Omsk, une ville-garnison sur l’Irtych
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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un procédé complexe permettant d’obtenir une photographie détaillée aux couleurs vives. Sa vision de la photographie en tant que forme d’éducation et d’illumination s’est illustrée avec une clarté particulière à travers ses photographies de monuments architecturaux de sites historiques situés au cœur de la Russie.
En juin 1912, Prokoudine-Gorski s’est aventuré dans l’ouest de la Sibérie au sein d’une commission qui devait documenter la voie navigable Kama-Tobolsk, un lien entre la partie européenne et asiatique des monts Oural. La ville de Tioumen lui a servi de point de départ pour des voyages productifs, dont ceux à Chadrinsk (fondée en 1662 sur la rivière Isset) et à Ialoutorovsk (sur la rivière Tobol).
Les origines d’Omsk
Fondée en 1659 sur un ancien site tatar, Ialoutorovsk était le chantier d’un énorme pont ferroviaire traversant la rivière Tobol et faisait partie de la nouvelle ligne Tioumen-Omsk, qui a ouvert sur le Transsibérien en octobre 1913 (auparavant, les voies de chemins de fer jusqu’en Sibérie passaient par la ville de Tcheliabinsk, dans le sud de l’Oural).
Même si Prokoudine-Gorski n’a pas visité Omsk, ses photos de Ialoutorovsk montrent le chantier de cette voie ferrée cruciale reliée à la « capitale » de la Sibérie de l’Ouest. Quant à moi, j’ai rejoint Omsk à la fin de l’été 1999.
Omsk (population actuelle d’environ 1,1 million d’habitants) a été fondée en 1716 comme une forteresse sur le cours moyen de l’Irtych. Pendant le XVIIIe siècle, sa fonction principale était de protéger la frontière sud de la Russie et d’établir l’autorité russe sur les tribus nomades autochtones.
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Importance régionale en montée
Subordonnée administrativement à Tobolsk pendant le XVIIIe siècle, Omsk a tout de même acquis du pouvoir au siècle suivant. De 1808 à 1917, elle a servi de quartiers généraux aux troupes des cosaques de Sibérie, et en 1822, la province d’Omsk a été créée.
Peu de temps plus tard, à partir d’un plan de l’architecte russe de renom Vassili Stassov, la construction de la cathédrale cosaque de Saint-Nicolas (1833-1840) a commencé. Ce lieu de culte a été fortement endommagé durant l’ère soviétique, mais a aujourd’hui été restauré. Il s’agit du dépôt de l’une des grandes reliques régionales, la bannière d’Ermak, chef cosaque de la fin du XVIe siècle, qui a établi la présence moscovite en Sibérie pour la première fois.
En 1865-1870, Omsk a assisté à la construction d’une autre cathédrale, dédiée à l’Élévation de la Croix. Celle-ci a également survécu aux ravages des années 1930 et a été rouverte au culte en novembre 1943. En plus des églises orthodoxes, l’on trouve aussi des mosquées (l’administration de l’imam de Sibérie est située à Omsk), une remarquable synagogue en bois et une grande église baptiste construite en 1907.
La sombre histoire d’Omsk
La présence constante de militaires a lié Omsk au système d’exil sibérien. Le plus connu des exilés de la forteresse a été l’écrivain Fiodor Dostoïevski, condamné en 1849 pour s’être associé aux intellectuels « radicaux » à Saint-Pétersbourg. En janvier 1850, l’écrivain est arrivé sous garde au fort d’Omsk et, pendant la plupart des trois années suivantes (1850-1854), il a vécu l’expérience déchirante d’un détenu condamné aux travaux forcés, qui comprenaient le déchargement de barges sur la rivière Irtych.
Lorsque sa santé s’est détériorée sous la tension physique et psychologique, Dostoïevski a été hospitalisé sous les soins d’un sympathique médecin. C’est lors de son séjour à l’infirmerie que Dostoïevski a commencé l’écriture de l’une de ses œuvres phares – Souvenirs de la maison des morts. Quelques bâtiments ont survécu depuis cette époque, dont l’un des portails de la forteresse.
Révolution ferroviaire
Pendant la seconde partie du XIXe siècle, Omsk est entrée dans une période d’expansion massive, la ville étant devenue un carrefour majeur de transport pour les vastes territoires russes. Le service régulier de bateaux à vapeur le long de la rivière Irtych jusqu’à Tobolsk a débuté en 1862.
