Trois «grands-pères» de l’histoire russe qui n’avaient pas... de petits-enfants
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Ivan Krylov
Le fabuliste Ivan Krylov a été surnommé « grand-père » de son vivant, alors qu’il ne s’était jamais marié et n’avait pas d’enfants reconnus, et encore moins de petits-enfants. Ce surnom lui a été associé notamment par le biais du poète Piotr Viazemski.
En 1838, le cercle des amis proches de Krylov a décidé de célébrer son 70e anniversaire, qui coïncidait avec le 50e anniversaire de son activité littéraire.
La célébration devait être fastueuse, l’empereur Nicolas Ier en fut informé, et les organisateurs étaient le ministre de l’Éducation publique Sergueï Ovarov, le vice-président de l’Académie des arts Fiodor Tolstoï, le compositeur Mikhaïl Glinka, le peintre Karl Brullov et d’autres éminentes personnalités.
Le statut élevé de Krylov était souligné par le fait que les fils de l’empereur, les grands-ducs Nicolas Nikolaïevitch et Mikhaïl Nikolaïevitch, âgés respectivement de six et cinq ans, étaient venus lui adresser leurs vœux en tant que représentants du jeune public. Il s’agissait d’une contribution informelle de la famille impériale à la célébration officielle du fabuliste.
Or, le point culminant de la cérémonie, comme le soulignent les chercheurs Ekaterina Liamina et Natalia Samover dans leur livre Ivan Krylov — Superstar, fut l’interprétation par le meilleur basse de la scène pétersbourgeoise, Ossip Petrov, de couplets sur des poèmes de Piotr Viazemski :
« Que ton heureux destin dure,
Que filent les années qui nous sont chères !
Salut à ta charmante épouse,
Salut, grand-père Krylov ! »
Le terme « épouse » désignait ici la muse. Les personnes présentes ont témoigné que les poèmes de Viazemski ont connu un succès extraordinaire, et Krylov est ainsi resté à jamais « un grand-père » non seulement pour ses contemporains, mais aussi pour les générations suivantes.
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Vladimir Lénine
La propagande soviétique veillait à ce que chaque enfant puisse raconter fidèlement plusieurs épisodes de la vie de Vladimir Lénine : son enfance, sa jeunesse et sa maturité. Des livres sur ce sujet étaient publiés sans interruption en URSS à des tirages énormes.
Parmi les récits sur les dernières années de sa vie, le livre du révolutionnaire, publiciste et secrétaire de facto du chef du prolétariat mondial Vladimir Bontch-Brouïevitch, Lénine et les enfants, était particulièrement populaire. Il soulignait l’amour du héros pour ses « petits camarades », sa légèreté, sa gentillesse, sa réceptivité, son aptitude à s’entendre avec les enfants et à trouver un langage commun avec eux.
Lénine et sa femme Nadejda Kroupskaïa ne pouvaient pas avoir d’enfants pour des raisons de santé. Cependant, leurs contemporains ont témoigné de l’amour de Lénine pour les enfants de ses amis. Cet amour s’est en réalité étendu à tous les enfants de l’Union soviétique — c’est ainsi qu’est apparue progressivement la formule « les pionniers [équivalent soviétique des scouts] sont les petits-enfants d’Ilitch [patronyme de Lénine] », et il est donc devenu le « grand-père » de tous les enfants de la nation.
Joseph Staline aimait cette formule, car après la mort de Lénine, il est lui-même devenu le « petit père des peuples » et en quelque sorte le fils adoptif de son prédécesseur.
Nikolaï Tchaïkovski
Ce Tchaïkovski n’a pas composé de musique, contrairement à Piotr, il a dirigé des processus beaucoup plus ambitieux visant à renverser la monarchie en Russie, ce qui lui a valu le surnom de « grand-père de la révolution russe ».
Chimiste de formation, élève de Dmitri Mendeleïev, il a participé au mouvement révolutionnaire en Russie dès les années 1870. Dès son plus jeune âge, il s’est entièrement consacré au travail clandestin, ce qui impliquait prison, exil et émigration. Comme beaucoup de narodniki (membres d’un mouvement socialiste, dont le nom se traduit par « populistes »), il considérait la lutte pour une nouvelle Russie comme la cause principale de sa vie. Sa longue carrière (du mouvement précédemment cité au gouvernement provisoire) lui valait le respect même de ses adversaires.
Lev Trotski le mentionnait dans ses mémoires comme le « patriarche » de la révolution, tandis que les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires le surnommaient « grand-père » en raison de son autorité morale. Après 1917, Tchaïkovski critiqua le pouvoir soviétique, et les bolcheviks l’appelèrent « grand-père » avec une pointe de condescendance, le qualifiant de « vieille garde » incapable de comprendre les temps nouveaux.
Il a survécu à plusieurs générations de révolutionnaires : des narodniki des années 1870 aux socialistes-révolutionnaires de 1905 et au mouvement antibolchévique des années 1918-1920. Malgré son surnom, il a combattu les bolcheviks en 1918 (il a dirigé le gouvernement d’Arkhangelsk pendant l’intervention), puis a émigré. Il est mort à Londres sans jamais accepter la révolution d’Octobre.
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