Comment les États-Unis ont secrètement livré des avions de combat à l’URSS à travers toute la Sibérie

Marina Lystseva/TASS
Marina Lystseva/TASS
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont envoyé des milliers de chasseurs et de bombardiers depuis l’Alaska vers l’Extrême-Orient soviétique. Toutefois, Moscou a interdit aux pilotes américains de se présenter sur son territoire.

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Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont livré plus de 22 000 avions de combat à l’URSS. Environ un tiers d’entre eux sont arrivés par la route aérienne de Krasnoïarsk, également connue sous le nom d’« AlSib » (Alaska-Sibérie). Cette route s’est avérée plus rapide que celle passant par l’Iran et plus sûre que celle passant par l’Arctique, où les convois transportant du matériel étaient attaqués par des bombardiers et des sous-marins allemands.

Une région sauvage

Domaine public
Domaine public

À la fin de l’année 1941, les Américains ont proposé à l’URSS d’utiliser la Sibérie pour le transport des avions. Le matériel devait être acheminé jusqu’à la ville de Fairbanks en Alaska, puis de là, être acheminé par ses propres moyens jusqu’au grand centre de réception de Krasnoïarsk. Là-bas, il devait être préparé pour être envoyé directement au front.

Les chasseurs ne pouvaient pas parcourir sans escale les 6 500 km, il fallait donc remettre en état le plus rapidement possible les aérodromes existants et en construire de nouveaux.

Les travaux de création de la route aérienne de Krasnoïarsk ont commencé en novembre 1941. Certaines pistes d’atterrissage ont été construites directement dans la toundra sauvage, dans des zones marécageuses ou de pergélisol.  

Toutes les infrastructures nécessaires ont été immédiatement mises en place à proximité des aérodromes : ateliers, hangars, entrepôts, logements, cantines, hôtels, stations radio et météorologiques, etc. Au total, 274 bâtiments ont été construits le long de la route.

En moins d’un an, la route AlSib était prête. Le 7 octobre 1942, le premier groupe de chasseurs P-40 Kittyhawk décolla donc de Fairbanks à destination d’Ouelkal, en Tchoukotka.

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Relais

Dmitri Debabov/Sputnik Le colonel Mikhaïl Matchine (à droite) et un pilote américain
Dmitri Debabov/Sputnik

Les avions étaient transportés par relais. Les pilotes américains les livraient à Fairbanks, où ils étaient remis à leurs homologues soviétiques. Ceux-ci devaient alors piloter les appareils au-dessus du territoire soviétique.

« Des cous épais, des poitrines bombées, des mouvements énergiques, déterminés, nerveux. Tout au long de leur vie, ils n’ont connu que le travail, la révolution et la guerre, ce qui se reflète dans leurs visages et leurs corps tendus et rigides », c’est ainsi que l’artiste américain Henry Varnum Poor voyait les militaires soviétiques en Alaska.

Staline était catégoriquement opposé à la présence de pilotes américains sur le territoire de l’URSS. Il ne voulait en réalité pas provoquer le Japon, qui était en guerre contre les États-Unis, mais respectait le pacte de neutralité avec l’Union soviétique.

Pour cette même raison, la route a été tracée aussi loin que possible de la Mandchourie japonaise.

L’itinéraire a été divisé en cinq étapes, chacune étant assurée par un régiment aérien dit « de transfert ». Les pilotes transféraient les avions au régiment voisin, puis retournaient à leur base à bord d’avions de transport. La procédure était répétée jusqu’à ce que les avions arrivent à Krasnoïarsk.

Les bombardiers et les avions de transport volaient généralement seuls, tandis que les chasseurs volaient en groupes, menés par des bombardiers de tête.

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Un travail difficile

 Tropkine/Sputnik Premier voyage des vétérans soviétiques de l'AlSib en Alaska
Tropkine/Sputnik

« La route aérienne, longue de près de 6 500 kilomètres, traversait l’une des régions les plus inhospitalières de notre pays, se souvenait le pilote Ilia Mazourouk. Plus de 5 000 kilomètres de ce trajet passaient au-dessus de la toundra, des montagnes et des crêtes, ainsi que des forêts impénétrables de la taïga. Il n’y avait pas de repères habituels pour les pilotes, tels que des routes, des localités, etc. Les compas magnétiques ne fonctionnaient pas de manière fiable dans cette région. Il n’existait pas non plus de cartes précises du terrain ».

Toutes les instructions et consignes étaient en anglais, et les instruments indiquaient les distances en miles, en pieds et en gallons. Il fallait par conséquent coller des traductions sur chaque interrupteur et instrument.

Le personnel technique au sol n’avait pas non plus la vie plus facile : il travaillait dans un froid glacial et sous des vents violents. Un jour, une forte vague de froid a frappé et le liquide des systèmes hydrauliques des avions américains s’est épaissi. Des dizaines d’appareils immobilisés s’accumulèrent alors sur les aérodromes.

La partie soviétique fit appel d’urgence aux Américains. En l’espace de deux jours, les scientifiques de l’Université d’Alaska trouvèrent un substitut à l’un des composants, ce qui rendit le liquide plus résistant au gel.

Domaine public
Domaine public

Après la défaite du Japon en août 1945, la route AlSib a cessé de fonctionner. Au cours de son existence, 114 personnes ont péri dans des accidents d’avion. Le plus grave d’entre eux a été le crash d’un avion de transport Li-2 avec à son bord les pilotes du 5e régiment de transport aérien. Trente personnes ont alors perdu la vie.

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