paysannerie ».
Retour à Saint-Pétersbourg
Les tours de l’ostrog d’Ilimsk, où Alexandre Radichtchev fut exilé de 1792 à 1796
Peu après être monté sur le trône impérial, Paul Ier (1754-1801) autorisa Alexandre Radichtchev à résider dans sa propriété familiale de Nemtsovo, dans le gouvernement de Kalouga. Plus tard, son titre de noblesse lui fut rendu. À l’été 1801, il fut nommé à la Commission des Lois et, de ce fait, s’établit à Saint-Pétersbourg. Il mourut en septembre de l’année suivante dans des conditions sur lesquelles planent encore le doute. Officiellement, il succomba à la tuberculose. On raconte que dans un moment de confusion mentale, il but un verre d’eau régale (une solution d’acides nitrique et chlorhydrique utilisée pour nettoyer les épaulettes et les boutons des uniformes).
La plupart des 650 exemplaires qu’Alexandre Radichtchev avait tirés de son Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou furent détruits. Mais, le livre fut recopié et passa de main en main. En 1888, son récit fut une nouvelle fois imprimé mais vendu au prix exorbitant de 25 roubles. Ce ne fut qu’après la Révolution de 1905 que l’interdiction de publication fut totalement levée.
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