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La vie cachée d’Anton Tchékhov racontée par le slaviste britannique Donald Rayfield

Legion Media
Ses récits et ses pièces rendirent Anton Tchékhov célèbre. Son style de vie peu commun pour l’époque fit également de lui un personnage connu. Ce bel homme de grande taille était un bourreau des cœurs, adorait le jardinage et consacra beaucoup de temps à faire le bien autour de lui. Ce qui ne l’empêchait pas d’être souvent froid, cruel et insupportable avec ses proches.

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Donald Rayfield, docteur en philosophie, spécialiste de littérature, slaviste, professeur au Collège de la Reine Marie à l’Université de Londres, auteur des livres La vie d’Anton Tchékhov et Staline et ses hommes de mains, a accordé un entretien à Fenêtre sur la Russie dans lequel il évoque la vie du grand écrivain russe de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

En compagnie de ses amis et de membres de sa famille dans sa maison de Moscou
Keystone / Getty Images

Un interlocuteur agréable

« Tchékhov était un fin psychologue et prenait facilement langue avec les gens. Il savait qu’il faut plus écouter que parler. Cette attitude non seulement attirait l’attention sur lui, mais inspirait confiance à ses interlocuteurs. Mais, il ne se comportait pas ainsi avec tout le monde. Par exemple, il n’aimait pas la compagnie des aristocrates et des fonctionnaires. C’est pourquoi il ne goûtait pas l’atmosphère de Saint-Pétersbourg, dont il ressentait le snobisme : dans la capitale, on le considérait avant tout comme un médecin de province.

Tchékhov était avant tout un homme de la région de Moscou et de Taganrog. Il s’y sentait à l’aise.

Ses connaissances le considéraient comme un interlocuteur fuyant. Il posait les questions mais ne répondait pas à celles qu’on lui adressait. Il n’aimait pas faire de grands discours. Il donnait des conseils mais évitait certains sujets. Il ne parlait pas ni de politique, ni de vie privée, ni de maladies. Certains appréciaient sa conversation, tout en sentant qu’elle aurait pu être plus franche.

Il recevait avec plaisir les gens qu’il avait invités mais n’aimait pas les visiteurs qui s’imposaient.

L’écrivain avait de très bonnes relations avec la domesticité : la sienne et celle des hôtels dans lesquels il descendait. Les domestiques l’aimaient beaucoup. Dans les couloirs du Bazar slave, Tchékhov ne les prenait jamais de haut et parlait avec eux d’égal à égal. Il avait aussi d’excellents rapports avec les actrices qui étaient les femmes les plus libres du pays et étaient souvent intelligentes. Il venait en aide à celles qui avaient un destin tragique. Cela ne l’empêchait pas de se mettre en colère contre elles lorsqu’il trouvait qu’elles tenaient mal leurs rôles dans ses pièces. Il s’entendait bien avec ses collègues médecins à condition qu’ils ne veuillent pas l’examiner.

Mais, à en croire la nécrologie qui lui fut consacrée dans la revue Le médecin russe (Русский врач), tous ses confrères ne l’appréciaient pas. Cette notice disait en substance : "il écrivait des récits intéressants en se fondant sur sa pratique médicale". Rien de plus !

Tchékhov était conscient d’avoir de mauvaises manières. Il ne tenait pas en place, aimait manger debout, n’aimait pas les formalités. Sur les photographies qu’on a de lui, on voit qu’il choisissait ses vêtements avec goût. C’était un bel et grand homme qui s’habillait élégamment et aimait plaire aux femmes. Les poses qu’il a sur ces clichés ne sont que quelques-unes de celles d’un homme qui savait se montrer à son avantage ».

Mondadori / Getty Images

Ses relations avec les femmes

« Tchékhov conseillait aux femmes qui n’avaient pas trouvé le bonheur dans le mariage de ne pas supporter les incartades de leur mari, d’être indépendantes et d’avoir le courage de se séparer le temps venu.

Il avait lui-même des relations compliquées avec la gent féminine. Il appréciait la compagnie des prostituées qui exerçaient dans les maisons de tolérance qu’il fréquentait mais ne les aimait pas. Les femmes dont il tombait amoureux ou qu’il admirait ne suscitaient pas son désir.

