Qui sont les Nanaïs, ce peuple de Russie «à peau de poisson» nourrissant des poupées funéraires?
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Il existe de nombreux faits curieux sur le peuple nanaï. Par exemple, on disait d’eux qu’ils étaient « à peau de poisson », parce qu'ils portaient effectivement des habits réalisés à l’aide de cette matière première. De nos jours, un tel costume traditionnel coûte environ 2 200-3 500 euros. Ou encore, ils cousaient une sorte de plastron avec des motifs en forme de boyaux pour les défunts et fabriquaient une petite poupée en bois en leur honneur, qu'ils « nourrissaient » pendant un an après la mort de leurs proches. Enfin, les noms de famille des Nanaïs méritent eux aussi une attention particulière : il n'en existe que 30.
Les Nanaïs, comme de nombreux représentants des petits peuples de Russie, sont maintenant presque assimilés aux Russes. Peu d’entre eux connaissent, et encore moins parlent la langue nanaï au quotidien. Néanmoins, ils ne cessent d'être des habitants indigènes de l'Extrême-Orient, qui étaient sur cette terre avant l'arrivée, tout d’abord des Chinois, puis des Russes.
Qui sont les « hommes de la Terre » ?
La façon dont les Nanaïs sont apparus reste un mystère pour les chercheurs. Certains pensent que leurs ancêtres vivaient à l'origine sur le territoire de la Mandchourie (aujourd'hui dans le nord-est de la Chine moderne), puis qu'ils se sont rendus dans la vallée du Bas-Amour et de l'Oussouri. D'autres, comme l'ethnographe Lev Sternberg, estiment que le peuple nanaï est né d'un métissage de différentes tribus. Cette théorie a été confirmée par l'analyse génétique des Nanaïs. Il s'est avéré que les différents clans nanaïs diffèrent de manière frappante les uns des autres dans leur composition ethnique – la trace génétique des uns mène à la Chine, celles des autres aux peuples turciques, mongols, ou toungouses.
Bien que la première mention de l’existence des Nanaïs en Russie ait été faite au XVIIe siècle, ils vivent sur ces terres depuis des temps immémoriaux. Littéralement, « nanaï » se traduit de leur langue par « homme de la Terre ». À l'époque de la colonisation russe, on les appelait « étrangers » (ce qui signifiait à l'époque un représentant d'une ethnie non russe), tandis qu’aujourd’hui ils sont classés comme faisant partie des « petits peuples de Russie », ce qui est lié à différents facteurs précis, notamment leur nombre (pour être considéré comme tel, un peuple doit posséder moins de 50 000 représentants), et non à leur importance ou à leur taille physique.
Selon le recensement de 2010, il y avait 11 671 Nanaïs en Russie. Cependant, 4 600 autres membres de cette ethnie se trouvent sur le territoire chinois en raison de la signature de la Convention de Pékin en 1860, qui a tracé la frontière entre les deux pays sur les cours de l’Amour et de l’Oussouri et donc divisé la zone où vivait ce peuple.
Chaman et âme volée
Lorsque les Russes sont arrivés en Extrême-Orient, les populations autochtones ont été placées au pied du mur : accepter l'autorité russe ou quitter la région. Le peuple nanaï a choisi de rester sur ses terres historiques. Aujourd'hui, plus de 92% des Nanaïs de Russie vivent dans la région de Khabarovsk : à Khabarovsk même et dans des villages situés de part et d'autre du fleuve Amour et de la rivière Oussouri, à environ 4 heures de Khabarovsk.
Par la suite, les Nanaïs ont de nouveau été confrontés à un ultimatum lorsqu'ils ont été convertis du paganisme à l'orthodoxie dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le peuple spiritualisait auparavant la nature, avec laquelle il entrait en contact par l'intermédiaire de chamans et avec l'aide de chiens. Ils croyaient en effet que ces animaux étaient des guides et des aides, avec lesquels le chaman pouvait retrouver les âmes humaines « volées ».
Ils s'occupaient des âmes des morts d'une manière unique. Un plastron funéraire avec un motif de boyaux était cousu pour le défunt, afin que l'âme puisse respirer et se nourrir. Une pierre était placée dans le cercueil, près des talons, pour empêcher le défunt de remonter vers les âmes des vivants. Dans le même but, la dépouille était transportée hors de la maison par une ouverture brisée ou une fenêtre, mais en aucun cas par la porte, afin que le disparu ne retrouve pas son chemin. Ils considéraient en outre que l'âme du défunt « vivait » pendant un an dans une petite poupée en bois appelée « pané ». Chaque jour, la statuette était nourrie, et après un an, le chaman envoyait l'âme vers l'au-delà. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les Nanaïs plaçaient leurs morts dans de petites maisons en surface, puis ont commencé à les inhumer dans la terre.
Les vêtements traditionnels du peuple nanaï sont brodés de motifs ayant toujours une signification : protection contre les mauvais esprits, santé de fer, pêche fructueuse, etc. « Vous voyez ce plastron ? Je l'ai fait moi-même. Il a été conçu pour éloigner les mauvais esprits. Plus il y a d'ornements en métal et plus ils sonnent fort, mieux c'est. Bien que ces plastrons soient habituellement portés sous les vêtements, il est désormais courant de les porter à la vue de tous », déclare Elena, du village de Sikatchi-Alian.
