Comment l'église en ruines de Krokhino tente de résister à la montée des eaux
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Au début du XXe siècle, le photographe et inventeur Sergueï Prokoudine-Gorski a élaboré un processus complexe de photographie en couleur. Désireux d'utiliser cette nouvelle méthode pour rendre compte de la diversité de l'Empire russe, il a entrepris de nombreux voyages sur une période de 13 ans, souvent avec le soutien du ministère des Transports. Sa vision de la photographie en tant que forme d'éducation et d'illumination s’est illustrée lors de projections publiques de ses images couleur prises dans des villes et villages historiques, souvent reculés, du cœur de la Russie.
En 1909, Prokoudine-Gorski a voyagé le long du réseaux de canaux Mariinski (maintenant connu sous le nom de voie navigable Volga-Baltique) qui relie Saint-Pétersbourg au bassin de la Volga. Le long de la voie navigable se trouve le lac Blanc (Beloïé ozero) sur le territoire de Vologda ; sa partie sud-est se déverse dans la rivière Cheksna, un affluent de la Volga.
Chaque année, des bateaux de croisière touristiques longent cette voie navigable reliant Moscou et Saint-Pétersbourg, en passant devant le célèbre clocher « sur les vagues » qui faisait à l'origine partie de la cathédrale Saint-Nicolas de Kaliazine (province de Tver).
Construit en 1800 pour desservir l'église principale de la fin du XVIIe siècle du monastère Saint Nicolas Jabenski, le clocher néoclassique à cinq niveaux a été préservé pour servir de phare lorsque la majeure partie de Kaliazine a succombé à la montée des eaux du réservoir d’Ouglitch, qui a été construit en 1939 pour les besoins d’une centrale hydroélectrique et afin d’assurer la navigation accrue sur la Volga. Le clocher de Kaliazine a été périodiquement renforcé et est maintenant ouvert aux visiteurs et aux pèlerins.
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Plus au nord, sur la même voie navigable, se trouve un joyau architectural non moins spectaculaire - l'église partiellement submergée de la Nativité du Christ dans l'ancien village de Krokhino (en Russie, la plupart des églises de la Nativité sont dédiées à la Nativité de la Vierge Marie.)
Située à l'origine sur la haute rive gauche de la rivière Cheksna, près de la ville de Kirillov, l'église de la Nativité, ainsi que le village qui l'entourait, a été engloutie par les eaux du réservoir de Cheksna, créé après la Seconde Guerre mondiale en endiguant la rivière pour les besoins d’un projet hydroélectrique.
Nous avons la chance que Prokoudine-Gorski ait photographié l'église de Krokhino lors de son expédition à l'été 1909. À cette époque, l'église se tenait sur un sol solide dans son petit hameau, à l'abri des remous de la rivière. Mes photographies de l'église en ruines ont été prises depuis le pont d'un croiseur fluvial en août 1991 puis 16 ans plus tard, en juillet 2007. (Selon les horaires, le bateau de croisière ne passe pas toujours par ce site en journée.)
La première mention de Krokhino remonte à 1426 dans les archives du monastère voisin de Kirillo-Belozerski. Des preuves archéologiques semblent relier le village au site de l'ancienne colonie de Beloozero avant son déplacement vers l'ouest, jusqu'au site de l'actuel Belozersk. Pendant des décennies au début du XIXe siècle, Krokhino a prospéré grâce aux travaux fluviaux le long du canal Mariinski.
L'église de la Nativité a apparemment été construite par étapes sur une longue période s’étalant de 1788 à 1820. Sa conception suivait la forme dite en « navire », avec une structure principale en forme de cube, un réfectoire inférieur s'étendant vers l'ouest et un clocher (la proue du « navire ») rattaché à l'extrémité ouest.
Le rez-de-chaussée avait un autel principal dédié à la Nativité du Christ, avec deux autels supplémentaires dédiés aux saints Pierre et Paul et à Saint Nicolas dans l'extension du réfectoire de la partie ouest. La partie supérieure de l'église, construite au début du XIXe siècle et consacrée en 1820, contenait un autel à la Résurrection du Christ.
L'église de la Nativité arbore un style baroque simplifié qui a perduré beaucoup plus longtemps en province qu'à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Dans ces grandes villes, la conception des églises dès les années 1760 avait déjà commencé à suivre le style néoclassique privilégié par Catherine la Grande.
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La structure principale était couronnée d'un octaèdre supportant un toit en bulbes, une « lanterne » octogonale et un dôme unique. Fait intéressant, cette lanterne - un terme architectural désignant une structure au sommet d'un dôme - a probablement sauvé l'église de la démolition.
En 1953, les autorités locales ont décidé de placer un feu de signalisation – une « lanterne » au sens propre - sur l'église comme guide de navigation, alors que la planification de la voie navigable du réservoir de Cheksna avait déjà commencé. La lumière, qui a cessé de fonctionner au début des années 1970, marquait le point où la rivière Cheksna s'écoulait du lac Blanc.
Il y a beaucoup de détails intéressants dans la photographie saisissante de Prokoudine-Gorski, prise du nord-est. Au premier plan se trouve un quai en granit et un pont en planches au-dessus d'un petit canal qui menait à la Cheksna (non visible à gauche de la photographie). Un petit bateau amarré au pont — et même un bateau vert plus petit à la porte - indiquent que l'accès à l'église était possible depuis la rivière.
La structure du portail en trois parties, couronnée de croix légèrement de travers, contient les traces d'une peinture murale de l'Ascension dans son arc central. La porte est reliée à une clôture de fer qui ceint le territoire de l'église.
Le point de vue de Prokoudine-Gorski se concentre sur l'abside polygonale (toujours à l'est) qui contenait les autels originels des niveaux inférieur et supérieur. La fin de la structure absidale est ornée de fresques encadrées sur les deux niveaux. La peinture inférieure montre la Nativité, tandis que la partie supérieure représente la Résurrection - conformément aux consécrations respectives des autels.
Un détail prosaïque révélateur dans la photographie de Prokoudine-Gorski est le tube de cheminée qui s'étend du côté droit de l'abside aux niveaux inférieur et supérieur. Chaque tuyau était relié à un petit poêle à bois pour chauffer l'abside pendant les longs hivers froids et humides. Dans ces églises à deux étages, on ne tenait généralement des offices que dans la partie inférieure (plus facilement chauffée) pendant l'hiver.
Mes photographies d'août 1991 montrent l'abside déjà effondrée, bien que ses contours soient visibles sur le mur est. Cette vue montre également clairement la division intérieure entre les niveaux inférieur et supérieur. Les photographies prises 16 ans plus tard, en juillet 2007, révèlent de manière dramatique l'effondrement du toit et du dôme, ainsi que de la majeure partie de la moitié orientale de la structure principale, réduite à un monticule de briques. Le coin sud-est était encore debout en 2007, mais avec une inclinaison périlleuse. (Il s'est effondré plus tard.)
Depuis plusieurs années, une initiative publique s'efforce de préserver les vestiges de l'église, notamment via la création d'une petite digue pour protéger la fondation. Néanmoins, la collecte des fonds pour la restauration est une tâche ardue. La photographie de Prokoudine-Gorski est d'autant plus précieuse afin d’immortaliser l’aspect d’une église qui s’enfonce peu à peu dans les eaux.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l'Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s'est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d'une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard.
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