Cinq romans russes méconnus mais recommandés par les lecteurs de Russia Beyond
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Nous avons demandé à nos abonnés sur Facebook et Telegram quel auteur et/ou ouvrage russe ils pouvaient recommander en toute confiance aux autres lecteurs de Russia Beyond. Beaucoup ont mentionné de bons vieux classiques : Fiodor Dostoïevski (L’Idiot et Les Nuits blanches), Anna Karénine de Léon Tolstoï, Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, les nouvelles d’Anton Tchekhov, Ivan Tourgueniev et ses romans – considérés comme des « portraits vrais et réalistes de la vie provinciale russe à l’époque tsariste » – et même les poèmes du génie Ossip Mandelstam, qui est mort au Goulag.
Cependant, certaines œuvres et certains auteurs mentionnés par nos lecteurs nous ont agréablement surpris et nous n’avons pas pu résister à l’envie de les partager avec vous.
Gueorgui Vladimov, Le Fidèle Rouslan
Millwall Alan : « Ce n’est qu’une nouvelle, mais c’est l’une des meilleures de tous les auteurs, toutes nationalités confondues. Entièrement racontée par un chien ».
Un camp du Goulag en Sibérie est en train d’être dissous. Les chiens de garde sont libérés, mais l’un d’eux, surnommé Rouslan, ne comprend pas ce qui se passe. Il aperçoit un ancien prisonnier à proximité et se met à le suivre partout. L’homme pense que le chien lui montre sa loyauté, mais en fait, Rouslan continue simplement à le surveiller, comme il a été dressé à le faire.
Un jour, un groupe d’ouvriers arrive à la gare et se dirige vers l’ancien camp afin d’organiser la construction d’un bâtiment. Tous les anciens chiens de garde les voient – et les gardent en pensant qu’il s’agit d’un nouveau groupe de prisonniers...
Le Fidèle Rouslan a été écrit au milieu des années 1960 dans le « style dur », courant dans l’art réaliste de l’époque. Il a d’abord été publié en Occident et n’a vu le jour en Russie que pendant la perestroïka. Gueorgui Vladimov était un dissident soviétique qui a été contraint de quitter le pays au début des années 1980. L’auteur disait vouloir montrer « l’enfer à travers les yeux d’un chien qui se croit au paradis ». En réalité, il a réussi à montrer comment le fait de suivre aveuglément les règles peut conduire à une vision pervertie du monde.
Iouri Rytkheou, Contes de la Tchoukotka
Oliver : « Des romans de première main sur la vie dans l’Extrême-Orient de la Russie, la Tchoukotka. Il faut tenir compte du fait que la plupart de ses œuvres ont été écrites pendant l’ère soviétique. Il y a des éléments positifs et critiques sur la vie en URSS, ce qui rend l’œuvre encore plus intéressante ».
Sanzanipolo : « Mieux connaître ses racines peut aider à comprendre la grande diaspora sibéro-américaine ».
Cet écrivain soviétique d’origine tchouktche est aujourd’hui presque oublié en Russie. Iouri Rytkheou a pourtant écrit de nombreux romans et nouvelles, dans lesquels il dépeint sa péninsule natale d’Extrême-Orient avec son climat rude, ses eaux froides et ses réalités rurales.
Iouri Rytkheou est un exemple rare d’auteur issu d’une numériquement petite ethnie indigène, qui a écrit principalement dans sa langue maternelle, le tchouktche, et qui a été acclamé par la critique dans toute l’Union soviétique. Ses romans ont été publiés dans les plus grands magazines littéraires et, dès la fin de la perestroïka, le gouverneur local de l’époque, Roman Abramovitch, lui a accordé une grande promotion en Tchoukotka.
Parallèlement, il a été traduit dans de nombreuses langues étrangères, dont l’anglais, l’allemand, le français et le japonais. Parmi ses œuvres les plus connues, traduites en français, l’on peut citer La Bible tchouktche ou le dernier chaman d’Ouelen, Le Miroir de l’oubli, ou encore Unna.
