Comment une Tcherkesse est devenue mannequin pour Chanel et marraine des légionnaires français
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Fille d'un cosaque tcherkesse
La femme incroyable dont il sera question dans cet article porte de nombreux noms, dont « Gali Bajenova » ou « Comtesse Irène du Luart » ; et pourtant, c’est celui qui lui a été donné à la naissance qui correspond le mieux à son tempérament indomptable – « Elmiskhan ». Il semble qu’il cristallise toute la fierté et la beauté du Caucase russe dans ses quelques syllabes ! Elmiskhan le doit, ainsi que son caractère indomptable, à son père, un сosaque tcherkesse descendant de princes kabardes, commandant de la 2e brigade de la célèbre Division sauvage, Konstantin Hagondokoff. Proche de Nicolas II, il a fait preuve à plusieurs reprises d'une bravoure sans précédent au service de l'Empire russe.
Elmiskhan est née de son mariage avec Elizaveta Bredova, une Pétersbourgeoise descendante de Slaves polabiens ; jusqu'à la Révolution de 1917, elle a vécu entre Pétersbourg, la maison de son père dans le village de Kamennomostski dans le Caucase, et Paris, où elle se rendait souvent avec sa mère. Le bonheur et l'amour régnaient dans la maison des Hagondokoff. Aimée par sa grande famille, Elmiskhan est devenue une belle et élancée jeune femme. Mais si elle brillait par son apparence, elle se démarquait également par son esprit : elle était diplômée de Smolny, l'établissement d'enseignement pour femmes le plus prestigieux de l'Empire russe.
La jeune femme, à peine entrée dans l'âge adulte, voit un avenir difficile mais hors du commun s’ouvrir devant elle : des années de dures épreuves, la recherche d’une place dans un monde turbulent et une immense reconnaissance.
Errances
Quand éclate la Première Guerre mondiale, Konstantin Hagondokoff entre avec ses Cosaques dans le feu des batailles, et sa fille bien-aimée Elmiskhan travaille comme infirmière dans l'un des hôpitaux de Kislovodsk (Caucase russe). Au milieu de la douleur et de la mort, elle rencontre son premier mari, le capitaine du régiment Semionovski (unité militaire personnelle de l'empereur) Nikolaï Bajenov. Elle aura un fils unique avec lui.
La guerre, puis vient la Révolution de 1917. Après l’assaut du palais d'Hiver, le chaos règne dans toute la Russie. Le garde blanc Nikolaï Bajenov, grièvement blessé à la tête, emmène sa famille en Chine dans un train de marchandises, sans passeport. Il se voit offrir un poste à la Banque russo-asiatique de Shanghai.
Après cette blessure, le caractère de son mari change irrémédiablement. Incapable de supporter les querelles sans fin, la beauté tcherkesse demande le divorce. Pour se nourrir elle et son enfant, Elmiskhan va donc travailler dans l'une des maisons de couture françaises de Shanghai.
Grâce à cela, elle rencontre un fils d'immigrés de l'Empire russe, journaliste et écrivain français, Joseph Kessel. Il connaît très bien le russe et devient son ami, apportant un grand soutien à cette mère célibataire seule en terre étrangère. En 1922, Elmiskhan décide de retrouver sa famille à Paris.
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Mannequin et créatrice de mode
À Paris, la famille Hagondokoff peine à joindre les deux bouts. Elmiskhan, qui est arrivée de Chine, doit à nouveau chercher du travail. Sur recommandation du prince Felix Ioussoupov, elle va frapper à la porte de la maison de couture Chanel. Au début, la beauté travaille comme simple « mannequin de salon » et est l'un des modèles sur lesquels Coco Chanel essaie de nouvelles collections ; elle devient ensuite « mannequin mondain », ce qui signifie des apparitions plus fréquentes sur les podiums.
Sa beauté à couper le souffle et son sens du goût contribuent à son ascension fulgurante dans le domaine de la mode. Quelques années plus tard, Elmiskhan rejoint la maison de couture de Paul Poiret, qu'elle rachète en 1929 et à laquelle elle donnera son nom - Elmis. Elle dessine des croquis et coud des robes richement brodées. Cette activité lui permet d’entretenir toute sa grande famille.
La comtesse et son hôpital mobile
En 1935, Elmiskhan se remarie avec l'un des partis les plus enviables de Paris, le comte Ladislas du Luart. Elle adopte une nouvelle foi - le catholicisme -, un nouveau nom et un nouveau titre en devenant la comtesse Irène Du Luart. Elle s'installe au château de son mari, situé dans la Sarthe. Il semble que la stabilité soit revenue dans sa vie. Cependant, à cette époque, la guerre civile éclate en Espagne.
Avec ses fonds propres et ceux de ses nombreux amis, utilisant ses relations dans les usines Renault et à la Croix-Rouge, Elmiskhan crée un hôpital mobile innovant et se rend sur le front pour soigner les blessés. Son hôpital a de la pénicilline et des draps blancs comme neige, on y réalise des transfusions sanguines et des opérations complexes. Toujours calme et soignée, Elmiskhan surveille personnellement la discipline et ne craint aucune tâche. Elle ne sait pas que tout ce qui se passe n’est qu'une répétition d’événements ultérieurs encore plus monstrueux.
