Huit choses à savoir le journaliste le plus célèbre de la Russie tsariste

Fenêtre sur la Russie (Photo: Legion Media, Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images)
Fenêtre sur la Russie (Photo: Legion Media, Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images)
Vladimir Guiliarovski fréquentait avec la même aisance salons mondains et repaires de voleurs. Ses reportages étaient aussi attendus que redoutés. À son époque, il était une légende vivante à Moscou et le chroniqueur de ses évolutions.

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La vie de l’auteur de Moscou et les Moscovites fut un véritable roman d’aventures : avant d’être distingué du titre de « roi des reporters », il avait été haleur, artiste de cirque, pompier. La liste des métiers qu’il exerça ne s’arrête pas là. Cette expérience de la vie servit au journaliste qu’il devint. Elle lui permit surtout de parler la même langue que ses interlocuteurs, qu’ils soient aristocrates ou vagabonds. Voici huit faits de la vie de Vladimir Guiliarovski.

Il était surnommé « Oncle Guiliaï »

Sputnik
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Dans ses mémoires, Vladimir Guiliarovski écrivit qu’enfant, il s’était donné le surnom de Guilaï parce qu’il n’arrivait pas à prononcer son nom de famille qu’il trouvait très long. Il avait même du mal à dire son prénom. Lorsqu’il fut adulte, son caractère sociable et l’aura dont il jouissait lui valurent que le mot дядя (qu’on utilise en russe devant le prénom d’un homme qui n’est pas de la famille pour le présenter à un enfant) soit accolé à Гиляй. Il se fondait facilement dans tous les milieux : des bas-fonds du quartier de Khitrovka à la compagnie des écrivains et des peintres. Ce surnom devint le pseudonyme qu’il utilisa pour signer plusieurs articles de journaux.

Il fut haleur sur la Volga

Domaine public Vladimir Guiliarovski, 1878
Domaine public

En juin 1871, Vladimir Guiliarovski lut Que Faire ? de Nikolaï Tchernychevski. Ce roman avait passé la censure avant d’être rapidement interdit. Après avoir échoué à ses examens de fin d’études, Vladimir Guiliarovski s’enfuit du lycée de Vologda où il était scolarisé. Il avait 16 ans, il n’avait ni papiers, ni argent. Mais il était incroyablement fort pour son âge : il pouvait plier une pièce de monnaie entre ses doigts et tordre un tisonnier. Il trouva à s’engager comme haleur à Rybinsk, qui était alors un grand port sur le cours supérieur de la Volga. Avec ses compagnons d’infortune, il tira pendant 20 jours un bâteau entre Kostroma et Rybinsk. Vladimir Guiliarovski en garda le souvenir d’un labeur incroyablement exténuant « jusqu’à faire suer du sang ».

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Il exerça les professions les plus diverses et variées

Domaine public Vladimir Guiliarovski, 1871
Domaine public

De 1871 à 1881, Vladimir Guiliarovski vagabonda et subsista en exerçant toutes sortes de métiers : pompiers dans des fabriques de transformation de poisson, portefaix dans un port, chauffeur de poêles, ouvrier ou gardien de chevaux. Il fut écuyer dans un cirque et dans des troupes itinérantes. Un de ses numéros était annoncé comme celui d’ « Alexis qui monte à cru ». Il ne craignait pas de prendre des risques, notamment en faisant du trapèze sans harnais ni filet et il essayait même de se faire passer pour un étranger. Il avait appris les arts du cirque (les acrobaties et la voltige) dans son lycée de Vologda.

Il échappa de peu à la mort au champ de Khodynka

Public domain Vladimir Makovski. Сhamp de Khodynka, 1899
Public domain

Le 18 (ancien style) / 30 (nouveau style) mai 1896, Vladimir Guiliarovski était présent au champ de Khodynka où étaient organisées des festivités à l’occasion du couronnement de Nicolas II. Il s’y produisit une bousculade tragique : officiellement, 1 389 personnes perdirent la vie écrasées dans ce mouvement de foule. Vladimir Guiliarovski se trouvait au milieu des gens lorsqu’il s’aperçut avoir oublié la tabatière de son père là où se tenaient les courses de chevaux. Il y retourna, ce qui lui sauva la vie. Il fut le premier et le seul journaliste à relater la catastrophe à laquelle il avait échappé. Son article sortit dans les Nouvelles Russes (Русские Ведомости). Il décrivit en détail comment la foule était tellement dense que les morts tenaient encore debout : « un vieillard [...] debout à côté de moi [...] ne respirait plus depuis longtemps : il avait étouffé en silence [...] son cadavre déjà froid chancelait entre nous ». Les autorités interdirent ensuite tout reportage sur cette tragédie.

