Pidma et Liavlia: d’imposantes églises en rondins typiques du Nord russe
Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Au début du XXe siècle, la chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a développé un processus complexe de photographie couleur (voir l’encadré ci-dessous). Sa vision de la photographie en tant que forme d'éducation et d'illumination s’est révélée avec une clarté particulière dans ses images du patrimoine architectural de la Russie.
Dans le cadre de ses voyages, en juin et juillet 1909, Prokoudine-Gorski a reçu une mission du ministère des Transports : prendre des photos le long de la voie navigable Marinski dans le nord-ouest de la Russie. Cette voie maritime, qui relie Saint-Pétersbourg avec le bassin de la Volga, a été initiée par Pierre le Grand afin de fournir sa nouvelle capitale - fondée en 1703 - en grains et autres produits essentiels de l'intérieur du pays.
La voie navigable Marinski a été développée au cours du règne de l'empereur Paul (1796-1801), qui l'a nommé en l’honneur de l’impératrice Maria Feodorovna. La partie supérieure du système s'étendait du fleuve Neva, à Saint-Pétersbourg, au lac Ladoga, puis via la rivière Svir jusqu’à la partie sud du lac Onega.
Perdu, mais pas oublié
Pidma, une colonie du XVIe siècle située vers le milieu du cours de la rivière Svir, a particulièrement attiré l'attention de Prokoudine-Gorski avec sa remarquable église en rondins de la Transfiguration, une grande structure octogonale construite dans les années 1690. Ce monument a été détruit par le feu en avril 1942, lors de l'occupation finlandaise du village (de septembre 1941 à mai 1944). Au XIXe siècle, Pidma a activement servi la circulation fluviale et a même été dotée d’un moulin à farine. Une église en briques, également dédiée à la Transfiguration, a été construite en 1830 et s'est développée avec deux autels supplémentaires dédiés en 1862 à saint Alexandre de Svir et saint Varlaam Khoutinski.
Après la Seconde Guerre mondiale, le village endommagé a décliné et, dans les années 1970, le soutien de l'État aux services sociaux, tels que l'école locale, a cessé. La population est tombée à environ 20 âmes, principalement des personnes âgées. Heureusement, Prokoudine-Gorski avait pris plusieurs photographies de l'église en rondins de la Transfiguration en 1909, y compris des vues lointaines qui montrent l'église de briques blanches adjacente. Fermée en 1937 puis détruite par le feu en 2003, l'église de briques de la Transfiguration a été reconstruite en 2007-2009 et constitue un point de repère visible dans les environs.
Bien que l'église en rondins de la Transfiguration de Pidma ait été perdue pour toujours, les photographies de Prokoudine-Gorski montrent la forme très distinctive de la tour qui s’élève en tant que structure octogonale droite depuis sa fondation. Habituellement, les tours des églises en rondins octogonales du Nord russe s’élèvent à partir d'une structure de base rectangulaire, mais il existe de rares exemples rares qui ressemblent à l'église perdue de Pidma.
À ne pas manquer : Le Nord russe vu par les peintres
Dormition et Saint Nicolas
Le plus remarquable est l'église Saint-Nicolas de la fin du XVIe siècle située dans le village de Liavlia, sur la rive droite de la rivière Dvina septentrionale, à 35 km du sud-est de la ville-port d'Arkhangelsk. Comme à Pidma, l'église de Liavlia sert de point de repère sur un terrain surélevé.
Le village de Liavlia est situé près du confluent de la petite rivière Liavlia avec la Dvina. En raison de l'érosion persistante des rives fluviales, les habitants de Liavlia se sont finalement retirés dans le village voisin de Khorkovo, qui sert de nom officiel alternatif de la colonie.
En raison de liens commerciaux anciens avec la ville médiévale de Novgorod, Liavlia hébergea dès le XIVe siècle un monastère dédié à la Dormition de la Vierge. En 1339, le grand-prince Ivan Kalita, souhaitant étendre l'influence de Moscou dans la région, a commandé au monastère un manuscrit des Evangiles qui constitue l'une des premières œuvres russes sur parchemin. Lorsque le monastère de Liavlia a été subordonné en 1633 au plus grand monastère de Saint Antoine Siïski (situé sur le côté opposé de la Dvina), le manuscrit y a été transféré. Connu comme les « Évangiles Siïski », c'est maintenant un trésor de la bibliothèque de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg.
Au XVIe siècle, le monastère de Liavlia contenait deux églises en bois, consacrées à la Dormition et à Saint Nicolas. Un incendie survenu en 1580 a conduit à la construction d'une nouvelle église en rondins de la Dormition, dont la forme archaïque nous est parvenue en tant que rare exemple d’église construite à partir du sol sous la forme d’une tour octogonale.
