
Objet du mois: le réfrigérateur, signe extérieur de richesse en URSS

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Birioussa, Dnepr, Minsk, Moskva, Poliousse, Saratov, Sievere, Sviïaga... autant de noms qu’une personne née ou ayant vécu en Union soviétique associe aux réfrigérateurs. Les ingénieurs qui les mettaient au point cherchaient à en améliorer les qualités réfrigérantes, à les rendre plus silencieux et à en réduire la taille. Longtemps signes extérieurs de richesse, certains de ces appareils électroménagers ne servaient pas uniquement de chambre froide.

Premiers réfrigérateurs russe et soviétique
Depuis l’Antiquité, c’est-à-dire bien avant l’essor de la chimie à la fin du XVIIIe siècle, l’homme sait que le sel, le vinaigre et le salpêtre permettent de conserver certains produits alimentaires. Depuis bien plus longtemps encore, il connaît les vertus d’une bonne ventilation et du froid pour en retarder le pourrissement. D’où la construction de caves, l’enfouissement dans la neige, l’utilisation de morceaux de glace, l’aménagement de garde-manger extérieurs dans les cuisines et les recherches pour la production artificielle et la conservation du froid.

Dans l’Empire russe, le première chambre froide fut disponible à la fin du XIXe siècle. Il s’agissait d’un coffre en bois dont les parois intérieures étaient recouvertes de feuilles de zinc. Il permettait d’obtenir une température de +7°C. Ses dimensions étaient de 36, 5 x 50, 5 x 90 cm. Il pesait 55 kilogrammes et son volume équivalait approximativement à 100 litres.
En 1936, Anastase Mikoïan (1895-1975), alors commissaire du peuple à l’Industrie agro-alimentaire, se rendit aux États-Unis. Il en rapporta, entre autres, un réfrigérateur General Electric. À son retour, il échoua à convaincre Joseph Staline (1878-1953) de l’utilité de lancer la production de ces appareils en URSS.


En 1939, toutefois, une ligne de production de réfrigérateurs fut ouverte à l’usine de tracteurs de Kharkov. Jusqu’au début de la Grande Guerre patriotique, environ 4 000 unités du ХТЗ-120 (pour Харьковский Тракторный Завод-120 litres). Au prix d’une consommation électrique de 60 kw par mois, son système de réfrigération pouvait produire une température de - 3°C. Ses dimensions extérieures étaient de 142,5 x 61, 5 x 59 cm et intérieures, de 75, 5 x 45, 5 x 38. Cette différence importante s’expliquait notamment par une couche isolante de 8 cm en laine de bois.
Essor de la production
Le 7 septembre 1949, le gouvernement soviétique prit une ordonnance concernant la création, aux usines Joseph V. Staline (ЗиС) de Moscou, d’un département chargé de mettre au point un réfrigérateur pouvant être produit en série. Les ingénieurs s’inspirèrent de modèle General Electric rapporté des États-Unis par Anastase Mikoïan.

La fabrication du réfrigérateur ДХ-2 (pour Домашний Холодильник – modèle 2 [le modèle 1 étant le prototype]), autrement connu comme ЗиС-Москва, fut lancée en 1951. Le système réfrigérant de cet appareil aux formes arrondies était à compression, ce qui le rendait moins énergivore que ses concurrents mis au point à l’usine Gazoapparat de Moscou. Autre avantage de taille : son volume utile était de 165 litres. Ses dimensions étaient de 133 x 67 x 64 cm. Ses utilisateurs l’appréciaient pour sa robustesse, sa capacité à résister aux variations d’intensité du courant électrique, ses grilles réglables en hauteur et sa grande poignée qui pouvait être équipée d’une serrure. Mais ils auraient souhaité que la température dans son congélateur d’un volume de 8 litres descende sous les - 6°C. Entre 1951 et 1960, il en fut produit environ 60 000 unités par an. Un tiers était destiné à l’exportation, un tiers au marché moscovite, un tiers au reste du pays. Ce qui explique que, même les consommateurs suffisamment aisés pour faire l’acquisition d’un tel appareil électroménager, devaient attendre plusieurs années pour en obtenir un.