Evgueni Zamiatine, Nous autres
David Truman : « Une prévision incroyablement prémonitoire de la perspective totalitaire du bolchévisme ».
Le roman dystopique de science-fiction Nous autres (1920) de Zamiatine décrit un État totalitaire qui rappelle fortement le communisme en temps de guerre, dans lequel même la vie privée d’une personne est sous le contrôle des autorités. Les censeurs soviétiques ont (à juste titre) considéré le roman comme une parodie du système soviétique et ont perçu certaines de ses références aux événements de la guerre civile comme peu flatteuses pour les bolcheviks.
Le livre a par conséquent été interdit en URSS jusqu’en 1988, bien qu’il ait été publié en Occident dans les années 1920. L’auteur a même été arrêté, mais grâce au soutien de certaines personnes influentes, Staline a autorisé à Zamiatine à quitter le pays. Ce roman dystopique aurait grandement influencé George Orwell et Aldous Huxley dans la rédaction de 1984 et du Meilleur des mondes.
Vassili Grossman, Stalingrad. Choses vues
Paul B. : « Absolument à couper le souffle. Les personnages, le point de vue, l’odeur de la terre et de l’herbe dans la steppe, les scènes incroyablement vivantes avec Hitler et ses officiers, et chaque personnage qui nous est révélé fidèlement (semble-t-il) et pleinement. Traduit par Roberth Chandler et sa femme Elizabeth. Édité par Chandler et Yuri Bit-Yunan à partir du torrent vertigineux d’éditions et de versions, au fur et à mesure que les censeurs faisaient ce qu’ils voulaient. Heureusement, leur pire n’a pas empêché le roman d’être enfin pleinement livré au monde ».
En tant que correspondant militaire, Vassili Grossman a été un témoin oculaire de la bataille de Stalingrad et a écrit un certain nombre de récits de première main à ce sujet. En 1942, au milieu de la bataille épique sur la Volga, qui a stoppé l’avancée allemande en Union soviétique, Grossman a donc conçu ce roman.
Grossman est parfois considéré comme le « Léon Tolstoï du XXe siècle ». Parallèlement, il a également écrit sur la Seconde Guerre mondiale, notamment Le peuple est immortel et Vie et destin, qui décrivent non seulement les horreurs de la guerre, mais aussi la façon dont la vie des gens ordinaires est gâchée par des événements historiques très turbulents – dont Grossman a lui-même souffert, sa mère ayant été tuée par les nazis dans le ghetto juif de la ville soviétique de Berditchev (aujourd’hui en Ukraine).
Evgueni Vodolazkine, Les Quatre vies d’Arseni
Martin Edasi : « Une lecture qui change la vie ».
Sarah Diligenti : « Evgueni Vodolazkine, tous ses livres sont extraordinaires, et Les Quatre vies d’Arseni, que j’ai déjà lu quatre fois, est un chef-d’œuvre ».
L’histoire se déroule dans la Russie médiévale. La future épouse du jeune Arseni meurt pendant l’accouchement. Il croit que la faute repose sur ses épaules, puisqu’ils n’étaient pas mariés, et décide de se consacrer à une vie de prière pour le salut de l’âme de sa fiancée. Prenant le nom de Lavr, Arseni devient vagabond, effectue un pèlerinage à Jérusalem, avant de s’installer comme moine ermite dans la forêt, où il reçoit et guérit les malades.
Vodolazkine a été le premier auteur moderne à aborder le thème des fols-en-Christ, qui occupent une place importante dans l’histoire médiévale de la Russie. Après la publication du livre en 2012, Vodolazkine, philologue et spécialiste de la Russie médiévale, a été surnommé l’« Umberto Eco russe ». Cependant, malgré l’influence évidente de ce dernier, Les Quatre vies d’Arseni est un roman étonnamment original, imprégné d’une stylisation adroite du langage vieux-russe (ce qui a été un véritable casse-tête pour les traducteurs !).
Dans cet autre article, découvrez des chefs-d’œuvre de la littérature russe conspués par leurs contemporains.