
Cinq mots français dont il faut réfléchir au sens avant de les traduire en russe

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Appeler qn
Au sens de donner un nom à qqn / qqch, appeler se traduit par называть / назвать кого-/что-нибудь suivi de l’attribut du complément d’objet direct à l’instrumental ou au nominatif (pour les prénoms, patronymes et noms de famille).
Dans Le Dégel, Ilia Erenbourg posait ces questions :
«Tы веришь в чудеса? А что ты называешь чудом?»
«Tu crois aux miracles ? Et qu’est-ce que tu appelles miracle ? » (= Un miracle, qu’est-ce que c’est pour toi ?)
«Назовём сына Лембитом, – говорит он – пусть растёт богатырём!»
« Nous appellerons notre fils Lembit, dit-il, ce sera un véritable preux ! » fait dire, non sans moquerie, Sergueï Dovlatov à l’un de ses personnages dans Le Compromis.
Si appeler à le sens de faire venir, on choisira звать / позвать кого-нибудь (qqn).
« Родина-Мать зовёт! »
« La mère patrie t’appelle ! » est-il écrit sur une célèbre affiche du temps de la Grande Guerre patriotique.
C’est ce même verbe que l’on retrouve dans la tournure Il s’appelle Constantin / Его зовут Констанин(ом), littéralement on l’appelle Constantin. L’idée est qu’il répond au nom de Constantin et que s’il répond, c’est qu’on l’a fait venir.
Lorsqu’il a le sens de téléphoner, appeler se traduit par звонить / позвонить кому-нибудь.
Dans Dix-Sept moments de printemps, dont on a tiré une série télévisée à succès, on peut lire sous la plume de Ioulian Semionov :
« Если она попросит вас позвонить куда-либо или передаст записку, немедленно звоните ко мне – домой или на работу, неважно».
« Si elle vous demande d’appeler quelque part ou si elle fait transmettre un mot à quelqu’un, téléphonez-moi immédiatement, à la maison ou au travail, cela n’a pas d’importance. »
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Conscience
Dans la série policière Место встречи изменить нельзя, le personnage de Gleb Jуglov interprété par Vladimir Vyssotski prononce cette phrase : «Ты не сознаниe, ты совесть потерял. » / « Tu n’as pas perdu connaissance, mais la conscience du bien et du mal ». Elle est un excellent exemple de la différence que le russe fait entre conscience au sens de connaissance et conscience au sens de faculté à discerner le bien du mal et de volonté de choisir le bien.
Сознание est formé du préverbe с(ъ)/со : avec et du substantif знание : connaissance.
Совесть l’est de la même façon. Весть est un dérivé du verbe ведать (viédat’) qui signifie savoir.
Ces deux substantifs sont donc des calques. Ils le sont aussi du latin conscientia qui a donné conscience : co + science, c’est-à-dire la connaissance, le savoir en commun, partagé(e).
Demande (demander qqch à qqn / demander à qqn de faire quelque chose)
Lorsqu’on s’apprête à traduire le verbe demander en russe, il faut se demander (!) quel est exactement son sens.
S’il signifie interroger, on choisira спрашивать / спросить (у) кого-нибудь (qqn) о чём-нибудь (qqch). Si le verbe en français est pronominal, la construction russe sera задаваться вопросом.
Dans Le Coup de Pistolet d’Alexandre Pouchkine, on lit :
« Мы с удивлением спрашивали: неужели Сильвио не будет драться?»
« Nous demandâmes, étonnés : est-il donc possible que Silvio ne se batte pas ? »
Le substantif correspondant est вопрос, c’est-à-dire question.
Si demander a le sens d’exprimer un vœu ou une exigence, il se traduira par :
- просить / попросить (у) кого-нибудь (à qqn) кого-/что-нибудь / о ком-/чём-нибудь (qqn / qqch).
- просить / попросить кого-нибудь (à qqn) сделать что-нибудь (de faire qqch)
Dans la scène du film Mimino où le personnage principal est assis près du bureau de la secrétaire, on entend une voix demander (просить) à celle-ci : «Попросите Мизандари!», c’est-à-dire « Demandez à Mizandari d’entrer ! / Faites entrer Mizandari ! ».
