À la découverte des riches traditions de l’architecture en bois d’Omsk
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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) mit au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissances est particulièrement bien incarnée dans les nombreuses photographies qu’il fit de monuments architecturaux à travers toute la Russie.
Chadrinsk
En juin 1912, Sergueï Prokoudine-Gorski se rendit en Sibérie occidentale avec la commission chargée d’étudier la voie navigable Kama-Tobolsk, qui traverse l’Oural. Il sillonna la région à partir de Tioumen et visita notamment Chadrinsk (dont la population actuelle s’établit à 68 000 habitants) fondée en 1662 sur la rivière Isset.
Les alentours de Chadrinsk avaient été peuplés au milieu du XVIIe siècle par des paysans. La couronne leur avait alloué des terres à cultiver et sur lesquelles ils versaient un impôt en grain. Le pouvoir moscovite voulait ainsi attirer des colons sur ces vastes territoires au sol fertile récemment annexés.
Lorsque Sergueï Prokoudine-Gorski la découvrit, Chadrinsk était une ville d’environ 15 000 habitants et comptait plusieurs fabriques, dont une de porcelaine. Il y photographia l’édification rapide des bâtiments en rondins de pin de la gare (une ligne de chemin de fer secondaire qui passait par la ville fut construite entre 1911 et 1913). Ses clichés montrent la construction de bâtiments standardisés. Au premier plan, on voit des piles de rondins. De grands pins grêles complètent le tableau.
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Le premier rôle assigné à Omsk
Prises dans un contexte plus large que celui de la commission que Sergueï Prokoudine-Gorski accompagnait, ses photographies documentent l’expansion du réseau ferroviaire dans un triangle dont les angles sont Ekaterinbourg (situé sur le flanc asiatique de l’Oural), Tcheliabinsk (au sud de cette même chaîne de montagnes) et Omsk (en Sibérie occidentale).
La construction du chemin de fer fit d’Omsk un point important au carrefour de plusieurs réseaux de communication. Sergueï Prokoudine-Gorski n’alla pas jusqu’à Omsk. Cette possibilité nous fut donnée à la fin de l’été 1999.
Cette ville, dont la population avoisine actuellement les 1 110 000 habitants, fut fondée en 1716 comme un fort sur le cours moyen de la rivière Irtych. Au cours du XVIIIe siècle, durant lequel il fut administrativement à Tobolsk, sa fonction principale était de protéger la frontière sud de la Russie et d’imposer son autorité aux populations autochtones de la steppe.
Omsk gagna en importance au XIXe siècle. De 1808 à 1917, elle fut le quartier général de toutes les troupes des Cosaques de Sibérie. En 1822 fut créée la province d’Omsk.
À la fin du XIXe siècle, elle connut une expansion vertigineuse grâce à sa position sur les différents réseaux de transport vers la Sibérie. Une ligne régulière de bateaux à vapeur fut ouverte en 1862 sur l’Irtych entre Omsk et Tobolsk.
Révolution du rail et héritage du bois
Omsk doit son essor au chemin de fer. En 1894-1895, la ville était reliée par le Transsibérien à Tchéliabinsk, à l’ouest, et à Nivonikolaïevsk (aujourd’hui Novossibirsk), à l’ouest. En 1913 fut achevée la construction de la ligne Omsk-Tioumen. Elle allait devenir le second axe ferroviaire important de Sibérie. Au début du XXe siècle, la population de la ville avait triplé et dépassait les 60 000 habitants.
Désormais au carrefour de plusieurs voies de communication, la ville provinciale de garnison se transforma en un grand centre commercial. À côté des bâtiments en bois et des grandes églises apparurent des banques, des institutions d’enseignement, des fabriques et des commerces de détail.
Pendant la phase de son développement rapide, les édifices en bois demeurèrent en effet un élément majeur du tissu urbain. Certains très grands bâtiments en rondins avaient été construits par des architectes de renom. Parmi eux, celui du Département de Sibérie occidentale de la Société de géographie de l’Empire russe érigé en 1896-1899 d’après le projet d’Iliodor Khvorinov.
Les filiales provinciales de la Société de géographie étaient des centres intellectuels importants. À Omsk, son bâtiment en rondins se distinguait de ceux dans d’autres villes et mettait en évidence le respect de la tradition russe. Moins onéreux à construire qu’un édifice en maçonnerie, cet immeuble se révéla étonnamment fonctionnel. En 1999, nous l’avons photographié et, aujourd’hui encore , il abrite toujours la société savante.
Les longs rondins sont fixés aux angles par des joints d’emboîtement trapézoïdaux. Périodiquement, comme aujourd’hui, les rondins sont recouverts à l’extérieur d’un bardage de planches. En 1999, nous avions eu la chance d’admirer ce bâtiment sans cette couverture de bois.
Plus que de simples logements en bois
À Omsk, comme dans les autres villes de province russes, le premier rôle de l’architecture en bois au tournant du XXe siècle est de construire des logements. Les rondins étaient recouverts de planches ou non. Pour réduire les risques d’incendie – le fléau des villes russes – la façade sur le côté droit de nombreux immeubles était en brique : il s’agissait du brandmauer, le mur pare-feu.
Les habitations en bois construites pour loger plusieurs familles étaient de taille très différente. L’une des plus imposantes est celle édifiée en 1911 dans la rue qui portait alors le nom de Douma (au sens de conseil municipal) pour A.S. Kabalkine, un juriste en vue.