Il était l’ami d’Anton Tchékhov

Public domain Guiliarovski conduit Anton Tchekhov dans une brouette
Public domain

L’amitié qui unissait Vladimir Guiliarovski et Anton Tchékhov est l’une des plus fortes de l’histoire de la littérature russe. Elle dura plus de 20 ans. Elle était faite d’une sincère admiration du travail de l’autre, d’une gaîté sans limite et d’un profond respect mutuel. Les deux écrivains s’étaient rencontrés à Moscou au début des années 1880. « Nous sommes croisés à plusieurs reprises puis sommes devenus amis. J’ai aimé Antocha et il m’a aimé jusqu’à sa mort, bien que nous nous soyons un peu éloignés l’un de l’autre à la fin de sa vie. », se souvenait le journaliste. Anton Tchékhov appréciait en Vladimir Guiliarovski les connaissances qu’il avait des « bas-fonds » de Moscou. Il visitait ensemble les taudis de Khitrovka. Le journaliste était le guide et le garant de la sécurité de l’écrivain dans ce quartier malfamé. Avant que le médecin Tchékhov ne s’engage dans son périple vers l’île de Sakhaline, Vladimir Guiliarovski lui prodigua de nombreux conseils.

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Il aida Stanislavski à monter Les Bas-Fonds de Gorki

Domaine public Les Bas-Fonds de Gorki, 1902
Domaine public

En 1902, le Théâtre d’Art de Moscou (MXT) montait la dernière pièce de Maxime Gorki : Les Bas-Fonds. Pour que la représentation de la vie des habitants du taudis décrite par l’auteur soit la plus réaliste possible, Constantin Stanislavski fit appel à Vladimir Guiliarovski. Celui emmena le metteur en scène et ses acteurs dans les quartiers les plus dangereux de Moscou. Les comédiens purent ainsi y entendre l’argot, y voir l’apparence, les manières, le mode de vie de ceux dont ils allaient tenir les rôles sur scène. Grâce à Vladimir Guiliarovski, ce spectacle fut étonnamment fidèle à la réalité. Beaucoup crurent d’ailleurs que de véritables miséreux avaient été engagés.

Il fut le modèle d’une des représentations de Taras Boulba

Fenêtre sur la Russie (Photo: Domaine public, Site officiel du maire et du gouvernement de Moscou)
Fenêtre sur la Russie (Photo: Domaine public, Site officiel du maire et du gouvernement de Moscou)

Le sculpteur Nikolaï Andréïev cherchait un modèle expressif pour le Taras Boulba du bas-relief qui orne le piédestal de son monument à Nicolas Gogol. Il le trouva en la personne de Vladimir Guiliarovski. Ses contemporains le décrivaient comme un homme corpulent et très fort avec d’épaisses moustaches. Son caractère enjoué et son passé de haleur en faisait l’incarnation de l’esprit des cosaques du Zaporijé. Vassili Guiliarovski était l’ami de nombreux peintres ce qui facilita sa rencontre avec Nikolaï Andreïev.

Il louait le pouvoir soviétique

Musée de Moscou
Musée de Moscou

Vladimir Guiliarovski, « légende vivante de la Russie de l’Ancien Régime » vécut ses 18 dernières années sous le pouvoir soviétique avec lequel il n’avait pas divergence de vue. À la fin de sa vie, il rédigea et publia ses mémoires (Mes errances et amis et rencontres) qui furent bien accueillis. On le respectait comme le témoin d’une époque révolue, un fin connaisseur de la vieille Moscou dont le talent et l’autorité étaient au-delà de toute politique. Il applaudissait aux réalisations du pouvoir soviétique. Vladimir Guiliarovski mourut le 1eroctobre 1935 d’une pneumonie.

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