Mourom: préserver l’histoire d’une principauté médiévale
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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a élaboré un procédé complexe permettant d’obtenir des photographies détaillées et aux couleur vives (voir l’encadré ci-dessous). Sa vision de la photographie en tant que forme d’éducation s’est manifestée avec une clarté particulière dans ses clichés de l’architecture médiévale des villes et villages historiques situés au nord-est de Moscou, comme Vladimir, qu’il a visitée à l’été 1911.
Parmi les nombreuses photographies de Vladimir réalisées par Prokoudine-Gorski se trouve un cliché spectaculaire de la cathédrale de la Dormition surplombant la rive gauche escarpée de la Kliazma. Cette rivière finit par se frayer un chemin vers l’Oka, un affluent majeur de la puissante Volga.
Les origines de Mourom
Sur son chemin vers la Volga, l’Oka longe la ville pittoresque de Mourom, qui se dresse, avec ses églises et ses monastères, sur la haute rive gauche du fleuve. Mourom est l’une des villes les plus orientales de larégion de Vladimir. De l’autre côté de la rivière se trouve la région de Nijni Novgorod.
Nommée en référence aux Mouroms, une tribu finno-ougrienne, l’ancienne Mourom a été éclipsée par d’autres villes historiques comme Souzdal et par des géants industriels comme Nijni Novgorod, située au confluent de l’Oka et de la Volga.
Mourom, cependant, occupe une place particulière dans l’imaginaire russe car la ville est liée à deux des saints très appréciés en Russie, le prince Pierre et son épouse Fevronia, et au légendaire héros russe, ou bogatyr, Ilia Mouromets.
En tant que l’une des plus anciennes villes russes, Mourom est mentionnée dans les chroniques médiévales en l’an 862 comme faisant partie des domaines de Riourik, le viking considéré comme le fondateur de la première dynastie régante russe. Par la suite, Mourom apparaît à plusieurs reprises parmi les villes transmises aux descendants de Riourik.
Une succession de princes
Ces premiers princes incluent le pieux Gleb (vers 987-1015), l’un des nombreux fils du grand prince Vladimir de Kiev, qui a converti les Slaves orientaux au christianisme en 988. Selon les récits médiévaux, la solide foi chrétienne de Gleb a aliéné ses sujets païens, qui refusaient la conversion et l’ont expulsé vers une résidence fortifiée en périphérie de Mourom.
Après la mort de Vladimir en 1015, Gleb et son frère Boris furent assassinés près de Kiev au cours d’une lutte fratricide pour le trône. Refusant de se livrer à la violence, Boris et Gleb furent ensuite canonisés par l’Église orthodoxe.
Sans jamais devenir un centre de pouvoir majeur, Mourom a été transmis entre différents princes au sein des découpages complexes du pouvoir sur le vaste territoire de la Russie médiévale. À la fin du XIe siècle, le prince Iaroslav, fils de Sviatoslav II, a fini par vaincre la résistance locale au christianisme.
Invasion tatare et églises en briques
Au XIIIe siècle, Mourom est pillée par les Tatares (en 1239, 1281 et 1288). Les querelles entre les princes locaux ont affaibli encore davantage l’autonomie de la ville et, à la fin du XIVe siècle, elle a été intégrée à la principauté de Moscou, alors en pleine expansion.
Grâce à son emplacement avantageux sur la rivière Oka, Mourom a servi d’avant-poste oriental clé dans la défense de Moscou contre les attaques de l’État tatar de Kazan. Sous le règne d’Ivan le Terrible (1547-1584), l’importance militaire de la ville augmente considérablement au début des années 1550, lorsqu’Ivan prépare l’attaque finale contre Kazan (1552). Durant la décennie qui a suivi la conquête de la capitale tatare, Ivan a fait construire quatre églises en briques à Mourom en tant qu’offrande votive.
Une seule de ces églises a conservé les principaux éléments de sa forme originale : l’église des Saints-Côme-et-Damien surplombant la rivière Oka. Son trait le plus distinctif est une tour « en chapiteau » en briques - rappelant celle de Saint-Basile à Moscou - qui s’est effondrée en 1868. En 1901, les murs étaient recouverts d’un toit bas, surmonté en 2010 d’un toit conique à revêtement métallique, au style orné, mais bien inférieur à l’original.
