Objet du mois: le fusil photographique, rêve de tous les garçons soviétiques des années 1970-1980
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Le fusil photographique inventé à la fin du XIXe siècle pour saisir les mouvements des objets photographiés fut transformé dans le deuxième quart du XXe pour répondre à des besoins militaires. En URSS, après la Seconde Guerre mondiale, on continua d’en fabriquer pour les amateurs de photographie en plein air.
Origines
Le fusil photographique fut mis au point, à ses heures perdues, par le médecin français Étienne-Jules Marey (1830-1904) en 1882. Dans le barillet était placée une plaque photographique en verre circulaire ou octogonale qui, actionnée par un mécanisme d’horlogerie, tournait à grande vitesse. L’appareil permettait de faire 12 clichés en une seconde. Après le développement de la plaque, les positifs apparaissaient sur la circonférence du disque. Il suffisait alors de le faire tourner à une vitesse suffisante pour reconstituer le mouvement de l’objet photographié.
Étienne-Jules Marey reprit le principe du revolver photographique inventé en 1874 par l’astronome français Jules Jansenn (1824-1907) pour capter le passage de Vénus devant le soleil.
Ces inventions influencèrent les peintres futuristes italiens. On retrouve la décomposition des mouvements des corps ou objets, par exemple, sur les toiles Ragazza Che Corre Sul Balcone de Giacomo Balla (1871-1958) et l’Automobile in Corsa de Luigi Russolo (1885-1947).
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Modèles soviétiques
La miniaturisation des appareils photographiques entraîna l’évolution des fusils photographiques. En 1937, l’Institut d’État d’optique de Leningrad produisit en un très petit nombre d’exemplaires le premier fusil photographique soviétique. Il portait le nom de фотоснайпер / photosniper (FS). Du fusil, on n’avait conservé que la crosse, le chien et la détente pour déclencher la prise de vue. Un FED (initiales de Félix Edmoundovitch Dzerjinski, du nom de l’usine où ces appareils photographiques étaient fabriqués) télémétrique, copie du Leica II, était fixé sur le chien en bois.
L’Armée rouge comprit l’intérêt que présentait ce type d’appareil pour les missions de reconnaissance. Des soldats soviétiques utilisèrent des fusils photographiques dès la guerre soviéto-finlandaise (1939-1940).
À partir de 1942, l’usine de mécanique de Krasnogorsk lança la production de FS-2, copies du fusil photographique allemand Leica Gewehr, puis de FS-3. Dès 1943, une déclinaison de ce dernier fut mise au point spécialement pour les soldats de la flotte de la mer Baltique.
Ce fut ce même modèle FS-3 que l’usine de Krasnogorsk produisit à près de 100 000 unités entre 1965 et 1982. Le modèle était démontable. La sacoche dans laquelle il était vendu contenait le support (désormais en métal) avec sa bandoulière en cuir et l’appareil photo Zenit-ES. Au début des années 1980, l’ensemble coûtait 280 roubles (pour comparaison, à cette époque, le salaire moyen était de 180 roubles).
Vint ensuite le FS-12. Le support métallique et sa bandoulière, l’appareil photographique Zenit-12S, 2 objectifs, les filtres de couleur, un jeu de tourne-vis se rangeaient dans une sacoche souple, qui pesait à elle seule 2 kilogrammes, ou un coffret en métal. En 1987, le FS-12 était vendu au prix de 380 roubles (le salaire moyen s’élevait alors à 215 roubles). Sa production fut arrêtée en 1990.
La crise économique des années 1990 expliqua l’échec commercial du modèle de fusil photographique suivant, le FS-122. Le FS-412 fabriqué entre 2003 et 2005 ne connut guère plus de succès, les temps ayant certainement changé.
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Cadeau de rêve
Tout au cours de son histoire, l’usine de mécanique de Krasnogorsk produisit environ 330 000 fusils photographiques, ce qui est relativement peu. Beaucoup de Soviétiques qui rêvaient d’en posséder un ne purent se l’offrir. Heureusement pour le chien Charik (Boule), l’un des personnages du livre Les Vacances à Prostokvachino (Каникулы в Простоквашино), puis de son adaptation en dessin animé, ses maîtres avaient, eux, les moyens de lui en acheter un. Ils espéraient que leur fidèle compagnon se mettrait à chasser les animaux pour en faire des photographies plutôt que de les tuer.
Charik comprit immédiatement comment se servir de son fusil photographique – son support en bois semble indiquer qu’il s’agissait d’un des rares FS-2 produit en 1937 – et le maniait avec une étonnante facilité. Les bipèdes, eux, devaient s’accommoder des points faibles de cet appareil : sa crosse n’était pas réglable en longueur, il était assez lourd, son centre de gravité était difficile à trouver. Faire les réglages de l’objectif à la dernière seconde était presque impossible.
Aujourd’hui, les garçons russes ne rêvent plus d’avoir un fusil photographique. Comme beaucoup de jeunes dans le monde, ils voudraient qu’on leur offre toutes sortes de gadgets équipés d’une caméra numérique.
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