Dans le feu de la Seconde Guerre mondiale
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le fils unique d'Elmiskhan, Nikolaï, est militaire du 2e corps de l'armée américaine sous le commandement du général Clark. Le 8 novembre 1942, avec ses frères d’armes, il participe au débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord (française), alors dirigée par le régime de Vichy, fidèle aux nazis.
Au même moment, une épidémie éclate en Afrique. Sans hésitation, Elmiskhan part avec son hôpital sur les traces de son fils. Elle ne dit pas ouvertement qu'elle veut être avec lui, mais son cœur de mère la poussait à installer des tentes médicales en direction de la ligne de front où était stationné le régiment de Nikolaï, a écrit le petit-fils d'un de ses frères, Vladimir Khagondokoff, sur la base des récits de la comtesse.
Une fois les combats au Maroc et en Algérie terminés, la comtesse s'envole avec l'armée américaine vers l'Italie, pays sous régime fasciste. Son hôpital de campagne est le bienvenu. Les infirmières qui travaillaient pour elle affirment n'avoir rien vu de pareil ni en Espagne, ni en Algérie – d’innombrables blessés aux corps mutilés et avec des engelures passent par les salles d'opération sous les tentes. Mais Elmiskhan ne perd pas son calme.
À la veille de la bataille de Monte Cassino, son convoi médical traverse la rivière Garigliano et plante ses tentes à seulement 200 mètres des positions ennemies ! Les dirigeants français sont furieux, mais la comtesse est catégorique – sous le sifflement des obus qui fusent au-dessus de sa tête, elle sauvera les blessés lors de l'offensive, quoi qu’il en coûte... Pour son incroyable bravoure, cette fille d'un cosaque tcherkesse a reçu les médailles commémoratives des campagnes de Tunisie et d'Italie de 1942-1945 et la Croix de guerre 1939-1945.
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Fin de la guerre et nouvelle perte
La guerre est finie. Paris tente de se remettre de l'occupation. Une foule de badauds s'est rassemblée autour de la maison de la famille Khagondokoff – on salue avec joie un élégant militaire américain portant le nom russe de Nikolaï Bajenov. Le fils d’Elmiskhan est rentré chez lui, apportant honneurs et respect à sa famille émigrée. La comtesse est incroyablement heureuse. Enfin, ils peuvent couler des jours paisibles ensemble.
Nikolaï obtient un emploi à l'ambassade américaine et se marie, mais son union bat de l’aile et se termine par un divorce. Ce n'est que le début d’une série de malheurs qui s'abattent sur le chef de famille. Bientôt, Elmiskhan apprend la terrible nouvelle – son fils unique a un cancer du cerveau. Nikolaï meurt dans un hôpital parisien, laissant sa mère inconsolable. Elle reste longtemps cloîtrée dans son château, relisant les lettres qu'il lui a envoyées du front...
Marraine des légionnaires français
En disant que Nikolaï Bajenov était le fils unique de cette femme d’exception, nous avons un peu triché. Il est temps de vous dire qu'à part lui, la comtesse avait beaucoup de filleuls, ou plutôt tout un régiment !
Le fait est qu’en Algérie, en 1943, elle est devenue la marraine du 1er Régiment étranger de cavalerie, dont les soldats blessés ont été soignés dans son hôpital mobile. Avec le déclenchement de la guerre d'indépendance en Algérie (1954 - 1962), Elmiskhan, qui approchait la soixantième, vient à nouveau au secours des militaires français – elle crée pour eux un centre de rééducation.
Avec un soin particulier, elle soigne les plus pauvres des légionnaires, leur fournissant vêtements, nourriture, médicaments, écoutant leurs histoires sur les horreurs de la guerre. Elle connaît tout le monde par son prénom, les soldats lui parlent de leurs épouses comme avec leur propre mère... Pour ses services rendus à la France, Elmiskhan a reçu l'Ordre de la Légion d'Honneur du troisième grade et est faite Grand Officier de l'Ordre national du Mérite.
Après l'indépendance de l'Algérie, la comtesse retourne dans son château. Pendant ses journées, elle enseigne personnellement à ses servantes les techniques de nettoyage et de couture, qu'elle-même a parfaitement maîtrisées au cours de ses années difficiles. En 1977, son mari bien-aimé décède. Huit ans plus tard, elle meurt à son tour.
Une cérémonie d’adieu solennel à l'une des plus grandes patriotes de France, dont de nombreux militaires pourraient envier les récompenses, a eu lieu aux Invalides. Elle gisait entourée de toutes parts par des légionnaires, dont beaucoup ne pouvaient retenir leurs larmes, désolés de se séparer de leur chère marraine. Elle avait sauvé la vie de certains, pour d'autres, elle avait été un soutien inestimable dans les moments les plus difficiles. À la mémoire d'Elmiskhan, ses fils ont chanté a cappella l'hymne du 1er Régiment étranger de cavalerie...
En 1989, les filleuls d'Elmiskhan ont immortalisé à jamais sa mémoire en érigeant une stèle de marbre dans la cour de la Légion avec l'inscription : « Le premier régiment de cavalerie étrangère à sa marraine, la comtesse de Luart ».
Sources : sources ouvertes, film documentaire Les Tcherkesses ne meurent pas, livre de l'historien de la mode Alexandre Vassiliev La beauté en exil.
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