Que devinrent les assassins de Grigori Raspoutine?
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Le 30 décembre 1916, sous le pont Petrov qui enjambe la Petite Nevka, on découvrit le cadavre de Grigori Raspoutine (1869-1916). Le couple impérial avait placé en ce starets de la région de Tobolsk toute sa confiance parce qu’il savait, semblait-il, soulager le tsarévitch Alexis, héritier du trône, des douleurs de l’hémophilie. Au cours de la dizaine d’années qu’il passa dans l’entourage de la famille impériale, son influence auprès d’elle ne fit que grandir. Ses détracteurs l’accusaient de tenir l’empereur et l’impératrice sous sa coupe, ce qui leur valut d’être écartés du cercle de la famille impériale. Même les rumeurs récurrentes selon lesquelles Raspoutine était un espion allemand ne purent briser l’aura dont certains l’entouraient.
Raspoutine réchappa à un premier attentat en 1914. Ce ne fut pas le cas deux ans plus tard. Ses assassins ne nièrent pas leur acte qui n’eut pour eux aucune conséquence sérieuse. Après l’abdication de Nicolas II (2/15 mars 1917), l’affaire fut même close.
Qui étaient ces hommes qui complotèrent contre Grigori Raspoutine ?
Félix Ioussoupov (1887-1967)
Dernier représentant de la lignée des princes Ioussoupov, héritier de l’une des plus riches et illustres familles de l’aristocratie, Félix Ioussoupov semblait avoir été bien nommé. En latin, son prénom signifie « heureux ». Il fit ses études à Oxford, il montrait des aptitudes pour les arts, il adorait se travestir et le faisait avec talent. Déguisé en chanteuse parisienne, il parvint à se faire engager au restaurant Aquarium à Saint-Pétersbourg. Il eut le temps de donner plusieurs concerts avant d’être démasqué : quelqu’un avait reconnu les bijoux qu’il avait empruntés à sa mère.
En 1914, le jeune prince devint membre de la famille impériale en épousant Irina (1895-1970), une des nièces de Nicolas II (1868-1918). Comme cadeau de mariage, le tsar leur accorda le droit d’occuper la loge impériale au théâtre.
Constatant l’influence grandissante qu’exerçait Grigori Raspoutine sur la famille impériale, Félix Ioussoupov estima qu’il était indispensable de le faire disparaître. Le prince participa au complot contre le starets. Jouant de la confiance que lui accordait Grigori Raspoutine, qui l’avait surnommé « le petit », Félix Ioussoupov le convia dans son palais où, avec les autres conjurés, il l’assassina.
Après la Révolution d’Octobre, les Ioussoupov émigrèrent à Londres, puis à Paris où ils fondèrent la maison de couture IRFE. En 1928, Félix Ioussoupov fit paraître ses mémoires dans lesquels il décrivait l’assassinat de Grigori Raspoutine. Par la suite, il n’en donna jamais d’autre version. Il n’hésitait d’ailleurs pas à ester en justice contre ceux qui avançaient des spéculations ou racontaient des récits fantaisistes à ce sujet. Au début des années 1930, il obtint la condamnation de la MGM qui avait produit un film dans lequel la princesse Ioussoupov était présentée comme la maîtresse de Grigori Raspoutine. Il toucha alors vingt-cinq mille livres sterling de dommages et intérêts.
Durant toute sa vie, Félix Ioussoupov aida ses compatriotes qui, comme lui, avaient émigré. Il en accueillit chez lui et collecta des fonds, notamment pour la Croix-Rouge russe. Il ne retourna jamais en Russie.
Le grand-prince Dmitri Pavlovitch (1891-1942)
Dmitri Pavlovitch grandit dans la famille du général-gouverneur de Moscou, le grand-prince Sergueï Alexandrovitch (1857-1905). Après que ce dernier fut assassiné, Dmitri Pavlovitch fut placé sous la tutelle du tsar, l’un de ses cousins. Cavalier émérite, il mena la délégation russe aux Jeux olympiques de Stockholm en 1912. Bien que ses résultats aux concours équestres aient été modestes (5e en équipe et 9e en individuel), le grand-prince s’enthousiasma à l’idée d’organiser des jeux olympiques panrusses. La première édition se tint à Kiev en 1913 ; le seconde, à Riga (Lettonie) l’année suivante.
Grigori Raspoutine sut faire payer au grand-prince l’antipathie qu’il éprouvait à son égard. Il convainquit l’impératrice Alexandra de ne pas consentir aux fiançailles de sa fille aînée Olga avec Dmitri Pavlovitch.
