Comment un Africain est devenu une star au Daghestan

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Le Cameroun, pays natal de Pierre, est considéré comme « le modèle de toute l’Afrique » : l’on y trouve une nature très variée, allant des savanes et des forêts tropicales aux montagnes et à l’océan. Le pays compte de nombreux peuples qui parlent 280 langues. En ce sens, sa patrie peut être comparée au Daghestan : la nature y est tout aussi diversifiée et belle, et de nombreux peuples y vivent avec leurs propres langues.
Pourquoi la Russie et le Daghestan ?

La situation économique au Cameroun est difficile et un tiers de la population vit à l’étranger. Lorsque Pierre est parti en Russie, il savait seulement que c’était le plus grand pays du monde et qu’il y faisait très froid.
« Au Cameroun, il existe une agence qui s’occupe des départs à l’étranger pour étudier. Lorsque je m’y suis rendu, on m’a montré de magnifiques photos du Daghestan ! On m’a dit : c’est en Russie, on peut aussi très bien y étudier et cela revient moins cher qu’en Europe, par exemple. J’ai accepté d’y aller », raconte Pierre, qui avoue que la réalité était très différente des photos.
Les gens du Daghestan se sont révélés très gentils et tous étaient prêts à aider cet étranger perdu.
« On m’a aidé à m’orienter dans la ville, on m’a proposé un logement gratuit... Je venais au marché, j’avais besoin d’acheter à manger ou des vêtements : "Prends ça, pas besoin d’argent ! C’est juste comme ça, du fond du cœur ! Nous sommes heureux que tu sois venu chez nous !" ».
Du sud à la Sibérie

Pierre s’est rendu compte par lui-même que la Russie était le pays le plus froid lorsqu’il s’est retrouvé à Sourgout par moins 50 degrés.
« J’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur pétrolier à l’Université technique d’État du Daghestan et je suis parti à Sourgout. C’est une petite ville très propre, mais tout y tourne autour du pétrole, il n’y a pas d’autre travail. C’était en hiver, il faisait un froid de canard. Il était très difficile de se rendre au travail depuis chez moi. Pendant les deux mois où j’ai essayé de vivre là-bas, j’étais constamment malade et je n’avais aucune envie de faire quoi que ce soit. Je ne voulais qu’une chose : me réchauffer ».
Pierre est donc retourné au Daghestan. Et il a commencé... à chanter.
Un Africain dans les mariages caucasiens

Le Camerounais a toujours aimé chanter. Dans son pays natal, ce n’était qu’un hobby, mais au Daghestan, lors de sa première année à l’université, il a commencé à se produire un peu, en chantant des chansons disco des années 1980-1990. Puis il a rencontré et s’est lié d’amitié avec le chanteur local Magomed Alipkerov, et ils ont enregistré une chanson ensemble en langue lezghienne.
« Cela a fait sensation ! À chaque concert, des personnes d’autres ethnies du Daghestan venaient me voir et me demandaient : "Pourquoi ne chantes-tu pas dans notre langue ?". Pour ne froisser personne, j’ai commencé à apprendre leurs chansons ».
Aujourd’hui, Pierre chante en neuf langues : anglais, français, russe, azéri, lezghien, avar, lak, koumyk, darguine et tabassaran.
« La langue la plus difficile à chanter est l’avare. Je parle trois langues : l’anglais, le français et le russe, et je comprends bien le lezghien », confie-t-il.
Puis vinrent les tournées et les mariages. En saison, Pierre se produit à deux ou trois mariages par jour, chacun réunissant environ sept cents personnes. Le plus grand a rassemblé 1 200 personnes.
« Je pense que tous les habitants du Daghestan ont déjà une photo avec Pierre Aijo », dit le Camerounais en riant.
L’âme du Daghestan

Pierre vit au Daghestan depuis 16 ans et s’est même converti à l’islam pour épouser une fille de la région.
« J’ai été marié deux fois : la première fois à une Koumyke, la deuxième à une Lezghienne. On me demande souvent : comment as-tu réussi ? Dans le Caucase, la tradition veut que l’on se marie uniquement entre personnes de la même origine. Mais il y a des exceptions à chaque règle, le monde a changé ces dernières années, tout est devenu plus simple ».
Pierre a trois fils âgés de 12, 8 et 2,5 ans issus de ses deux mariages. Il les élève à la fois à la manière daghestanaise et camerounaise.
« À la maison, je peux leur parler en français ou dans mon dialecte africain. Je leur chante les chansons que ma mère me chantait quand j’étais enfant. Bref, chez nous, c’est l’Afrique. Mais quand ils sortent dans la rue, c’est le Daghestan qui commence : les amis dans la cour, l’école normale et l’école de musique. Je pense que l’environnement façonne une personne à 70% et la famille à seulement 30%, ce qui signifie qu’à l’âge adulte, ils se comporteront comme des Daghestanais. Mais cela me plaît : la dignité, l’honneur et toutes ces notions locales de la vie que je considère comme bonnes ».

Après avoir voyagé à travers le monde et vécu au Daghestan, Pierre a compris qu’il n’y avait nulle part ailleurs des gens comme ceux du Caucase.
« Ils sont courageux, audacieux, brutaux. Mais la diplomatie, ce n’est pas leur truc. Ils règlent les problèmes immédiatement et rapidement, ils ne mentent pas, ils n’essaient pas de se dérober. Les Africains sont complètement différents. Nous sommes doux, nous essayons d’éviter les conflits. Mais aujourd’hui, je suis sans doute un Daguestanais à 100%. J’aime la conduite rapide, les décisions rapides. Et la musique du Daghestan coule désormais dans mes veines ».

La version complète de l’interview est publiée en russe sur le site web du magazine Nation.
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