Entre 1960 et 1969, l’usine ЗиС, devenue ЗиЛ (Завод имени Лихачёва) en 1956, sortit environ 120 000 unités du modèle ЗиЛ-Москва КХ-240. Il était à peine plus grand (137, 5 x 64 x 73, 2 cm) que le modèle précédent, mais son volume utile atteignait les 240 litres, dont les 29 litres du congélateur où la température descendait désormais jusqu’aux - 10°C. L’aménagement intérieur avait été considérablement amélioré par rapport à celui du ДХ-2 : on y trouvait 4 grilles, un compartiment pour les œufs, un casier à beurre, un emplacement pour les bouteilles et un tiroir en métal pour les fruits et légumes.

Le ЗиЛ-62 КШ-240/26, fabriqué entre 1969 et 1976, fut également une véritable révolution : toujours d’un volume intérieur de 240 litres, il était rectangulaire, ce qui permettait de l’encastrer ou d’utiliser sa partie supérieure comme une étagère. Son joint n’était plus en caoutchouc, mais magnétique.

Les deux derniers modèles fabriqués par les usines ЗиЛ (le Зил-63 КШ260/26 entre 1976 et 1988 et le ЗиЛ-64 КШ260-30 entre 1988-2001) étaient moins bruyants et mieux aménagés que les modèles précédents. Leurs portes s’ouvraient avec un angle maximal de 105°C et leurs congélateurs permettaient de conserver des produits à une température de - 18°C.

Entre 1951 et 2001, les usines ЗиС/ЗиЛ sortirent de leurs lignes de production environ 5 millions de réfrigérateurs. Ce qui ne suffit évidemment pas à expliquer qu’au début des années 1990, 98 % des foyers russes étaient équipés d’un de ces appareils électroménagers. En 1967, 29 usines en URSS, dont 15 spécialisées, fabriquaient des réfrigérateurs. La plupart d’entre eux étaient des déclinaisons des ЗиЛ.
Signe extérieur de richesse
Longtemps, avoir un réfrigérateur a été en URSS un signe d’aisance. Surtout s’il était de fabrication étrangère. Ce n’est pas un hasard si, dans La Prisonnière du Caucase ou les Nouvelles Aventures de Chourik, en échange de sa nièce Nina, Djabraïl obtient, entre autres, du camarade Saakhov un réfrigérateur finlandais de marque Rosenlew.
Dans les années 1950, un réfrigérateur Saratov coûtait 1 500 roubles, soit au moins deux mois de salaire. Ce prix élevé explique pourquoi au tout début des années 1960, seuls 5 % des foyers soviétiques étaient équipés d’un réfrigérateur.

À partir des années 1960, le nombre d’usines fabriquant ces appareils électroménagers augmentant (en 1970, 4 millions d’unités sortaient annuellement des lignes de production), leur prix a commencé à diminuer. Dans les années 1970, lorsque le salaire moyen était de 150 roubles, on pouvait trouver des réfrigérateurs dont les prix variaient de 60 pour un petit Morozko à 375 roubles pour un Minsk-11.

Avoir et faire savoir qu’on avait un réfrigérateur revenait à étaler son aisance matérielle devant ses proches, ses collègues, ses voisins. C’était aussi un moyen de leur faire comprendre qu’on avait les moyens et les possibilités de le remplir. Et si la poignée était équipée d’une serrure, comme celle du ЗиС/ЗиЛ-Москва, de s’en servir de coffre-fort. Même lorsqu’on ne cachait pas son argent ou ses bijoux dans son réfrigérateur, la serrure sur sa poignée était particulièrement utile dans les appartements communautaires pour éviter que des voisins mal intentionnés ne viennent prendre ce qu’il contenait.

Comme tout gros appareil électroménager, les réfrigérateurs restent aujourd’hui onéreux. Ils le sont d’autant plus que les modèles actuels ne sont pas faits (obsolescence programmée oblige !) pour durer aussi longtemps qu’un réfrigérateur soviétique, aussi bruyant qu’il ait été.

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