On appréciera l’extérieur de la résidence Kabalkine : les murs en rondins foncés laissés à nu contrastent avec les encadrements et les chambranles clairs des fenêtres. Une tourelle percée de plusieurs fenêtres à l’angle gauche permet d’avoir une vue surplombante sur le quartier. Lorsque nous l’avons photographiée, les constructions alentour avaient été rasées. Cette vue dégagée autour soulignait la singularité de ce bâtiment, bel exemple du style Moderne (l’équivalent du style Art Nouveau en Russie) tant apprécié au tournant du XXe siècle.
Résidences Art Nouveau
Les demeures de Machinski (située au 26 de la rue Pouchkine) et Abdoulmanov (située au 95 de la rue du Maréchal Joukov) sont de taille similaire à celle de Kabalkine. Elles sont toutes deux couronnées de dômes dans le style Beaux-Arts. La résidence Abdoulmanov, un marchand musulman d’Omsk, illustre la tendance à construire des habitations dont le rez-de-chaussée est en brique et les étages supérieurs en rondins.
Des éléments Art Nouveau ornent des habitations de taille plus modeste : leurs façades principales sont recouvertes de détails décoratifs exubérants, comme de larges fioritures curvilignes. Un remarquable exemple est la maison située au 48 de la rue Mitchourine dont la porte d’entrée est de style Art Nouveau. Les encadrements de ses fenêtres sont surmontés de motifs de dragons rappelant le style nordique (plus précisément, les églises norvégiennes en bois). Malheureusement, cette maison et le terrain sur lequel elle fut construite sont mal entretenus.
Les délicieuses fioritures de certaines maisons en bois montrent un mélange éclectique de style Art Nouveau et de détails chantournés. Les fenêtres sont souvent surmontées de dentelles en bois chantourné ou sculpté.
Sur d’autres maisons, comme celle de Viatkine (située au 16 de la rue des Aubes rouges), on admirera les détails dans le style Néo-classique. Quel que soit le style de la façade, on trouve des auvents en fer forgé délicatement détaillés, comme celui de la maison de Proskouriakov (située au 31 de la rue des Aubes rouges).
L’une des résidences à la décoration la plus fantaisiste est celle de l’agronome, entrepreneur et homme public Philip Shtumfp. Elle fut construite au tournant du XXe siècle. Ses tourelles, sa ligne de toit et ses encadrements de fenêtres rappellent le style béo-russe rendu populaire par l’artiste Ivan Ropet dans les années 1970.
Lire aussi : Dix édifices soviétiques inspirés par le Corbusier
Appartements en bois et influence hébraïque
À Omsk, comme d’autres villes de province soviétiques, on construisit dans les années 1920 des immeubles d’habitation en rondins de bois dans le style constructiviste pour répondre à moindres coûts aux besoins de logement de la population. Ainsi, l’immeuble (aujourd’hui détruit) qui se trouvait au 32 de la rue Tara était sobre mais élégant avec sa grande fenêtre qui laissait entrer la lumière dans la cage d’escalier.
Outre les maisons pour plusieurs familles, nous avons photographié un grand bâtiment en bois du XIXe siècle qui servit de caserne et d’hôpital militaire. Trouver ce bâtiment encore debout dans la rue d’une base militaire fut pour nous tout à fait inattendu.
L’un des plus remarquables exemples de l’architecture en bois à Omsk est le bâtiment appelé Synagogue des Soldats (situé au 53 de la rue du Maréchal Joukov) construit en 1855 pour une communauté de « cantonistes », des soldats recrutés à un jeune âge dans les communautés juives de l’Empire sous Nicolas Ier. Après avoir passé de très longues années dans l’armée, ils avaient le droit de rester dans la ville où leur service avait pris fin. Les obligations concernant les zones de résidence pour les populations juives ne s’appliquaient donc pas à eux.
En 1854, la communauté juive d’Omsk, qui s’établissait selon un recensement à 178 personnes, choisit son rabbin et collecta des fonds pour ériger une magnifique synagogue en bois dans le style mauresque. Malgré les restrictions imposées à la communauté juive d’Omsk à l’époque soviétique, ce lieu de culte nous est miraculeusement parvenu. Fermé au début des années 1920, il abrita longtemps la Maison de l’éducation hygiénique de la ville.
Une autre synagogue, construite en 1873, accueillit les fidèles juifs pendant plusieurs décennies mais périt dans un incendie et fut complètement rasée dans les années 1970. La communauté juive resta sans lieu de culte jusqu’en 1991 quand la Synagogue des Soldats fut confiée à la communauté Or Hadash (Nouvelle Lumière).
Endommagée par un incendie en 1995, cette synagogue fut restaurée avec beaucoup de soin : un bardage de planches recouvre maintenant les rondins et des couronnes dans le style mauresque décorent les fenêtres. Un autre exemple de lieu de culte en rondins est la mosquée Hodja Akhmed (située au 97 de la rue Maréchal Joukov) qui avait été la résidence de Proskouriakov.
Comme dans d’autres villes de Sibérie, l’architecture en bois confère un charme particulier au centre historique d’Omsk. Mais, depuis plusieurs décennies déjà, le nombre de bâtiments en bois diminue régulièrement du fait de leur mauvais entretien et du développement urbain. Heureusement, les photographies nous permettent de garder des traces de cette page de l’histoire urbaine russe.
*Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des superbes églises en bois du littoral de la mer Blanche.
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