Gros plan sur le phénomène des dénonciations en URSS
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« Le parti dispose d’une importante armée d’informateurs volontaires. Nous possédons un tableau complet de tous et de chacun », a déclaré le dirigeant de l’URSS Konstantin Tchernenko (1984-1985). La dénonciation a en effet constitué l’un des traits les plus caractéristiques de la société soviétique tout au long de son histoire.
L’État lui-même encourageait la population à écrire des dénonciations afin d’identifier les « ennemis du peuple » dissimulés parmi la masse des honnêtes travailleurs. Ainsi, dans le Code pénal de 1926, une personne était menacée d’une peine d’emprisonnement pour « non-dénonciation d’un crime contre-révolutionnaire connu de manière fiable, planifié ou commis ». Cependant, l'on pouvait aussi se retrouver en prison pour calomnie.
Les dénonciations, dans la rhétorique de l’État soviétique, étaient appelées « signalement ». Chaque citoyen avait l’obligation d’être vigilant et de « signaler » aux forces de l’ordre toute « personne suspecte » au sein de son entourage.
De nombreux Soviétiques, par leurs dénonciations, souhaitaient sincèrement aider l’État dans sa lutte contre les « ennemis de la révolution ». D’autres utilisaient le système exclusivement à des fins égoïstes.
Au nom de la justice
« Dans le district de Mikhaïlovka (région du Zaporojié), le procureur Ostrokon est un criminel, il ruine les familles de l’Armée rouge, détourne les produits des fermes collectives, affaiblit l’économie des kolkhozes et traite grossièrement les plaignants. Les plaignants sont maltraités… Il est temps de vérifier cette personne ! », a écrit un soldat de l’Armée rouge du nom de Sokolov dans sa dénonciation au NKVD (police politique).
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Dans les dénonciations « désintéressées », les auteurs restaient souvent anonymes, se contentant de signer « Un partisan » ou « Un membre du Parti ». Parfois, un « anonyme » était mû par des sentiments véritablement désintéressés et le désir de rétablir la justice. Écrire une plainte directement au NKVD ou « personnellement à Staline » était une meilleure option à leurs yeux que de patauger au milieu d’une armée de fonctionnaires et de bureaucrates inefficaces.
Certains de ces volontaires se sont tellement pris au « jeu » qu’ils ne se sont pas limités à une ou deux dénonciations. Dans un cas connu, un redresseur de torts de la région de Moscou a envoyé plus de 300 « signalements » à diverses autorités. La plupart des accusations qu’ils contenaient n’ont finalement pas été confirmées.
Pour la carrière et les privilèges
Le dénonciateur n’était néanmoins pas toujours motivé par de belles intentions. Les motifs des plaintes auprès des « hautes autorités » pouvaient être la jalousie professionnelle ou le désir de prendre la place d’un collègue.
En 1937, une dénonciation a été rédigée contre un jeune employé du Commissariat du peuple (ministère) de l’Agriculture Ivan Benediktov. Certains n’appréciaient pas son travail acharné et son professionnalisme, qui lui avaient permis de gravir rapidement les échelons dans son administration.
Benediktov a eu de la chance. Staline avait besoin de ce cadre précieux et, au lieu d’un procès, il s’est vu confier le poste de commissaire du peuple à l’agriculture de l’URSS. En voyant le texte ses délateurs, Ivan Benediktov était sous le choc : « C’étaient les signatures de personnes que je considérais comme mes amis les plus proches, en qui j’avais une confiance totale et absolue ».
En plus des calomniateurs épisodiques, il y avait des « dénonciateurs à plein temps » dans les équipes de travail. Nina Maltseva, qui travaillait dans les médias soviétiques, a rappelé : « Chaque institution avait son propre "informateur-balance" du NKVD, il devait trouver des "ennemis du peuple" et les identifier, puis [les autorités décidaient] comment, quand et où les arrêter. Dans notre rédaction, cette balance était un certain Moisseïevitch – une personne stupide, arrogante et rusée, qui jouissait de son pouvoir. La balance fouinait, fourrait son nez partout, menaçait tout le monde. Il occupait un modeste poste d’intendant. Il avait sur la conscience les vies et malheurs de nombreuses personnes. Façon de parler, car il n’avait aucune conscience ».
Affaires de famille
Les dénonciations étaient activement rédigées non seulement au travail, mais aussi dans la vie quotidienne. En accusant un voisin d’avoir un portrait de Trotski accroché dans sa maison, ou en affirmant qu’il menait des activités subversives dans le kolkhoze, le « citoyen vigilant » pouvait recevoir une généreuse récompense en monnaie sonnante et trébuchante.
Tout cela est allé si loin que dans le cadre d’une campagne de propagande à grande échelle, des enfants ont dénoncé leurs propres parents. L’exemple le plus célèbre est l’histoire de Pavel Morozov. Cet adolescent de treize ans, qui a dénoncé son père au motif que ce dernier aurait détourné des biens socialistes, a été assassiné par sa famille pour cela, et est ensuite devenu un véritable héros. Des monuments ont été érigés en son honneur, des livres et des poèmes lui ont été dédiés.
Dans la région de Rostov, l’écolier Mitia Gordienko a quant à lui dénoncé des habitants de son village qui avaient ramassé des épis tombés dans le champ d’une ferme collective (selon la « loi des trois épis » de 1932, l'on pouvait être condamné à mort pour avoir volé ne serait-ce que quelques grains). Sur dénonciation du garçon, une femme a été arrêtée et condamnée à 10 ans de camps, tandis que son compagnon a été exécuté. Pour son « exploit », Mitia a reçu une montre avec son nom, un costume de pionnier (équivalent soviétique des scouts) et un abonnement au journal Les petits-enfants de Lénine.
De son côté, la pionnière Olia Balykina a envoyé 16 personnes sur le banc des accusés au motif qu’« ils volaient et volent des biens du kolkhoze ». Pronia Kolybine, qui avait dénoncé sa propre mère, a été envoyé en vacances dans le camp de pionniers Artek en récompense de son geste.
Le pic de dénonciations est survenu sous Staline dans les années 1930 et 1940. Après la mort du « petit père des peuples », la tendance a commencé à décliner, mais cette pratique a continué à faire partie intégrante de la société soviétique, et ce, jusqu’à l’effondrement de l’URSS. Аlors que certaines archives des agences de sécurité de l’État ne sont toujours pas consultables, le nombre exact de dénonciations déposées reste inconnu aujourd’hui.
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