Lorsqu’elle apprit la mort de Grigori Raspoutine, la tsarine entra dans une telle fureur qu’elle exigea que Dmitri Pavlovitch et Félix Ioussoupov soient arrêtés. Craignant l’agitation dans le peuple, Nicolas II exila rapidement son cousin en Perse. Après la Révolution d’Octobre, Dmitri Pavlovitch vécut en Europe et aux États-Unis. Il eut une liaison passionnée avec Coco Chanel. Ce fut grâce à lui qu’elle fit la connaissance du parfumeur Ernest Beaux, le créateur du parfum Chanel N°5.
Le grand-prince Dmitri Pavlovitch ne donna jamais sa version de l’assassinat de Grigori Raspoutine.
Vladimir Pourichkevitch (1870-1920)
Vladimir Pourichkevitch était l’un des chefs du mouvement monarchiste Union du peuple russe, le fondateur de l’Union populaire russe du nom de l’archange Saint-Michel et député à la Douma où son nom reste aussi associé à de nombreux scandales qu’il savait exploiter à son profit. Il transformait la moindre séance ennuyeuse en une bouffonnerie politique : lorsqu’on le forçait à quitter l’assemblée, Vladimir Pourichkevitch grimpait sur les épaules des gardiens, croisait les bras et sortait ainsi de la salle. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, son attitude changea du tout au tout. Il organisa des convois sanitaires, il se rendit sur le front pour en évacuer les blessés, il mit en place de livraisons de nourriture et de vêtements aux soldats. En novembre 1916, il prononça un discours dans lequel il affirma que « toute la Russie est unanime pour voir une horreur en Raspoutine, qui est la veilleuse d’icône dans les appartements du tsar et de la tsarine ». Peu après, Félix Ioussoupov lui proposa de se joindre aux comploteurs contre le starets.
Après la Révolution d’Octobre, l’ancien député tenta d’organiser un mouvement antibolchévique et publia son journal dans lequel il décrivait l’assassinat de Grigori Raspoutine. Il mourut du typhus en 1920 à Novorossiisk (aujourd’hui région de Krasnodar).
Stanislas Lazovert (1887-1976)
Stanislas Lazovert était médecin chef dans le train sanitaire de Vladimir Pourichkévitch. Il empoisonna au cyanure de potassium les éclairs qui furent proposés à Grigori Raspoutine à la fin de ce qui fut son dernier repas. Il devait aussi constater la mort du starets. Les témoignages des conspirateurs divergeant, les circonstances de l’assassinat ne sont pas clairement établies. Selon l’une des versions, Stanislas Lazovert, ne pouvant se résoudre à tuer un homme, n’empoisonna pas les gâteaux. Cela expliquerait pourquoi après avoir mangé un plateau entier d’éclairs, Grigori Raspoutine ne ressentit qu’un léger malaise.
>>> Le palais Ioussoupov de Saint-Pétersbourg: à la découverte du lieu du meurtre de Raspoutine
Après avoir quitté la Russie, Stanislas Lazovert vécut aux États-Unis puis en France. Lui aussi publia ses mémoires dans lesquels il décrivit le complot contre Grigori Raspoutine.
Sergueï Soukhotine (1887-1926)
Sergueï Soukhotine, commandant au 1er régiment d'infanterie de la Garde de Sa Majesté, fut présenté à Félix Ioussoupov par sa première femme, la pianiste Irina Eneri. Leur fille Natalia était la filleule du prince. Sergueï Soukhotine devait se faire passer pour Grigori Raspoutine rentrant chez lui après le dîner au palais du prince Ioussoupov. Après avoir ainsi écarté les soupçons, il devait retourner chercher le cadavre. Avec Stanislas Lazovert, il le transporta jusqu’au fleuve.
Après la Révolution d’Octobre, il fut accusé de corruption puis emprisonné. Après sa libération, il participa à l’ouverture du musée Léon Tolstoï (1828-1910) dans sa propriété de Iasnaïa Poliana. En 1921, il épousa en secondes noces une des petites-filles de l’écrivain, Sofia (1900-1957). L’année suivante, il fut victime d’une hémorragie cérébrale. Il fut possible de l’envoyer à Paris où Félix Ioussoupov fit prendre soin de lui.
Le rôle qu’il tint dans l’assassinat de Grigori Raspoutine ne fut connu qu’à la sortie des mémoires de Félix Ioussoupov. Dans les siens, Vladimir Pourichkevitch le mentionne comme un certain « lieutenant S. ».
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