
Le Paris des années 1840 vu par un diplomate russe

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Sur Paris
« Paris est un monde et, à tort ou à raison, pour la jeunesse européenne, la capitale du plaisir. L’Europe frivole en attend ses inspirations, l’Europe élégante ses articles de modes et de nouveauté, et, les yeux fixés sur ce volcan politique, l’oreille attentive aux grondements de la montagne, l’Europe politique […] en attend à son tour ou la paix ou la guerre.

[…] Qu’est-ce qu’une société où se rencontrent journellement le vieux constitutionnel, le soldat de l’Empire, le chambellan de Louis XVIII, le confesseur de Charles X et le professeur ou l’avocat, ministres de la Royauté de Juillet. […] C’est un antique blason auquel on aurait ajouté […] la pique révolutionnaire, le chapeau du petit Caporal. […] Enfin, c’est le laboratoire du diable ou je ne m’y connais pas ».
Sur le coût de vie
Après avoir diné dans cinq restaurants différents de la capitale française, le diplomate a conclu que « il n’y a pas moyen de calmer un appétit, même médiocre, à moins de 5 à 6 francs ».

« La journée revient à 10 francs. En résumé équipage 250 francs, table 300 francs, valet de chambre 100 francs, total pour ces articles seulement 600 francs. Reste le blanchissage, le tailleur, le cordonnier et l’article toujours considérable des dépenses imprévues, les spectacles, les livres, les gants, les souscriptions que sais-je enfin, et l’on arrive à conclure que la vie de Paris est des plus dispendieuses ».
Sur les transports

« À Paris, m’avait-on toujours dit, ce qu’il y a d’admirable, c’est que l’on n’a que faire d’un équipage. On en trouve à chaque pas, qui vous transportent d’un bout de la ville à l’autre. En réalité, les diligences, jumelles et autres, dont les noms m’échappent, vous transportent non pas où vous voulez, mais où elles veulent bien, premier inconvénient. Elles n’ont point l’habitude de se tenir ni à la porte de l’hôtel Wagram, ni à celle de l’ambassade de Russie, il faut donc commencer sa course pédestrement pour ensuite l’achever en voiture, que dis-je? pour l’achever à pied, car, encore une fois, ces histoires ne vous conduisent et ne s’arrêtent que là où le cœur leur en dit, sans compter qu’il faut longtemps faire le pied de grue en attendant celle que vous voulez prendre ».
Sur Honoré de Balzac

« Balzac est venu dernièrement faire viser à l’ambassade son passeport pour Saint-Pétersbourg. « Faites entrer », dis-je au garçon de bureau.
Aussitôt m’apparait un petit homme gros, gras, figure de panetier, tournure de savetier, envergure de tonnelier, allure de bonnetier, mise de cabaretier, et voilà. Il n’a pas le sou, donc il va en Russie il va en Russie, donc il n’a pas le sou ».
Sur Versailles

« C’est la vie dans la mort. […] L’idée de réunir en un seul endroit les représentants et les souvenirs des deux plus grandes époques de l’histoire de France est fort belle sans doute. Cependant, rien de plus tristement discordant que cette réunion. Tout vainqueurs qu’ils aient été, les grands de Napoléon ont ici l’air humble de vaincus. […] Mais n’a-t-on pas fait de l’histoire sans s’en douter, car l’époque napoléonienne à Versailles, cette invasion de ces héros de bivouac au milieu des grands de la Cour, fait exactement l’effet que devait produire l’Empereur et l’Empire lorsque, oubliant leur origine populaire, ils prenaient, pour la faire oublier à ceux qui les avaient élevés, les allures, le ton et les usages du passé dont les séparait cependant tout l’abîme révolutionnaire ».
Sur l’hôtel des Invalides

« À la bonne heure! Ici l’Empire est dans son beau, dans son vrai, c’est l’Empereur entouré de ses vieux soldats, c’est le lendemain d’une bataille. La cour, l’esplanade, le dôme, l’église et ses vieux guerriers se promenant en long et en large, c’est vraiment magnifique. Mais ce qui surtout est extraordinaire et frappant au suprême degré, c’est, dans cette enceinte, ce règne posthume, cette influence d’outre-tombe de Napoléon sur tout ce qui l’entoure. Nullité part, dans aucun palais, dans aucune église, vous ne trouverez ce silence profond qui règne dans la chapelle ardente ».
Le journal de Victor de Balabine fut publié par Ernest Daudet chez l’éditeur parisien Émile-Paul Frères en 1914.
Cet article est une version abrégée de celui de Natalia Tanchina paru en russe dans le magazine Le Monde Russe (Rousski Mir).