La résidence d’été des Cheremetiev à Kouskovo, un chef-d’œuvre de l’architecture en bois
Lorsqu’on s’en approche, on a peine à croire que ce palais de stuc rose est en réalité en bois. Trois portiques à colonnes ioniques en habillent la façade. Des motifs végétaux en bois sculpté décorent leurs tympans. Des sphinx veillent sur le large escalier en pierre et les deux rampes qui permettaient à des équipages de monter jusqu’à l’entrée d’apparat et d‘en redescendre.
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Il y a deux cent cinquante ans, sur le domaine de Kouskovo qui appartenait aux Cheremetiev était achevé l’un des plus remarquables monuments architecturaux de l’époque du règne de Catherine II. Il est tout à fait incroyable que ce joyau en rondins de bois ait survécu aux vicissitudes de l’histoire de Moscou. Alors situé à l’est de la ville, le village de Kouskovo fut acquis en 1715 par Boris Cheremetiev, un proche de Pierre le Grand et général lors de la bataille de Poltava (1709). Il y fit construire une résidence d’été de taille modeste qui allait plus tard être considérablement agrandie et embellie.
En 1743, Piotr, l’un de ses fils, épousa Varvara Tcherkasski. Cette union fit d’eux l’une des familles les plus riches de l’Empire. La dot comprenait des architectes et des peintres dont la condition était celle de serfs : ils allaient jouer un rôle majeur dans la transformation de Kouskovo. L’embellissement du domaine, situé non loin de celui de Vechniaki qui appartenait à la famille Tcherkasski, doit certainement à sa proximité avec le palais que Bartolomeo Rastrelli avait construit pour l’impératrice Elisabeth à Perovo, également à l’est de la Moscou de l’époque.
Résidence d’été
À Kouskovo, la seconde moitié du XVIIIe siècle fut marquée par la construction d’une imposante résidence d’été. La transformation de celle de Boris Cheremetiev débuta lentement dans les années 1750. En 1755, un grand étang fut creusé devant le manoir. On doit à Karl Blank, qui s’acquitta de son office d’architecte à Kouskovo de 1765 à 1780, d’avoir envisagé l’extension de la résidence originelle à la fin des années 1760.
Le projet définitif de la façade et d’une grande partie des intérieurs est l’œuvre de l’architecte français Charles de Wailly, qui avait travaillé pour Catherine II. Les fondations du bâtiment sont en pierre calcaire et en brique. Les murs porteurs sont formés de rangées horizontales de rondins de pin. Bien que la texture des planches du parement des façades soit visible de près, il suffit de s’éloigner un peu pour avoir l’impression d’un édifice en maçonnerie avec des balustres sous les fenêtres et des panneaux sculptés au-dessus d’elles. Les plafonds des portiques qui ornent la façade sont tous les trois portés par des colonnes ioniques. Les tympans des portiques latéraux sont arrondis ; celui du porche central est triangulaire et orné du chiffre des Cheremetiev. Ils sont tous décorés de motifs en bois sculpté. Deux rampes et un escalier mènent à l’entrée principale.
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Intérieur
À l’intérieur, on découvre deux enfilades parallèles. Les pièces d’apparat qui forment la première donnent sur l’étang. Les fenêtres des salons privés de la seconde, ouvrent sur un jardin à la française. Malgré la richesse de ses intérieurs, la résidence de Kouskovo n’a pas été pensée pour être un palais important qui aurait nécessité d’être construit en maçonnerie. De nombreux éléments de la décoration intérieure furent copiés sur ceux des palais des Cheremetiev à Saint-Pétersbourg. D’autres, comme les parquets, n’ont rien d’original mais témoignent de l’art des parqueteurs russes.
Les moulures sont en papier mâché ou en plâtre et les détails architecturaux plus importants, en faux marbre. Malgré l’utilisation de matériaux destinés à faire croire qu’ils étaient de prix (elle répond au caractère théâtral de la résidence dont chacune des pièces est comme une scène avec sa décoration particulière), ce bâtiment est, dans sa conception et sa réalisation, le meilleur exemple conservé jusqu’à nos jours à Moscou d’un décor néo-classique à la française.
