Que nous montre Nikolaï Nevrev sur son tableau Un protodiacre souhaitant longue vie à un marchand?

Galerie Tretiakov
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Ayant eu vent de l’intention du peintre Nikolaï Nevrev de présenter son protodiacre souhaitant longue vie à un marchand lors de la fête de son saint patron à la Société des amateurs des arts, l’Église orthodoxe russe prit des dispositions pour que le tableau ne soit pas exposé. Pourquoi cette toile l’avait-elle choquée?

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Fils de marchand

Nikolaï Nevrev (1830-1904) sut dès l’enfance qu’il voulait devenir peintre, même si tout laissait présager que sa vocation serait contrariée. Il perdit son père tôt et sa mère l’envoya dans une école pour enfants de la bourgeoisie. Il devait y être formé pour pouvoir ensuite travailler chez un marchand. Peu assidu, il fut rapidement renvoyé. Il ne termina pas non plus l’école de peinture Stroganov. Un jour, un de ses professeurs crut en voyant un de ses bons dessins qu’il l’avait réalisé en décalquant l’objet à travers une plaque de verre. Le jeune homme refusa de se justifier et ne revint pas à l’école.

Galerie Tretiakov
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Nikolaï Nevrev dut attendre d’avoir vingt-ans pour être admis à l’École de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou. Après l’obtention de son diplôme, il commença à réaliser des portraits sur commande. La chance lui sourit alors : il devint l’un des peintres les plus demandés. À la fin des années 1860, il se mit aux scènes de genre, notamment à celles de la vie des marchands. Ses toiles étaient toujours très vivantes et réalistes.

Chantre à une fête patronale

L’un des tableaux les plus brillants de Nikolaï Nevrev reste Un protodiacre souhaitant longue vie à un marchand lors de la fête de son saint patron. Il y représenta un moment d’une fête familiale. Avant la Révolution d’Octobre, les usages étaient de congratuler les gens non à l’occasion de leur anniversaire, mais à celle de la fête de leur saint patron. On se rendait à l’office du matin et la personne qui était l’objet de toutes les attentions ce jour-là communiait. Le soir, on donnait un grand repas où l’on servait obligatoirement des pirogui (tourtes).

Galerie Tretiakov
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Les familles de marchands avaient l’habitude d’inviter des serviteurs du culte pour qu’ils félicitent la personne dont on fêtait le saint patron. Le polychronion, chant par lequel on souhaite longue vie, était obligatoirement interprété à cette occasion. La rémunération en monnaie sonnante et trébuchante du prêtre ou du diacre dépendant du cœur qu’il avait mis à l’ouvrage. Dans son roman L’Année du Seigneur, l’écrivain Ivan Chmeliov décrivit une scène similaire à celle que Nikolaï Nevrev peignit : « Le protodiacre lui a chanté un de ces polychronions ! Personne ne se souvenait avoir ressenti une pareille secousse à l’âme. Quand on repense à la façon dont il est monté vers le "…мно-гая лет-та-а-а-а…", s’est interrompu en plein vol, a écarquillé ses yeux injectés de sang, vraiment terrifiants... a avalé une gorgée d’air, comme il l’aurait fait d’une gorgée d’eau puisée avec une louche, a plastronné et gonflé le ventre ! Tous se sont figés, de peur ou de joie, dans l’attente de ce qui allait arriver... Là, un serveur déjà vieux a laissé tomber une petite cuillère de son plateau. Le protodiacre en a tellement eu le souffle coupé... qu’il en a expiré de ses poumons déjà exténués un bruit tout à la fois de fracas, de cloche et d’éclat de verre ».

Un diacre ridicule à l’outrance

Galerie Tretiakov
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La scène qu’illustra Nikolaï Nevrev se déroule dans la maison d’un marchand opulent. Les cadres des tableaux et les meubles de prix le laissent en tout cas imaginer. Enveloppé dans une soutane de soie, le protodiacre chante à pleins poumons, serre les points, contracte les muscles de son ventre. Au-delà du cadre de la toile, on pourrait presque l’entendre ! Seul le vieillard barbu assis devant lui l’écoute.

Galerie Tretiakov
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Les autres personnages n’ont cure de lui. Les invités alcoolisés chantent leurs propres airs. Le gaillard en pantalon à carreaux ne semble pas en être à sa première bouteille. L’enfant dans les bras de sa nourrice est effrayé par le bruit et pleure. Les femmes assises à la table sur laquelle trône un samovar boivent du thé. La jeune femme du marchand en robe bleue s’est accoudée pour se boucher discrètement au moins une oreille. Leur fils s’est senti obligé d’arrêter de manger sa brioche.

Galerie Tretiakov
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L’Église empêcha Nikolaï Nevrev de présenter sa toile au concours de la Société des amateurs des arts. Elle jugea que le protodiacre avait été tourné en ridicule. Ce tableau trouva néanmoins un acheteur : le marchand Sergueï Karzinkine. Plus tard, sa fille en fit don à la Galerie Tretiakov où il se trouve toujours.

Le tableau Un matin dans une forêt de pins a-t-il vraiment été peint par Chichkine? Trouvez la réponse dans cette autre publication.

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