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Pourquoi le vendeur de sbiten est-il considéré comme un symbole de la Russie tsariste?

Il était toujours là où les gens avaient froid: sur les places de marché, dans les galeries marchandes, aux haltes de cochers, dans les bosquets de banlieue. Dans les mémoires de ses contemporains, le sbiten était qualifié de «vin de gel divin, bienfaisant, réconfortant».

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Le sbiten est une boisson connue en Russie depuis le XIIe siècle et consommée par la plupart des Russes jusqu’à la fin du XIXe, avant d’être définitivement supplantée par le thé sucré. La recette variait et dépendait des possibilités et des goûts du consommateur : elle allait de la simple eau bouillante avec du miel à des compositions complexes à base de fruits secs (figues, raisins, dattes, cerises) avec une généreuse addition d’épices : clous de girofle, cardamome, cannelle, safran, gingembre. La composition était souvent transmise de génération en génération, constituant le secret professionnel des maîtres.

Dans la marine russe, depuis l’époque de Pierre Ier, il était apprécié comme remède contre le rhume et le scorbut. Lors des épidémies de choléra à Saint-Pétersbourg (1831, 1848, 1853), dans les régiments où l’on servait le matin du sbiten avec du gingembre et du poivre, la morbidité et la mortalité étaient nettement plus faibles.

Il était impossible de confondre le « sbitenchtchik » avec d’autres marchands. L’écrivain Ivan Belooussov le décrivait ainsi : « Le sbitenchtchik était un homme étrange, armé : d’un côté, il portait une corde à laquelle était suspendue une grappe de kalatch [des pains disposant d’une poignée en pâte pour le tenir que l’on jetait par mesure d’hygiène après avoir mangé le reste], de l’autre, un sac de charbon, et devant, dans un étui spécial en forme de cartouchière, se trouvait une rangée de verres en verre épais... Le sbitenchtchik tenait dans ses mains un samovar rond muni d’une poignée ». Ce récipient ressemblant à un samovar s’appelait « sbitennik » (ou « baklaga »). À l’intérieur, il y avait un tube pour les charbons ardents afin que la boisson ne refroidisse pas.

Un sbitenchtchik à Moscou en 1913
Sputnik

Les cris des marchands étaient les suivants : « Sbiten-sbitenniok [diminutif de sbiten], le petit gandin le boit ! », « Sbiten chaud — le clerc le boit ! » (en russe, cela rime). Le sbiten n’était en réalité pas une boisson aristocratique – il était bu par les cochers, les concierges, les petits fonctionnaires, les soldats, les clercs et les pauvres de la ville. L’on raconte d’ailleurs que Léon Tolstoï, frappé par la soif avec laquelle un gamin des rues buvait du sbiten au marché de Khitrov, acheta un jour toute la réserve de cette boisson avec tout l’argent qu’il avait sur lui et la distribua à la foule qui l’entourait. Cet épisode montre à quel point le sbiten était vraiment une « boisson chaude populaire », comme le qualifie le dictionnaire encyclopédique de Brockhaus et Efron.

Au début du XIXe siècle, environ 400 à 450 vendeurs de sbiten travaillaient à Saint-Pétersbourg, un peu moins à Moscou, et en hiver, chacun d’entre eux pouvait gagner jusqu’à 400 roubles par saison. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le thé chinois, plus abordable, a toutefois supplanté le sbiten, et à la fin du siècle, cette profession avait pratiquement disparu.

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