Comment l’URSS est entrée en guerre contre le darwinisme et la génétique
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Le gouvernement soviétique soutenait l’idée de la lutte des classes (marxisme), mais niait la lutte entre les espèces pour l’existence (darwinisme), ainsi que la génétique classique.
Trofim Lyssenko, le scientifique paysan
L’idéologue de la vision soviétique de la biologie en général, et de la théorie de l’évolution en particulier, était l’agronome Trofim Lyssenko. En 1928, il développe une nouvelle technologie agricole, la « vernalisation ». Celle-ci proposait, avant le semis, de refroidir les graines des céréales afin qu’elles aient un rendement plus élevé. L’idée était défendue par de nombreux scientifiques et la presse soviétique a commencé à faire l’éloge de Lyssenko, s’enthousiasmant pour ses origines paysannes, par opposition aux scientifiques très instruits qui avaient étudié et travaillé dans la Russie tsariste et voyagé à l’étranger, s’imprégnant des idées bourgeoises.
Lyssenko est devenu un agronome influent et a occupé de nombreux postes de premier plan. En 1938, il est nommé président de l’Académie Lénine des sciences agricoles de l’URSS. Il a continué à proposer un nombre croissant de nouvelles idées, parfois loufoques, en matière de techniques agricoles et de théories de sélection.
Il s’est fait de nombreux adeptes, et son enseignement et cette direction de la biologie soviétique étaient souvent appelés « agrobiologie de Mitchourine ». Le célèbre sélectionneur Ivan Mitchourine n’y était pour rien : Lyssenko se considérait simplement comme son disciple.
Lutte des classes, oui, lutte entre espèces, non
Lyssenko a qualifié l’augmentation de la productivité d’objectif principal de l’agrobiologie et il souhaitait l’atteindre par de nouvelles méthodes, sans s’appuyer sur des « enseignements capitalistes hostiles ».
La cible principale des attaques de Lyssenko était le darwinisme. Il a qualifié de pseudoscientifique le concept de l’évolution de Darwin avec sa théorie de l’inégalité entre les organismes, qu’il considérait dans l’ensemble comme raciste. Il a commencé à taxer la génétique classique de science fasciste.
Lyssenko estimait que le développement d’un organisme vivant ne dépendait pas tant de l’hérédité et des gènes que de l’environnement. Il croyait également à l’hérédité de compétences acquises.
Surtout, il niait la concurrence entre les espèces. Par exemple, il a préconisé de nouvelles méthodes de culture du Kok-Saghyz (plantes à caoutchouc) en utilisant la méthode des semences en carré. Selon lui, la récolte était censée augmenter de façon exponentielle. De leur côté, les Américains s’opposaient à cette méthode, car certaines plantes semées trop près les unes des autres ne germent pas ou sont affaiblies. Ce à quoi Lyssenko rétorquait que le principe de la lutte entre les espèces était une invention de la science bourgeoise : « Il n’existe qu’une concurrence entre les espèces : le loup mange le lièvre, mais le lièvre ne mange pas le lièvre, il mange de l’herbe. Le blé n’empêche pas non plus le blé de vivre ».
Lyssenko affirmait également que les espèces pouvaient se transformer les unes dans les autres sous l’influence de l’environnement. « Nier que le blé, dans des conditions appropriées, donne naissance à des grains de seigle isolés, qui poussent ensuite et supplantent le blé, revient à se détourner de la vie, de la pratique ».
Lutte contre les scientifiques et les enseignements bourgeois
Pour Lyssenko, les théories scientifiques étaient inextricablement liées à l’idéologie et au système social. Selon lui, la biologie bourgeoise valorisait la « théorie » de la concurrence entre les espèces pour justifier le fait que, dans une société capitaliste, un grand nombre de personnes vivent dans le dénuement.
Dans le même temps, il déclarait : « Nous, peuple soviétique, savons pertinemment que l’oppression des travailleurs [...] n’a rien à voir avec les lois de la biologie ».
Il a en outre proposé de lutter contre les enseignements « idéologiquement étrangers » venus de pays hostiles.
En 1940, l’éminent généticien Nikolaï Vavilov a été arrêté, officiellement pour « sabotage » ; il est mort en détention (après la mort de Staline, il a été réhabilité et reconnu comme un grand scientifique, raison pour laquelle les rues de nombreuses villes russes portent désormais son nom).
En 1948, une session de l’Académie des sciences agricoles s’est tenue sous la présidence de Lyssenko ; avec l’approbation du parti, la génétique classique y a été déclarée « pseudoscience ». À compter de ce jour a commencé un processus que l’on qualifie aujourd’hui de « lyssenkoïsme », c’est-à-dire la lutte contre les scientifiques « idéologiquement incorrects ».
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Ceux qui travaillaient dans le domaine de la génétique (et non de l’agrobiologie de Lyssenko) ont été démis de leurs fonctions. Les scientifiques qui critiquaient les idées de Lyssenko ont également été persécutés. La totalité du processus de recherche a été placé sous le contrôle de l’idéologie. Plus tard, le même sort attendait d’autres branches de la biologie - virologie, cytologie et autres sciences.
En 1955, près de trois cents scientifiques ont signé une lettre critiquant Lyssenko, dans laquelle sa théorie était qualifiée de « médiévale et déshonorant la science soviétique ». Lyssenko a été temporairement démis de ses fonctions de président de l’académie, mais Khrouchtchev en personne lui a rendu son poste. Le secrétaire général soutenait Lyssenko car il était séduit par les origines populaires du scientifique et était attaché à de bonnes récoltes de blé.
Après que Khrouchtchev eut quitté le pouvoir en 1965, il fut prouvé que les travaux de Lyssenko contenaient des inexactitudes scientifiques et des raisonnements fallacieux. Il a finalement été démis de ses fonctions. Toutefois, il est resté fidèle à ses idées, a conservé de nombreux adeptes et durant les dix années qui ont précédé sa mort, il a poursuivi ses expériences et dirigé le laboratoire de la base de recherche expérimentale Gorki Leninskié.
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