En réalité, beaucoup de Nanaïs ont aujourd’hui une double foi. Ils vont à l'église, mais nourrissent en même temps les esprits de la rivière pour attirer la bonne fortune, et laissent des pièces de monnaie près du sèvèn, une sculpture rituelle, au cas où.
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Comment inventer son nom de famille
Lorsque le moment est venu d’obtenir un passeport soviétique, les Nanaïs ont dû s’accorder un nom de famille pour la première fois de leur histoire. Cette notion était, avant 1974, tout bonnement inexistante chez ce peuple. Le document qui exigeait que toute la population du pays (à l'exception du personnel militaire) ait un passeport est apparu un demi-siècle après la création de l'URSS, et les Nanaïs ont donc imaginé leurs noms de famille sur la base de la logique la plus évidente. Comme noms de famille, ils ont pris le nom des clans auxquels ils appartenaient. Au total, 30 noms de famille ont ainsi été élaborés : Possar, Aïmka, Digor, Nouïer, Ioukomzan, etc.
Le plus grand clan est celui des Beldy, dont le représentant le plus célèbre est le chanteur Kola Beldy (1929-1993). Pour sa chanson Увезу тебя я в тундру (Ouvezou tibia ia v toundrou, Je t’emmènerai dans la toundra), il a remporté le deuxième prix du concours principal du Festival international de la chanson de Sopot (Pologne), après quoi il a effectué une tournée de plusieurs années, visitant 46 pays. Les paroles de la chanson portent sur la vie dans la toundra et l'élevage de rennes, bien que le peuple nanaï n'ait jamais vécu dans ce milieu naturel et n'ait jamais pratiqué cette activité.
Les Nanaïs sont, il est vrai, des pêcheurs nés. Environ 140 espèces de poissons vivent dans le fleuve Amour et cinq mois du calendrier traditionnel nanaï portent le nom de poissons.
Être Nanaï au XXIe siècle
Les maisons et le mode de vie du peuple nanaï contemporain diffèrent peu de ceux des Russes. Internet, appareils ménagers, voitures, bateaux à moteurs et générateurs électriques permettant d'avoir une source d'énergie n'importe où – tout cela est utilisé par les Nanaïs, même dans les villages reculés. Bien que la plupart, surtout les jeunes et les valides, ne vivent pas dans les villages, mais dans les villes, où leur ethnie est minoritaire.
« Il est bon d'être un Nanaï dans un village nanaï et d'aller dans une école nanaï, mais peu de gens y parviennent. Et quand tu es le seul à être comme ça dans toute l'école, tout le monde considère qu'il est de son devoir de te rabattre les oreilles avec ça. C’était même comme une injure : "T’es quoi, un Nanaï, ou quoi ?" », témoigne Leonid Soungorkine, président de l'Association pour la protection de la culture, des droits et des libertés des minorités indigènes de la région de l'Amour.
Même la pêche, qui est le moyen de subsistance traditionnel de ce peuple et sa principale source de nourriture, est subordonnée aux réalités modernes. En Russie, la loi établit quels peuples autochtones ont le droit de pêcher et quelle quantité de poisson ils sont autorisés à capturer. Pour les Nanaïs, c'est 50 kilogrammes de poisson par pêcheur et par an et pour une famille nombreuse – 100 kilogrammes par an. Il s'agit de l'avantage le plus important qui, de l'avis des Nanaïs eux-mêmes, ne fonctionne presque pas. Les Nanaïs urbains ne peuvent pas se le permettre : ils n'ont pas de bateau, de filets, ils sont âgés ou ont un travail et pas le temps de pêcher. Pour autant, il n'existe pas de compensation financière pour la non-prise de poisson.
« Les Nanaïs se voient également accorder du bois pour construire une maison. Mais c'est aussi une histoire compliquée, car on vous donne ce bois quelque part au loin et vous êtes censés vous-même défricher la taïga, abattre les arbres, déblayer, préparer le terrain, transporter tous ces mètres cubes de bois et ensuite seulement construire la maison. C'est irréaliste », estime Soungorkine.
Cependant, certains Nanaïs ont trouvé un moyen de tirer parti de leurs origines. Dans les années 2010, ils ont commencé à développer l'ethno-tourisme, transformant leur culture en une attraction pour les touristes.
« Les voyages vers les lieux de peuplement nanaïs sont de plus en plus prisés. Nous travaillons sur cet axe depuis 2016, et l'envie de réaliser une telle excursion ne désenfle pas. Les gens viennent de partout : de notre région, des régions voisines, et même de Moscou [8 240 km de Khabarovsk] et d'autres régions occidentales de la Russie », explique Olga Pomitoun, représentante de l'agence Voyage à Khabarovsk.
Dans le village nanaï, on propose aux touristes de s’essayer au tir à l’arc, d'apprendre à cuisiner et de goûter des plats traditionnels, de s’adonner à des jeux nanaïs et d'acheter des objets d'artisanat local.
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