Dans ce cas, demande se traduit par просьба.
Le russe connaît un troisième verbe de la même famille que les deux précédents : запрашивать / запросить кого-/что-нибудь о чём-нибудь. Il signifie adresser une demande officielle pour obtenir des explications au sujet de qch.
Dans ses mémoires, Anastase Mikoïan écrivait :
« Эсеровское правительство извещало об аресте комиссаров во главе с Шаумяном и запрашивало Маллесона, какие принять меры в отношение арестованных. »
« Le gouvernement SR [socialiste révolutionnaire – ndlr] fit savoir que les commissaires et leur chef Chahoumian avaient été arrêtés. Il demanda à Malleson quelles mesures prendre à l’égard des prisonniers. »
Le substantif dérivé de ce verbe est запрос, la demande au sens de requête (officielle).
L’expression l’offre et la demande se traduit par cпрос : cпрос и предложение. On notera que ces deux termes ne sont pas donnés dans le même en russe et en français. C’est la longueur des mots qui décide de leur place.
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Jalousie
La langue française peut être jalouse de la langue russe ! En russe, il existe en effet deux mots tout à fait distincts pour traduire jalousie.
Si la jalousie est le sentiment d’attachement à quelqu’un ou quelque chose, ce substantif se traduit par ревность / rièvnast’. C’est celle que décrit Léon Tolstoï au chapitre XV de la Sonate à Kreutzer.
Le dépit de ne pas avoir quelque chose que quelqu’un d’autre possède se traduit par зависть / zavist’.
Un personnage du Pari d’Anton Tchékhov se lamente ainsi :
« Он возьмёт с меня последнее, женится, будет наслаждаться жизнью, играть на бирже, а я, как нищий, буду глядеть с завистью и каждый день слышать от него одну и ту же фразу: ʺЯ обязан вам счастьем моей жизни, позвольте мне помочь вам!ʺ »
« Il me dépouillera de tout, se mariera, jouira de la vie, jouera en bourse. Et, moi, pauvre que je serai, je le regarderai avec jalousie et, chaque jour, je l’entendrai me répéter une seule et même phrase : ʺJe vous dois le bonheur de ma vie, permettez-moi de vous venir en aide !ʺ ».
Orgueil
En français, le substantif orgueil est équivoque. C’est le contexte dans lequel il est utilisé qui lève l’ambiguïté qu’il porte.
Avant de traduire orgueil en russe, il faut donc se demander s’il est question du péché capital dont Grégoire le Grand puis Thomas d’Aquin estimaient qu’il engendrait tous les autres. Si tel est le cas, la traduction en russe sera гордыня / gordynia.
Dans son Pouchkine, Dmitri Mérejkovski écrivait :
« Только теперь сознает Онегин ничтожество той гордыни, которая заставила его презреть божественный дар – простую любовь, и с такой же холодной жестокостью оттолкнуть сердце Татьяны, с какой он обагрил руки в крови Ленского. »
« Maintenant seulement, Onéguine prenait conscience de la médiocrité de cet orgueil qui lui avait fait mépriser le don divin qu’était un amour simple, repousser le cœur de Tatiana avec la même cruauté froide que celle avec laquelle il répandit le sang de Lenski. »
Si orgueil est synonyme de fierté, on choisira le mot гордость / gordast’.
Dans Une Histoire ordinaire de Nikolaï Gontcharov, un des personnages se targue ainsi :
« Прежде, нежели я задал себе этом вопрос, у меня уже был готов ответ! с гордостью отвечал Александр »
« Avant même de me poser cette question, j’avais déjà la réponse !, répondit Alexandre avec orgueil / fierté »
Гордость peut toutefois avoir une connotation négative héritée d’un état plus ancien de la langue. Son sens est alors celui du défaut d’orgueil ou de la fierté mal placée.
Dans l’un de ses récits intitulés Karamora, Maxime Gorki écrit :
« Это не из гордости, не из отчаяния человека, который изломал свою жизнь непоправимо. »
« Ce n’est pas par l’orgueil, le désespoir d’un homme qui a brisé sa propre vie de irrémédiablement ».
Comme vous vous en serez aperçu(e), гордыня et гордость sont des mots de la même famille.
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