Que les grands auteurs de la littérature russe pensaient-ils de l’hiver?
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Rendez-nous l’été !
L’hiver, le temps en Russie est changeant : tantôt le soleil brille, tantôt il neige, tantôt le dégel s’impose, tantôt il fait froid à pierre fendre. Ces caprices de la nature n’étaient pas du goût de tout le monde. Ainsi, Ivan Tourgueniev ne les supportait pas : « un ouragan de neige souffle, geint, gémit, hurle depuis ce matin à travers les rues désolées de Moscou - les branches des arbres sous mes fenêtres s'entrechoquent et se tordent comme des désespérées, des cloches tintent tristement au travers : nous sommes en plein grand Carême... Quel joli petit temps! quel charmant pays ! » , écrivait-il de Moscou le 10 (ancien style) / 29 (nouveau style) 1867 à Pauline Viardot.
Le poète Korneï Tchoukovski n’appréciait pas plus la froidure de l’hiver : « Le temps dehors est immonde : il tombe une véritable saloperie du ciel, en grande quantité, qui se transforme sur le sol en une bouillie qui ne s’écoule pas, comme le fait la pluie, et qui ne s’agrège pas, comme le fait la neige. Les rues ne sont plus qu’une énorme flaque. Il y a du brouillard. Personne de ceux qui sont sortis hier soir n’échappera à l’influenza, à la fièvre, au typhus. »
Le poète Alexandre Blok, lui aussi, était allergique à l’hiver : « Horreur sans fin des réveillons et des fêtes : il fait tellement froid qu’on croise dans les rues des gens perdus qui avancent d’un pas mal assuré. En me promenant avant d’aller aux bains, je mourais de froid dans un manteau de prix », se plaignait-il.
De Melikhovo, Anton Tchékhov écrivait à son éditeur Alexeï Souvorine : « ... Dans la journée, il tombe de la neige en abondance. La nuit, la lune brille de mille feux, une lune splendide, merveilleuse. C’est un spectacle magnifique. Je m’étonne tout de même de la résistance des propriétaires terriens qui, bon gré mal gré, passent l’hiver à la campagne. L’hiver à la campagne, il n’y a rien à faire à un tel point que quiconque n’est pas occupé par les choses de l’esprit ne peut que devenir un ogre ou un ivrogne ou un Pégassov [au lieu de Pigassov – ndlr] de Tourguéniev. La monotonie des congères et des arbres dénudés, la longueur des nuits, la lumière de la lune, le silence de mort nuit et jour, les bonnes femmes, les vieilles femmes – tout cela dispose à la paresse, à l’indifférence et à l’hépatomégalie. »
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On en a assez d’hiberner
« Le soir. Dehors, une terrible tempête se déchaîne sans montrer de signe d’affaiblissement. Je viens de sortir sur le perron. Un vent froid et cinglant m’a projeté de la neige au visage. Dans cette obscurité impénétrable et tourbillonnante, on ne voit même pas les bâtiments alentour. C’est à peine si, comme dans le brouillard, on distingue le jardin enneigé. Le froid est insupportable. ». C’est ainsi qu’Ivan Bounine décrivait le mauvais temps hivernal.
« Cet hiver n’en finira vraiment jamais. Quand on regarde par la fenêtre, on a envie de cracher [à la face de l’hiver]. Et cette neige grise couvre et couvre les toits. J’en ai assez de cet hiver ! », se plaignait Mikhaïl Boulgakov dans une lettre au philosophe Pavel Popov.
Fiodor Dostoïevski essayait de trouver des qualités à la froidure : « Venez passer l’hiver à Saint-Pétersbourg. Saint-Pétersbourg est terriblement maussade et ennuyeux. Mais, il renferme tout en même en lui ce qui vit consciemment en nous. Et cela a tout de même du sens. En dépit de son climat épouvantable, Saint-Pétersbourg sera bon pour votre santé. Vous êtes très nerveuse, impressionnable et rêveuse. Donc, moins que personne, vous ne devez rester isolée. »
Certains avaient parfois la possibilité de passer l’hiver au bord de la mer. De Ialta, Ivan Bounine écrivait à Anton Tchékhov : « Quelques jours durant, l’hiver fut tourmenté. Exactement comme chez nous dans les journées sombres de mars, quand "le fils suit le père", c’est-à-dire quand la neige mouillée tombe en abondance. Tout a maintenant fondu. Il fait un beau jour frais et ensoleillé. Mais les montagnes sont comme les suisses ».
Si les hivers en Crimée sont incomparablement plus doux et chauds qu’à Moscou ou Saint-Pétersbourg, on peut aussi s’en lasser. « Ici, dans la ville bénie de Ialta, on pourrait crever lorsqu’on ne reçoit pas de correspondance. Oisiveté, hiver stupide durant lequel la température reste toujours supérieure à 0°C, absence totale de femmes intéressantes, groins de cochons sur le quai. Tout cela pourrait gâter et user n’importe quel homme en peu de temps. Je suis fatigué, j’ai l’impression que cet hiver dure depuis dix ans. », se lamentait Anton Tchékhov.
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Hiver parfois agréable
Comment toutefois ne pas céder au charme des paysages de la Russie en hiver ? « La lampe sur ma table diffuse une lumière pâle. Les motifs blancs dessinés par le gel sur les fenêtres brillent et se parent de couleurs différentes. Tout est calme. Une tempête de neige souffle et Macha ronronne une chanson. En écoutant cet air, la volonté est abolie et on se soumet au pouvoir de cette longue soirée d’hiver. », avouait Ivan Bounine.
« Il fait très beau et chaud à Ialta. Tout est vert. Je pense passer l’hiver ici. L’hiver sera long, long », écrivait Anton Tchékhov.
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