La tour en rondins massive s’élève jusqu’à une couronne en chapiteau supportant une grande coupole. Les côtés est et ouest ont des extensions pour l'abside et le vestibule, et sont couronnés de gâbles. L'extrémité ouest avait à l'origine un porche en porte-à-faux surélevé qui encadrait l'entrée principale. Convertie en une église paroissiale en 1765 après la fermeture du monastère de Liavlia, l'église de la Dormition a été fermée en 1805 en raison de son délabrement. Une église de briques de la Dormition avait déjà été construite à proximité en 1804 pour servir les besoins de la paroisse.
Cela pourrait avoir débouché sur la disparition ultime de l'église en rondins de la Dormition. Mais en 1844, le gouverneur général d'Arkhangelsk, le marquis Alexandre de Traversay (1780-1850), s'est rendu au village et a décidé de restaurer la structure massive en rondins. Bien que ce fût un geste remarquablement noble, l'approche brute de la « préservation » de l’édifice signifiait que deux rondins en décomposition à la base furent tout simplement jetés et que la partie restante de l'église octogonale a été réassemblée. Par conséquent, la tour imposante était à l’origine de 2,4 m plus haute.
Du bois à la brique
En 1845, la structure restaurée a été reconsacrée comme l'église Saint-Nicolas, nom qu'elle porte à ce jour. L'église a ensuite été enfermée dans un revêtement de planches et sa tour en chapiteau a été recouverte d’une toiture en étain. Pendant la période soviétique, la structure durable a résisté à son utilisation à diverses fins, y compris comme club de garnison.
À la fin des années 1960, on a lors d’une restauration minutieuse retiré les planches et le revêtement en métal, reconstruit la coupole et placé le cadre de la coupole d'origine - un exemple précieux de la conception en rondins traditionnelle - dans l'église en tant que pièce de musée. Des considérations pratiques ne permettaient pas de rendre sa hauteur initiale à l’édifice. Dans les années 1970, l'église Saint-Nicolas a été affiliée au Musée d'architecture en bois de Malyé Korely tout proche, qui a son propre exemple d’église sous forme de tour octogonale, dédiée à saint Georges (la base de l'église Saint-Georges est partiellement masquée par une galerie élevée supportée par des rondins).
La pratique du Nord consistant à compléter une ancienne église en rondins par une structure en briques beaucoup plus longue est également visible à l'opposé, au nord-ouest, au bout de la ville d'Arkhangelsk. Cette zone se caractérise par un terrain marécageux marqué par les canaux changeants du delta de la rivière Dvina septentrionale. L'une des plus grandes îles de la région est elle-même divisée par la petite rivière Zaostrovka et l’endroit est connu sous le nom de Zaostrovié (« au-delà de l'île »). Cette terre, touchée par des inondations fréquentes, est le site d’un jumelage préservé entre églises en rondins et en briques près du village de Rikassovo.
Visions du Jugement dernier: La cathédrale Sainte-Sophie de Vologda
Un exemple en bois
Comme à Liavlia et à Pidma, l'église en bois de Zaostrovié est un exemple des plus frappants d’ensemble jumelé. Au fil des siècles, un certain nombre d'églises en bois ont existé dans le village. En 1683, la paroisse a été autorisée à construire une nouvelle église dédiée à la purification, avec des autels secondaires dédiés aux saints Pierre et Paul et aux martyrs du IIe siècle Flore et Laure.
La conception de l'église de Zaostrovié est idiosyncratique, avec une coupole centrale qui repose sur une tour octogonale en pente dont la base de toit était entourée de huit coupoles en bois sur des tambours surélevés. Le toit d'origine arborait une ligne de pignon fluide qui animait le plan carré de la structure de base.
En 1808, des travaux de construction d’une église en briques de la Purification visant à remplacer la structure en bois en tant qu’église paroissiale a commencé. L'église de la Purification en bois, fermée depuis des décennies, a été réparée et reconstituée en 1864 en tant qu'église de l'Intercession-de-la-Vierge. Au cours du demi-siècle suivant, sa forme très inhabituelle a été modifiée et défigurée.
Fermée pendant la période soviétique, l'église de la Purification/Intercession a fait à la fin des années 1960 l'objet d'un travail majeur qui a rétabli une grande partie de sa forme antérieure. Malgré tout, le travail n'a jamais été achevé et l’entretien nécessaire a été négligé. La paroisse locale utilise l'église de maçonnerie rouverte, dont la forme blanche traditionnelle est couronnée de cinq coupoles.
De Pidma à Liavlia en passant par Zaostrovié, les villages fluviaux donnent à voir une histoire de la présence humaine le long des voies navigables russes du Nord. Leurs églises en rondins sont le témoignage ultime de l'environnement naturel dans lequel elles ont émergé.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIesiècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des superbes églises en bois du littoral de la mer Blanche.
Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :
- Vous abonner à notre canal Telegram
- Vous abonner à notre newsletter hebdomadaire par courriel
- Activer les notifications sur notre site web
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.