Pourquoi le tableau La Demande en mariage du major endetté amusait-il tant au XIXe siècle?
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Un peintre officier à la retraite
Officier du régiment finlandais de la Garde à la retraite, Pavel Fedotov (1815-1852) se rêvait en peintre batailliste. Mais, son talent se révéla dans des scènes de la vie quotidienne. Ses deux premiers tableaux, Le Cavalier fraîchement médaillé et La Fiancée difficile, suscitèrent l’enthousiasme de Karl Brioullov qui lui obtient une bourse. Avec les sept cents roubles qu’il toucha, Pavel Fedotov peignit La Demande en mariage du major endetté. Il travailla un an à cette toile avec une rigueur toute militaire : il acheta tous les objets qu’il voulait peindre sur le vif. Il glissa la robe de la promise sur un mannequin auquel il imprima différentes poses pour trouver la plus vraisemblable.
En 1849, les trois premiers tableaux de Pavel Fedotov furent exposés à l’Académie des Beaux-arts. Le troisième attira particulièrement l’attention des visiteurs et provoqua l’hilarité. Beaucoup se tordaient de rire en écoutant le peintre lire des vers de sa composition expliquant le contenu de La Demande en mariage du major endetté.
Un bon mariage pour toutes les parties
Tous les personnages du tableau sont en mouvement. L’officier replet retrousse sa moustache. La cuisinière pose un koulibiac sur la table. La mère attrape au vol la robe de sa fille qui tente de fuir. Le père essaie de boutonner sa redingote. La marieuse lui fait signe que l’officier est arrivé. La vieille écornifleuse demande à la domestique ce qu’il se passe. Le chat, parfaitement indifférent au drame qui se joue dans son dos, fait sa toilette.
On pourrait se demander ce que cette scène a de particulier. Elle ne fait que donner à voir l’agitation qui précède une demande en mariage. Celui qui se prépare sera une mésalliance : au XIXe siècle, des nobles désargentés acceptaient facilement de se marier avec des filles de riches marchands. Les bénéfices étaient évidents pour les deux parties : l’une obtenait des moyens de subsistance, l’autre, les privilèges dont jouissait l’aristocratie. Bien que le fiancé ait été attendu, son arrivée prend tout le monde de court. Certain que sa demande sera acceptée, il se présente sans même un bouquet.
Le père se sent contraint dans sa redingote. On comprend qu’il n’a pas l’habitude de porter un tel vêtement. En infraction avec l’étiquette, les femmes sont en robes de bal. La mère porte un foulard sur la tête et non une charlotte comme il était d’usage à l’époque pour les femmes mariées. La robe de la fiancée, embijoutée, est trop décolletée. Au lieu d’avoir un éventail, elle a un mouchoir de dentelle qu’elle a laissé tomber.
La table - trop petite pour tant de personnes - est mal dressée. La nappe aurait dû être blanche, elle est rose et brodée. La bouteille de champagne et les coupes attendent sur un plateau posé sur une des chaises.
Un énorme lustre de cristal pend au plafond lourdement décoré. Sur les murs, non pas des tableaux à la mode, mais le portrait d’un métropolite.
En voyant cette toile, les visiteurs de l’exposition où elle était accrochée remarquèrent évidemment toutes ces incohérences qui ne pouvaient pas ne pas sauter aux yeux des gens de l’époque. Tenues apprêtées, infractions à l’étiquette, tout dans La Demande en mariage du major endetté donne à comprendre que les personnages ne cachent pas leur intention de conclure cette transaction avantageuse pour tous, sauf peut-être pour la fiancée.
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