Entrée principale et décoration des pièces
Le vestibule était décoré de vases d’albâtre, de peintures murales en grisaille représentant des scènes de la mythologie classique, de pilastres en scagliola et de chapiteaux en papier mâché et en plâtre. Il ouvre de chaque côté sur l’enfilade des salons d’apparat, dont la salle des Tapisseries avec ses tentures flamandes, ses chaises de style Chippendale et les bustes de Piotr et Varvara Cheremetiev par Fiedot Choubine. Cette enfilade se termine dans un éclat de couleur dans le salon mauve à l’angle sud-ouest. Le choix des couleurs dominantes pour chaque pièce tendue de tissus comme le damassé de soie, le satin et la brocatelle, est déterminé non seulement par celui des pièces adjacentes, mais aussi par les extérieurs et la lumière naturelle qui entre par les grandes fenêtres. Le salon mauve donne sur la chambre d’apparat qui est copiée de la même pièce au palais Cheremetiev sur la Fontanka à Saint-Pétersbourg. Les appartements de la famille Chérémétiev sont attenants à la chambre d’apparat et ouvrent sur l’enfilade sur le jardin. Les appartements sont décorés avec des éléments russes comme un poêle recouvert de carreaux de céramique aux motifs décoratifs à la fois traditionnels et néo-classiques.
Salle de bal
La salle de bal décorée dans le style du classicisme héroïque se trouve au centre de l’enfilade qui longe le jardin. Elle est également appelée galerie des glaces, des miroirs étant placés en regard des portes-fenêtres et reflétant la lumière du jour.
C’est un procédé utilisé dans d’autres grandes pièces de la résidence de Kouskovo pour donner l’impression de plus grands volumes et améliorer la luminosité (les pièces étaient alors éclairées par la lumière du jour, des torchères et des candélabres de couleur dorée). Cette technique avait été appliquée par Bartolomeo Rastrelli et ses prédécesseurs qui avaient créé les intérieurs des palais impériaux de Saint-Pétersbourg.
La décoration de la salle de bal est typique des résidences aristocratiques. Le plafond est couvert d’une peinture exécutée par Louis Lagrenée (et restaurée dans les années 1880). Elle donne à voir l’apothéose de Piotr Cheremetiev entouré de plusieurs muses. Les bords du plafond sont rehaussés des reproductions des différentes décorations dont il avait été distingué, dont les croix de Saint-André et de Sainte-Anne.
Les murs latéraux de la salle de bal sont décorés de représentations allégoriques des vertus héroïques, si caractéristiques de l’iconographie classique, réalisées par Johann Just. On y voit les exploits de Gaius Mucius Scaevola, un héros mythique de la Rome du VIe siècle avant J.-C. Ayant échoué à assassiner le roi étrusque Porsenna, il tendit sa main droite vers le feu pour prouver qu’il ne craignait pas la douleur physique.
La légende de Mucius Scaevola était très populaire en Russie au moment de la guerre contre Napoléon Ier. Elle était comprise comme un exemple de dévotion et de sacrifice pour sa patrie. Il est possible que ces panneaux aient, pour Piotr Cheremetiev et ses contemporains, servi à témoigner de l’importance que l’Antiquité avait à leur époque dans les milieux aristocratiques russes.
Autres pièces
La hauteur de la salle de bal atteint les combles. Les autres pièces qui donnent sur le jardin et les appartements des Cheremetiev ont des plafonds plus bas. L’espace ainsi créé entre ces pièces et le toit est occupé par les chambres des domestiques dont la hauteur est à peine supérieure à celle d’un homme. Elles sont éclairées par de petites fenêtres qui donnent sur le jardin. Au rez-de-chaussée, la distribution particulièrement bien pensée des espaces et les passages entre les deux enfilades ouvrent des perspectives inhabituelles à mesure que l’on se déplace dans la résidence et jusqu’aux marches de l’escalier qui mène au grand parterre du jardin à la française.
Là, on découvre deux monuments à Catherine II, dont une colonne au sommet de laquelle s’élève Minerve. L’impératrice visita Kouskovo en 1783, année ou Piotr Cheremetiev fut symboliquement élu à la tête de la noblesse moscovite. À cette époque déjà, plusieurs pavillons avaient été construits dans le parc, pour le plus grand bonheur des hôtes des maîtres du domaine.
Défi lancé au temps
Dans les années 1790, Nicolas Cheremetiev, le fils de Piotr, se lassa des divertissements à Kouskovo et peut-être aussi du style de cet ensemble architectural. Il avait passé une grande partie de sa jeunesse aux Pays-Bas et en France où il s’était familiarisé avec les développements occidentaux des arts.
Comme beaucoup de membres de grandes familles de la troisième génération après celle qui avait fait fortune, Nicolaï Cheremetiev voua sa vie aux arts et, en particulier, au théâtre. Il forma une troupe d’acteurs choisis par ses serfs et, en 1792, lança la construction d’un théâtre sur son domaine voisin d’Ostankino.
La résidence d’été des Cheremetiev à Kouskovo fut épargnée par l’occupation française de Moscou à l’automne 1812, elle résista aux outrages du temps au XIXe et devint un site culturel important à l’époque soviétique, ce qu’elle est toujours.
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