Qui est réellement le personnage de Viï de la littérature russe?
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Enigmatique et terrifiant
« Un coup d’œil furtif permit au philosophe de voir qu’on amenait un petit bonhomme trapu, courtaud, cagneux, tout souillé d’une terre noire sur laquelle ses pieds et ses mains faisaient saillie comme des racines noueuses. Il ne marchait qu’avec peine et trébuchait à chaque pas. Les longs cils de ses paupières fermées tombaient jusqu’au sol. Thomas remarqua avec terreur que son visage était de fer ». Voilà la description du Viï que Nicolas Gogol donna dans sa nouvelle du même nom.
« Viï est une création colossale de l’imagination populaire. On appelle ainsi chez les Petits-Russiens le chef des gnomes, dont les paupières pendent jusqu’à terre. Toute cette nouvelle est une tradition populaire », explique l’auteur en note du titre de son récit. Les ethnologues n’ont jamais trouvé dans le folklore aucune trace de Viï. C’est pourquoi on se demande jusqu’à aujourd’hui quel personnage mythologique servit de prototype à celui de Nicolas Gogol et pourquoi il lui donna ce nom. Les hypothèses sont aussi nombreuses que différentes. Voici les principales.
Saint Cassien
Dans le folklore des Slaves de l’Est, saint Cassien est un personnage à la nature ambivalente dont l’origine est à chercher dans le paganisme et le christianisme. On le fête le 29 février, soit une fois tous les 4 ans. La réputation de ce saint est trouble : dans le peuple, on considérait qu’il apportait le malheur. Cela se reflète dans des dictons. Par exemple, on croyait que son regard avait une force destructrice : « Sous le regard de Cassien, tout se flétrit », « Cassien est arrivé, il s’est mis à claudiquer et à tout détruire à sa manière ».
Judas Iscariote
Des sources apocryphes décrivent ainsi Judas peu de temps avant sa mort : ses paupières devinrent énormes, elles grossirent jusqu’à avoir une taille incroyable, elles l’empêchaient de voir. Son corps gonfla monstrueusement et s’alourdit.
Seigneur des profondeurs féerique
Dans un conte populaire russe, le personnage d’Ivan-Bykovitch tue des monstres à plusieurs têtes et leurs femmes sur la rivière Smorodina. Il s’attire ainsi le courroux d’une sorcière. Pour se venger, elle enlève Ivan et le livre à son mari, un seigneur des entrailles de la Terre. Celui-ci « gît sur une couche de fer, ne voit rien : ses cils longs et épais l’empêchent complètement de voir ».
Vélès (Volos)
Vélès était l’un des dieux les plus importants du panthéon slave pré-chrétien. Il était le dieu de la terre, des mondes souterrains, de la magie, du bétail et de la richesse. Après le baptême de la Russie (988), beaucoup de ses traits furent attribués à saint Blaise qui devint le protecteur du bétail.
Satan
Les spécialistes de la littérature ont établi que la scène de Viï dans laquelle la morte se relève de son cercueil et que Thomas se protège de ses maléfices en s’enfermant dans un cercle magique renvoie à La Sorcière de Berkeley, ballade du poète anglais Robert Southey (1774-1843). De toute évidence, Nicolas Gogol connaissait la traduction que Vassili Joukovski en avait faite en 1814. Certains motifs de la ballade trouvent un écho dans Viï : avant de mourir, la sorcière exige du moine qu’il lise pendant trois nuits des prières pour son salut. Les deux premières nuits sont plutôt calmes. Le diable apparaît lors de la troisième et emporte la sorcière avec lui. On ne sait pas ce qui arrive au moine.