Mecque orthodoxe
Après la conquête de Kazan, Mourom a vu son rôle stratégique décliner et est devenue une cité d’importance régionale. Pourtant, Mourom reste un centre religieux et de pèlerinage possédant une riche concentration de bâtiments monastiques des XVIIe et XVIIIe siècles. Après des décennies de négligence pendant la période soviétique, les monastères et églises paroissiales sont en train d’être restaurés.
Le plus ancien monastère de Mourom, celui de la Transfiguration, est situé au sud de la ville sur une rive escarpée surplombant la rivière Oka. La légende raconte que le monastère occupe l’emplacement du refuge fortifié du prince Gleb. La première référence écrite remonte à 1096, mais sa structure la plus ancienne – l’église de la Transfiguration – a été construite dans les années 1550, avant d’être considérablement reconstruite par la suite.
Les fresques de l’église de la Transfiguration ont été repeintes et dans la crypte se trouve un sarcophage contenant les reliques d’Ilia Mouromets, dont les spécialistes pensent qu’il était originaire des environs de Kiev. D’autres églises, chapelles et cloîtres sont répartis autour du vaste territoire aux allures de parc du monastère de la Transfiguration, devenu un lieu de pèlerinage majeur.
Temps des troubles et résurrection
Le centre de Mourom est ponctué de tours et d’églises relevant des institutions monastiques environnantes : le monastère de l’Annonciation et le couvent de la Trinité. Le monastère de l’Annonciation a été fondé par Ivan le Terrible en 1553, mais rien ne nous est parvenu de cette époque.
Le monastère a été détruit en 1616 lorsque les forces polonaises ont dévasté Mourom pendant le Temps des troubles. Son église de l’Annonciation a été somptueusement reconstruite dans les années 1660 par le riche marchand Taras Borissov, connu dans le peuple sous le nom de Bogdan Tsvetnoï (« le coloré »).
Dans les années 1640, le même marchand s’est occupé du couvent voisin de la Trinité, dont l’église de la Sainte-Trinité est ornée de carreaux de céramique.
Son intérieur contient les reliques des saints Pierre et Fevronia, canonisés en 1547 et vénérés en tant qu’exemples de fidélité conjugale. Bien que leur identité historique exacte soit sujette à caution, le récit de leur vie commune datant du XVIe siècle est connu de tous ceux qui étudient la littérature russe médiévale.
La partie nord de Mourom héberge le couvent de la Résurrection, dont les églises du XVIIe siècle sont en cours de restauration. Comme le monastère de la Transfiguration à l’autre bout de Mourom, le couvent de la Résurrection offre une vue imprenable sur la rivière Oka.
Entrée dans le XXe siècle
Mourom possède encore quelques demeures en briques stuquées du début du XIXe siècle dans le style néoclassique. En 1805, de violents incendies ont détruit l’environnement urbain de cette ville comprenant de nombreux édifices en bois ; elle a été reconstruite selon un plan géométrique établi sous le règne de Catherine la Grande.
Mourom possède également des quartiers avec des maisons en bois de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, avec leurs chambranles de fenêtres ornés et leurs corniches décoratives. Dans certains cas, la structure en bois repose sur un rez-de-chaussée en briques.
À l’aube du XXe siècle, Mourom était devenue un centre ferroviaire avec d’importantes usines textiles. La ville a connu son lot de difficultés économiques au cours des dernières décennies, sa population ayant décliné jusqu’à atteindre aujourd’hui environ 107 000 habitants.
Bien que certaines parties du centre-ville aient été reconstruites pendant la période soviétique, de nombreux bâtiments prérévolutionnaires subsistent, conférant à son centre-ville à taille humaine une ambiance chaleureuse.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a inventé un procédé complexe de photographie en couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé à travers l'Empire et pris plus de 2 000 photographies avec ce nouveau procédé, qui implique trois expositions sur une plaque de verre. En août 1918, il a quitté la Russie avec une grande partie de sa collection de négatifs sur verre et s'est finalement installé en France. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers ont vendu sa collection à la Bibliothèque du Congrès américain, qui, au début du XXIe siècle, a numérisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise gratuitement à la disposition du public mondial. Un certain nombre de sites web russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture et photographe William Brumfield a organisé la première exposition de photographies de Prokoudine-Gorski à la Bibliothèque du Congrès. Au cours d'une période de travail en Russie débutant en 1970, Brumfield a photographié la plupart des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtapose les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les clichés pris par Brumfield des décennies plus tard.
Dans cet autre article, découvrez avec William Brumfield le musée en plein air de Souzdal, plongeon dans les traditions de l’architecture en bois.