De la Garde blanche à l’Institut Pasteur: l’épopée française du frère de Mikhaïl Boulgakov
Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Héros bien réel d’une grande œuvre de fiction
Si vous avez lu La Garde blanche de Mikhaïl Boulgakov, vous connaissez déjà un peu son frère Nikolaï. C’est lui qui constitue le « prototype » de l’un des personnages principaux de cette œuvre, la jeune Nikolka Tourbine. Nikolaï est né à Kiev, où il a terminé le gymnase (équivalent du lycée) avant d’intégrer une école d’ingénieurs. L’élève-officier de douze ans portait des bandeaux rouge vif sur sa casquette et des pattes d’épaule bordées de liserés argentés : on y trouve de nombreuses références à travers les pages de la Garde blanche. Cependant, il n’était pas voué à devenir officier des troupes du génie de l’Empire russe : les troubles révolutionnaires ont éclaté, et les écoles militaires comme celles dans laquelle il étudiait ont été dissoutes.
Malgré le chaos dans lequel s’enfonçait pays, Nikolaï n’a pas perdu l’espoir de poursuivre ses études. L’année suivante, en septembre 1918, il est entré à la faculté de médecine à l’université, où il a étudié de façon épisodique, ne totalisant que quelques mois de cursus.
L’émigration
À l’automne 1919, les Blancs sont entrés dans la ville et Nikolaï a rejoint l’Armée des volontaires. Le parcours ultérieur du jeune homme est typique de la Garde blanche : une courte formation à Odessa, les combats, le transfert à Sébastopol, l’évacuation de Crimée dans les rangs de l’armée du général Wrangel vers la péninsule de Gallipoli, puis le départ de Turquie vers le royaume de Yougoslavie. Affaibli après une blessure obtenue au cours des batailles contre les Rouges et vêtu de loques, le jeune homme a obtenu un emploi dans un hôpital local.
En un an de travail acharné, il a non seulement réussi à améliorer légèrement sa situation financière, mais également à économiser pour étudier à l’Université de Zagreb ; il l’évoque avec enthousiasme à sa famille dans la première lettre qu’il a pu envoyer dans sa patrie. Son diplôme en poche, Nikolaï est resté à Zagreb, où il s’est consacré à la science au sein de la chaire de bactériologie. Bientôt, le professeur français Félix d’Hérelle s’est intéressé à sa thèse. En 1929, il invite le talentueux émigré russe à travailler à Paris.
Microbiologiste français
« Les conditions me donnent la possibilité de vivre modestement et de ne dépendre de personne, je n’avais pas connu cela depuis longtemps », a écrit Nikolaï à ses proches restés en URSS à propos de son déménagement en France. En effet, malgré tous ses efforts, Nikolaï dépendait auparavant de l’argent que Mikhaïl lui allouait généreusement, ainsi qu’à son deuxième frère, Ivan, sur ses honoraires d’écrivain. Cependant, les problèmes matériels de l’époque n’ont pas détérioré leur relation. Dans ses lettres, Mikhaïl se réjouit sincèrement du succès de son « cher Kolia » : « Tu me demandes si ton travail m’intéresse ? Extrêmement ! J’ai reçu un l’abrégé sur Bacterium prodigiosum. Je suis heureux et fier que dans les conditions de vie les plus difficiles, tu te sois frayé un chemin. Je me souviens de toi jeune homme, je t’ai toujours aimé, et désormais je crois fermement que tu deviendras un scientifique ».
Nikolaï a sans aucun doute réussi à justifier les espoirs que nourrissait son frère aîné. Intégré à l’équipe du professeur d’Hérelle à l’Institut Pasteur, il a travaillé sur les bactériophages, des virus qui dévorent les bactéries. À une époque où les antibiotiques n’étaient pas encore largement utilisés, les études liées aux bactériophages étaient extrêmement prometteuses, car elles pouvaient avoir un grand impact sur le traitement de maladies bactériologiques telles que le tétanos, le choléra, le paludisme, etc. Réalisant une mission confiée par d’Herelle, Boulgakov s’est même rendu au Mexique, où, trois mois durant, il a partagé ses connaissances en matière de microbiologie.
Résistance et dernières années de sa vie
Durant la Seconde Guerre mondiale, la France est occupée par l’Allemagne. En 1941, Boulgakov est arrêté par les nazis et envoyé au camp d’internement de Compiègne, beaucoup de Russes figurant parmi les prisonniers : descendants d’anciennes familles nobles, membres éminents du mouvement blanc, scientifiques et ingénieurs… Grâce à sa formation médicale, il a obtenu un poste de médecin, une condition privilégiée ; il n’a toutefois jamais collaboré avec les nazis, et a même facilité l’évasion de prisonniers. Après la fin de la guerre, les anciens prisonniers ont envoyé au docteur Boulgakov une lettre lui exprimant leur gratitude. Nikolaï a également reçu une médaille commémorative en tant qu’ancien combattant de la Résistance.
Ayant enfin obtenu la possibilité de renouer avec la recherche scientifique, Nikolaï a recommencé à travailler à l’Institut Pasteur. Les maladies bactériologiques étaient déjà traitées avec des antibiotiques, car l’obtention de bactériophages n’était pas bon marché, mais Boulgakov restait convaincu que son travail bénéficierait à l’humanité. En plus de la médecine, Nikolaï s’est également activement intéressé à la vie de la diaspora russe à Paris et y a pris une part active. Il a collaboré avec le Groupe académique russe (1953-1964), dont il a même été élu membre du conseil d’administration ; il a également assisté aux réunions du Cercle des admirateurs d’Ivan Chmeliov.
Mikhaïl Boulgakov a chargé Nikolaï de gérer ses honoraires en France. Et malgré quelques disputes entre les frères, la correspondance entre Moscou et Paris ne s’est arrêtée qu’à la mort de l’auteur du Maître et Marguerite. Quant à Nikolaï, il a vécu près de 30 ans de plus que son aîné et repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.
Dans cette autre publication, découvrez comment une Tcherkesse est devenue mannequin pour Chanel et marraine des légionnaires français.