Tcherdyne: dans l’ombre des Romanov
Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) mit au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissances est particulièrement bien incarnée dans les nombreuses photographies qu’il fit de monuments architecturaux à travers toute la Russie.
Sergueï Prokoudine-Gorski se rendit dans le nord de la chaîne de l’Oural au début du printemps 1912, semble-t-il, l’année précédant le tricentenaire de la dynastie des Romanov. Il visita notamment la petite localité de Nyrob, où le boyard Mikhaïl Nikititch Romanov (né vers 1560), un des oncles paternels du premier tsar Romanov, Mikhaïl Fiodorovitch (1596-1645), mourut en 1602. Il succomba aux mauvais traitements que lui avait fait infliger le tsar Boris Godounov qui voyait en la famille Romanov une menace pour son pouvoir.
Point de passage des colons vers la Sibérie
Nyrob est située à une quarantaine de kilomètres au nord de Tcherdyne, dont le peuplement remonte peut-être au IXe siècle. Des missionnaires orthodoxes russes pénétrèrent dans la région au XIVe siècle. Tcherdyne ne passa pas sous le contrôle de la grande-principauté de Moscou avant les années 1470. Jusqu’à la prise de Kazan par Ivan le Terrible (1530-1584) en 1552, cette région était régulièrement razziée par les Nogaïs.
Durant tout le XVIe siècle, Tcherdyne fut un point de passage pour les colons russes qui traversaient les monts Oural. Située sur la rive droite de la rivière Kolva près de l’endroit où elle conflue avec la Vichera, Tcherdyne est un carrefour : via la Kolva, elle communique au nord avec le bassin du fleuve Pétchora ; via la tumultueuse rivière Kama, au sud avec le fleuve Volga et Moscou ; via la Vichera, à l’est avec le bassin du fleuve Ob et la Sibérie.
Au tournant du XVIIe siècle, Solikamsk, qui se trouvait sur une route plus directe entre la Russie et la Sibérie, priva Tcherdyne de sa position stratégique. Mais la petite ville sut conserver son importance commerciale dans la région, comme en témoignent ses églises spacieuses et les grandes maisons de ses marchands.
Les églises de Tcherdyne
Bien qu’elles aient perdu leur clocher pendant l’époque soviétique, les églises de Tcherdyne sont toujours des repères visuels. La comparaison de la photographie que Sergueï Prokoudine-Gorski prit en 1912 et de celle que je fis en 1999 le met en évidence d’une manière frappante. J’avais posé mon objectif au même endroit que lui, près du château d’eau en brique construit au début du XXe siècle.
>>> Tomsk, le trésor culturel de la Sibérie centrale
La grande église de Saint-Jean-le-Théologien est la plus ancienne de celles qui nous sont parvenues. Sa construction dura de 1704 à 1718. Précédemment, des églises en rondins de bois avaient été bâties à cet emplacement, qui se trouvait dans le monastère de Saint-Jean-le-Théologien fondé en 1462, et alentour. En 1624 y fut érigée la première église en brique. Dédiée à l’Ascension, elle était le premier bâtiment en dur dans les contreforts occidentaux de l’Oural. Cet édifice spacieux à la façade relativement austère abrite deux églises. Elles sont l’une au-dessus de l’autre et ont chacune une iconostase, ce qui est courant dans la Russie du Nord.
L’iconostase de l’église à l’étage s’élève haut sous la voûte immense. Réalisée en 1734, elle nous est miraculeusement parvenue presque dans son état originel. Certaines de ses icônes datent du XIXe siècle. Une inscription nous révèle les noms des maîtres à qui nous la devons : Dmitri et Grigori Fiodorov de Nijni-Novgorod.
Résurrection et Transfiguration
Les nombreuses campagnes anti-religieuses menées à l’époque soviétique ne privèrent pas Tcherdyne de l’église qui la domine : la Résurrection érigée entre 1750 et 1754. Des chapelles furent adjointes à ses façades sud et nord, respectivement en 1751 et 1785. Elle mêle le baroque à des éléments pré-classiques et des variations de styles caractéristiques de la province russe (de la Volga à la Sibérie). Les grands pignons semi-circulaires au-dessus du centre de chaque façade sont la forme unificatrice. Leurs contours, naïvement articulés, définissent le mouvement de l’architecture vers l’élément central : le dôme.
Entre 1908 et 1911, la partie ouest de l’église de la Résurrection fut largement reconstruite et agrandie. L’élément le plus visible des ces travaux est le clocher octogonal en brique dans le style du début du XVIIIe siècle. Cette église fut fermée au culte au début des années 1930. Son décor intérieur fut entièrement détruit lorsqu’elle fut transformée en maison régionale de la culture. L’édifice fut rendu au culte dans la première décennie du XXIe siècle.