Les exemples de certains couples de sa connaissance ne l’encourageaient pas à se marier. Ses amis se plaignaient de leurs femmes : soit ils s’ennuyaient avec elles, soit elles les trompaient. Tchékhov était entouré d’hommes mariés malheureux et se persuada qu’il ne fallait pas s’engager pour la vie. Quand il était jeune, il pensait que plus les maîtresses sont nombreuses, moins elles présentent de risques.

Fine Art Images / Heritage Images / Getty Images

Lorsqu’il rencontra Olga Knipper, Tchekhov comprit qu’il avait fait la connaissance d’une femme intelligente et indépendante. En un sens, Knipper vengea toutes les femmes que Tchékhov avait abandonnées. La vie avec elle était loin d’être une sinécure. Leur mariage fut celui de deux partenaires. Elle était l’actrice la plus belle et la plus talentueuse de l’époque ; il était l’écrivain le plus en vue. Il se consacra alors plusieurs années à l’écriture théâtrale.

Knipper était une femme de caractère. Quand Tchékhov était à Yalta, elle ne lui donnait pas son adresse à Moscou. Il ne savait pas où elle était. Il lui écrivait au théâtre. Pendant cette période de leur relation, elle continuait à fréquenter d’autres hommes, ce que tout le monde dans leur cercle savait. À cet égard, les mœurs du MKhAT (Théâtre d’art de Moscou – ndlr), où elle jouait, sont tout à fait intéressantes. C’était quelque chose de vraiment licencieux ! Cela fait plus de 40 ans que j’attends l’ouverture des archives du théâtre. Je n’ai jamais entendu dire d’une actrice britannique ce que je sais d’Olga Knipper. Elle était vraiment la force incarnée ».

Culture Club / Getty Images

Un homme généreux

« Toute sa vie, Tchékhov aida ses frères et ses neveux, donna de l’argent aux enfants mendiants, sauva des enfants nés hors des liens du mariage des orphelinats. Je ne connais aucun autre écrivain russe qui ait fait autant de bien autour de lui. Même si on profita beaucoup de lui, en particulier ses frères. Il finança la construction d’écoles, de ponts, etc. Si Tolstoï aida l’humanité, Tchékhov, lui, aida les hommes.

Tchékhov n’aimait toutefois pas avoir d’enfants autour de lui. Ses rapports aux animaux aussi étaient ambivalents. Il abandonna les teckels qu’on le voit caresser sur une photo. Il les envoya dans un chenil de chiens de chasse de Melikhovo où ils moururent. Il était capable de prendre des décisions très cruelles lorsqu’il voulait se débarrasser d’un homme ou d’un animal qui était devenu un fardeau pour lui. Il laissa sa mangouste dans un zoo alors que, peu avant, il avait qualifié les zoos de "cimetières pour animaux". La pauvre bête connut ce sort parce qu’elle mordait et mettait le désordre dans le bureau de Tchekhov. Certaines femmes se plaignirent qu’il avait agi de la même façon avec elles ».

Anton Tchékhov à Ialta, en Crimée
Fine Art Images/Heritage Images / Getty Images

Ses hobbies

« Tchékhov était un très bon jardinier. L’aménagement de son jardin à Yalta était tout simplement génial. On voit qu’il était un véritable artiste. Il cherchait constamment de nouvelles plantes et les acclimatait. Il avait sur son bureau des catalogues français de plantes de serre et non pas les œuvres d’autres écrivains. Je pense qu’il construisait ses récits comme il faisait les plans de ses jardins : pas d’intrigues, pas de dénouement, un sujet qui a une structure cyclique. Le jardinier Tchékhov exerçait une influence énorme sur l’écrivain Tchékhov.

Il aimait les églises, les chants religieux, les moines, même s’il n’était pas croyant. Des nouvelles comme L’Étudiant ou L’Évêque témoignent du regard distancié qu’il portait sur la religion. Il regarde ses personnages, il observe ce qui se passe, il connaît les textes saints, mais s’implique pas ».

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