Cependant, ce sont les chemins de fer qui ont réellement fait émerger Omsk. En 1894-1895, la cité a été reliée par le Transsibérien à Tcheliabinsk à l’ouest et à Novonikolaïevsk (aujourd’hui Novossibirsk) à l’est. En 1913, une autre voie ferroviaire, qui deviendra ensuite la ligne principale de Sibérie, a été construite entre Omsk et Tioumen. Dès le début du XXe siècle, la population d’Omsk a triplé, atteignant les 60 000 habitants.
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Ce développement en tant que nœud de transport a conduit à une évolution du quartier commercial de la ville. Ce qui était auparavant une garnison constituée principalement de structures en bois, ponctuée de grandes églises, est alors devenu un lieu prééminent pour les banques, les institutions éducationnelles, l’industrie et le commerce de détail en Sibérie.
Attrait International
En plus des filiales de banques et entreprises majeures de Moscou et de Saint-Pétersbourg, Omsk a reçu des investissements de la part de compagnies américaines, allemandes et britanniques. Le centre-ville d’Omsk comportait des bâtiments dont la conception pouvait rivaliser avec le quartier des affaires de Moscou. Beaucoup de ces nouveaux projets commerciaux ont été construits dans des styles dérivés de la Renaissance florentine.
Les institutions culturelles s’y sont également implantées. En 1901-1905, un grand théâtre, conçu par l’architecte Iliodor Khvorinov, a été érigé dans le style chargé des Beaux-Arts. Le théâtre est aujourd’hui encore une fierté locale. Les maisons en bois aux détails décoratifs honorent également la ville, mais leur nombre se réduit constamment sous la pression du développement urbain et de l’entretien inadéquat.
L'ère soviétique…
Pendant la Première Guerre mondiale, Omsk, stratégiquement située, n'a cessé de croître, et en 1917, a atteint les 100 000 habitants. À la suite de la révolution d’Octobre, le pouvoir bolchévique s’est quasi-instantanément autoproclamé à Omsk, mais, avec peu de soutien au niveau local, les bolcheviks ont été chassés de la ville en juin 1918.
L’opposition aux bolcheviks était gravement divisée et, en novembre 1918, un coup d’État militaire a installé une dictature menée par l’amiral Alexandre Koltchak (1874-1920), explorateur polaire réputé et commandant naval doué, qui a toutefois été incapable de gérer le chaos de guerre civile russe. Le manoir, où Koltchak avait ses quartiers généraux, est de nos jours un point de repère important d’Omsk.
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Pendant presque un an, Omsk a pu être considérée comme la « capitale » des forces blanches de la guerre civile russe. En novembre 1919, les troupes de Koltchak en ont cependant été chassées. En 1921, Omsk est devenue l’un des centres de l’Administration américaine de secours pendant la terrible famine qui a affecté de vastes territoires dans le bassin de la Volga.
Avec son économie brisée et son arrière-pays convalescent, Omsk a souffert pendant les années 1920, mais a acquis une croissance industrielle nouvelle dans les années 1930. Comme beaucoup de villes sibériennes, elle s’est rapidement agrandie pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que refuge d’évacuation et centre de production et transport.
…et au-delà
Le développement du complexe militaro-industriel de la ville a continué après la guerre et, à la fin des années 1970, sa population a atteint le million d’âmes – un critère de signification majeure. Omsk est également devenue un centre de l’industrie pétrolière et gazière.
Les institutions culturelles majeures de la ville incluent une grande université d’État, fondée en 1974 et qui, depuis 2004, est nommée en l’honneur de Fiodor Dostoïevski. Omsk possède aussi l’une des plus grandes bibliothèques régionales de la Sibérie et un musée d’art important nommé d’après Mikhaïl Vroubel, né dans cette ville – qui occupe aujourd’hui trois bâtiments historiques en plein centre.
Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a élaboré un procédé complexe permettant d’obtenir une photographie très détaillée aux couleurs vives. Entre 1903 et 1916, il a parcouru l’Empire russe et réalisé plus de 2 000 photographies via ce processus, qui impliquait une triple exposition sur plaque de verre. En août 1918, il quitte la Russie et finit par s’installer en France, où il retrouve une grande partie de sa collection de négatifs sur verre, ainsi que 13 albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la Bibliothèque du Congrès (États-Unis). Au début du XXIe siècle, cette dernière a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l’a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Plusieurs sites web russes en présentent désormais des versions. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d’une période de travail en Russie, à partir de 1970, il a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d’articles juxtapose les clichés des monuments architecturaux réalisés par Prokoudine-Gorski avec des photographies prises par Brumfield des décennies plus tard.
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