À l’ouest de l’église de la Résurrection se tient celle de la Transfiguration. Bâtie en 1756, elle se distingue par la simplicité de son style, même si elle reprend plusieurs éléments compositionnels de sa voisine. En 1853, à la demande des paroissiens, un nouveau clocher fut érigé pour remplacer le précédent. Il domine depuis la ville entière. Également fermée au début des années 1930, elle fut transformée en école des métiers du bois. Ses coupoles furent démontées et le clocher progressivement démoli. Cette entreprise s’acheva au début des années 1950.
Épiphanie et Dormition
Un peu plus à l’ouest, entre le monastère de Saint-Jean-le-Théologien et l’église de la Résurrection, se trouve celle de l’Epiphanie. La construction de cette église, la troisième plus grande de la ville, fut terminée en 1751. Elle avait trois autels qui, en 1792, résistèrent à un terrible incendie. À la fin du XIXe, son clocher fut reconstruit avant d’être détruit, avec les coupoles, à l’époque soviétique. Elle fut alors transformée en boulangerie.
L’église de la Dormition est à la fois la plus petite des quatre du centre de la ville et celle dont le décor était le plus raffiné. Elle fut construite en 1784 et fermée au culte en 1932. Ses coupoles et son clocher furent également démolis. Elle resta vide jusqu’au milieu des années 1950 lorsqu’on y installa un musée de l’histoire locale. À l’automne 2000, elle rouvrit comme musée de l’histoire de la foi.
À la périphérie nord-ouest de Tcherdyne, près du cimetière, se trouve l’église de Tous-les-Saints qui date de 1815-1817. Il s’agit d’un bâtiment simple conservé par les soins du musée de l’histoire régionale.
>>> Le village de Nyrob, sanctuaire du premier Romanov martyrisé
Une ville de province cossue
En 1792, un incendie ravagea la ville. Elle fut reconstruite selon le plan proposé par la Commission de l’Urbanisme de Saint-Pétersbourg et Moscou. Catherine II souhaitait que de l’ordre soit mis dans les plans des villes de province. À la fin du XVIIIe siècle, le plan de nombre d’entre elles fut réorganisé avec beaucoup de maîtrise. L’architecte Ivan Lem, qui avait déjà travaillé dans plusieurs villes situées sur le cours supérieur de la Kama, redessina celui de Tcherdyne. Il prit habillement en compte le relief du lieu et les églises qui dominaient déjà la ville.
Vers la fin du XIXe siècle, l’activité économique de la ville connut un vif regain grâce à l’exploitation des mines d’or dans le bassin de la rivière Vichera. Vers la fin du siècle, à l’approche du tricentenaire de la dynastie des Romanov, l’économie de la ville était toujours florissante, comme en témoigne la construction de plusieurs bâtiments en brique, dont trois écoles et un hôpital, ainsi que de plusieurs maisons d’habitation dont l’extérieur évolua quelque peu depuis la fin du XIXe siècle.
À Tcherdyne, de nombreuses maisons ont un rez-de-chaussée en brique et un étage en rondins. D’autres sont entièrement en brique et ont souvent des balcons et des loggias.
Tcherdyne et les villes environnantes au XXe siècle
Sur la façade de l’hôpital régional en brique rouge construit en 1913, on remarquera une plaque commémorative du grand poète Ossip Mandelstam, assigné à résidence à Tcherdyne en 1934. Sa femme Nadejda et lui y passèrent plusieurs semaines dans cette ville. Après la tentative de suicide qu’il commit dans ce même hôpital, Ossip Mandelstam fut autorisé à s’installer à Voronej.
Autour de Tcherdyne, de petites villes et villages comme Vilgort, Kamgort et Pokcha méritent d’être visités même si beaucoup de leurs bâtiments pittoresques auraient aujourd’hui besoin d’être restaurés. On citera également Pianteg sur la Kama dont l’église de l’Epiphanie au plan hexagonal est peut-être le plus ancien bâtiment en bois de l’Oural qui nous est parvenu. Selon certaines sources, elle aurait été érigée au début du XVIe siècle.
Au sud de Tcherdyne se trouve Solikamsk avec nombre d’églises remarquables. La route de Solikamsk à Nyrob, en passant par Tcherdyne, est ponctuée de villes historiques que les voyageurs intrépides découvrent avec grand intérêt.
Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte de Chouchenskoïé, le village sibérien où Lénine a été exilé.
Chers lecteurs,
Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :
- Vous abonner à notre canal Telegram
- Vous abonner à notre newsletter hebdomadaire par courriel
- Activer les notifications sur notre site web