Quand les écrivains russes formaient des triangles amoureux

Domaine public
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Les classiques russes ne se contentaient pas de décrire les souffrances amoureuses dans leurs romans et leurs poèmes, ils pratiquaient également des relations familiales extrêmement complexes dans leur vie. Cela conduisait parfois à des tragédies.

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Ivan Tourgueniev, Pauline et Louis Viardot   

Fenêtre sur la Russie (Photo: Galerie Tretiakov; Domaine public)
Fenêtre sur la Russie (Photo: Galerie Tretiakov; Domaine public)

« Je vis au bord d’un nid étranger », disait de lui-même le célèbre romancier du XIXe siècle. Après avoir dépeint de nombreuses familles différentes dans ses romans, il n’a jamais réussi à fonder la sienne. Cela s’explique peut-être par les relations difficiles de ses parents (sa mère était plus âgée et plus riche que son père, qui n’était pas très fidèle à son épouse). Ou peut-être était-ce son amour profond pour la chanteuse française Pauline Viardot, qu’il a porté toute sa vie.

Tourgueniev et Pauline se sont rencontrés alors qu’ils avaient tous deux un peu plus de 20 ans. C’est le mari de la chanteuse, Louis, qui les a présentés. Pauline avait une apparence assez inhabituelle, que beaucoup trouvaient peu attrayante. Cependant, sa voix incroyablement envoûtante la rendait belle. Tourgueniev était quant à lui un homme grand et corpulent, mesurant près de 2 mètres, on le surnommait « l’ours russe ».

Pendant les 40 années qui suivirent, l’écrivain s’efforça de ne pas se séparer du couple Viardot. Il vivait non loin de chez eux, les voyait régulièrement, assistait aux représentations de Pauline, lui confia l’éducation de sa fille, née d’une paysanne russe, lui offrait des bijoux et ne pouvait vivre sans Viardot. Cette union dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1883 ; mort qu’il rencontra dans les bras de Pauline.

Nikolaï Nekrassov, Avdotia et Ivan Panaïev

Fenêtre sur la Russie (Photo: Galerie Tretiakov; Domaine public)
Fenêtre sur la Russie (Photo: Galerie Tretiakov; Domaine public)

Le poète russe Nikolaï Nekrassov, connu comme le « chantre de la paysannerie », était non seulement un commerçant prospère et expérimenté, mais aussi un séducteur passionné. Ses exploits romantiques ont donné lieu à de nombreuses légendes. L’une des relations les plus scandaleuses de l’écrivain fut son ménage à trois avec le couple Panaïev. Avdotia Panaïeva était l’épouse d’un autre écrivain et critique russe, Ivan Panaïev. Cependant, cela ne dérangeait pas le jeune poète. Il la courtisa longtemps, cherchant à obtenir sa réciprocité.

Au début, elle le repoussait, mais elle finit par céder. Il est intéressant de noter que c’est Avdotia qui présenta son amant à son mari, ce qui marqua le début d’une longue et solide amitié entre les deux hommes. C’est ainsi Ivan Panaïev qui invita Nikolaï Nekrassov à s’installer sous leur toit. Cette union dura 16 ans et donna naissance à deux fils, qui moururent en bas âge. Après la mort d’Ivan Panaïev, Nikolaï et Avdotia se séparèrent.

Olga et Nikolaï Tchernychevski et un certain Ivan Fiodorovitch

Fenêtre sur la Russie (Photo: Domaine public)
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Classique de la littérature russe du XIXe siècle, auteur du roman interdit Que faire ?, Nikolaï Tchernychevski, comme certains de ses contemporains, considérait que le mariage traditionnel était dépassé et nécessitait de sérieuses réformes. Avant même de se marier, il écrivait : « À mon sens, la femme occupe une place indigne dans la famille. Toute inégalité me révolte. La femme doit être l’égale de l’homme. Mais quand un bâton a longtemps été courbé d’un côté, pour le redresser, il faut le courber fortement de l’autre côté ».

Au début, il a lui-même été le « troisième » dans le mariage de son ami Vassili Lobodovski. Ce dernier avait épousé la fille d’un gardien de gare, sans dot. Tchernychevski s’intéressait à tous les détails de la relation des jeunes mariés, les aidait financièrement et montait la garde sous leur fenêtre. Néanmoins, la fille du gardien refusait d’apprendre les langues et de lire Gogol, une éducation qui finit par décevoir Tchernychevski et Lobodovski.

Tchernychevski décida alors de se marier lui-même. Son choix se porta finalement sur Olga Vassilieva, la fille d’un médecin de Saratov. Le tempérament et les relations de la jeune femme avec les hommes mettaient sa réputation en péril, mais Tchernychevski la « sauva » du joug parental et des ragots.

Dans les lettres qu’il envoyait à sa femme depuis son exil, l’écrivain insistait pour qu’elle prenne soin de sa santé et respecte les règles d’hygiène, l’abstinence sexuelle notamment étant contre-indiquée pour les femmes. Olga écouta son mari et prit par conséquent un amant du nom d’Ivan Fedorovich.

Alexandre Herzen, Nathalie et Georg Herwegh

Alexandre Herzen, Nikolaï Ogariev et Nathalie (une autre)

Fenêtre sur la Russie (Photo: Galerie Tretiakov; Domaine public)
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L’écrivain Alexandre Herzen, auteur du roman À qui la faute ?, parvint à vivre en mariage libre, brouillant ses relations familiales au maximum. Les sommets du premier triangle amoureux étaient Alexandre, sa femme Nathalie et le poète romantique allemand Georg Herwegh. Ils vivaient à Genève, Herwegh enseignait les sciences naturelles au fils de Herzen, Nathalie donnait des cours de russe à Herwegh, tandis que la femme de Herwegh, Emma, vivait à Paris avec leurs deux enfants. Suivant les idées de Rousseau et de George Sand, Nathalie rêvait de réunir les deux familles sous un même toit, quelque part au bord du lac Léman. Ce fut le cas pendant un court moment, mais Herwegh révéla à Emma sa liaison avec Nathalie, et Herzen chassa Herwegh de chez lui. Emma le supplia de laisser Nathalie partir avec Herwegh, qui était inconsolable et menaçait de se suicider. L’affaire faillit dégénérer en duel. En raison de toutes ces épreuves, Nathalie, qui était enceinte, tomba gravement malade et mourut en mai 1851, emportant l’enfant avec elle.

Fenêtre sur la Russie (Photo: Domaine public)
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Or, six ans plus tard, Herzen revivra l’expérience du « ménage à trois ». Cette fois, Alexandre tomba amoureux de la femme de son ami et frère adoptif Nikolaï Ogariev, Nathalie Toutchkova-Ogarieva (qui était d’ailleurs une amie de la défunte épouse de Herzen). Ogariev était généreusement prêt à céder, mais, finalement, Herzen trouva la paix auprès d’une autre femme qui avait besoin d’être « sauvée » et protégée, Mary Sutherland.

Lilia et Ossip Brik et Vladimir Maïakovski

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La famille polyamoureuse la plus célèbre de la littérature russe. Lilia et le poète futuriste Vladimir Maïakovski se sont rencontrés en 1915. À cette époque, Lilia était déjà mariée au critique littéraire Ossip Brik. Une liaison s’est nouée entre eux et, trois ans après leur rencontre, Lilia a invité Maïakovski à s’installer chez eux. La vie à trois ne fut pas aisée, mais très intense. Le poète Andreï Voznessenski se souvenait comment Lilia Brik décrivait les détails de leur vie intime, en insistant sur la passion et l’impulsivité du poète, qui était en même temps extrêmement jaloux.

Maïakovski s’investissait corps et âme dans cette union à trois : il aimait, souffrait et subvenait aux besoins de tous. Il acheta même une voiture à Lilia, qui conduisait assez imprudemment et renversa même un jour un enfant. Dix ans plus tard, Lilia et Ossip divorcèrent, et cinq ans plus tard, Maïakovski se suicida. Lilia vécut longtemps et, dans sa vieillesse, aimait se remémorer sa jeunesse rebelle.

Ivan Bounine, Vera Mouromtseva et Galina Kouznetsova

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Quand on demanda un jour à l’écrivain Ivan Bounine s’il aimait sa femme Vera, il répondit : « Aimer Vera ? Comment ça ? C’est comme aimer sa main ou son pied... ». Il n’est donc pas surprenant qu’après être tombé amoureux de Galina Kouznetsova, qui avait 30 ans de moins que lui, Bounine l’ait amenée après quelque temps dans la maison qu’il partageait avec Vera. Au début, il l’a présentée comme sa secrétaire et son élève, mais leur véritable relation n’est bientôt plus restée secrète.

En 1933, ils se rendirent tous les trois à Stockholm pour la remise du prix Nobel de littérature à Bounine. Sur le chemin du retour, Galina fit la connaissance de la chanteuse d’opéra Margarita Stepoun et partit vivre avec elle. Vera, quant à elle, vécut avec son mari jusqu’à sa mort en 1953.

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