Un locuteur non natif du russe qui apprit et apprend aux Russes à maîtriser correctement leur langue
Outre sur Telegram, Fenêtre sur la Russie diffuse désormais du contenu sur sa page VK! Vidéos, publications dédiées à l’apprentissage du russe et plus encore dans notre communauté
Сomme Ditmar Rozental le disait lui-même, le russe était une langue qu’il avait « apprise ». Cela ne l’empêcha pas de lui consacrer plus de 400 articles scientifiques et manuels. Grâce à lui, plusieurs générations de locuteurs natifs ou non du russe purent et peuvent apprendre l’orthographe, la ponctuation, les règles de grammaire et de stylistique de la langue de Pouchkine.
Du polonais et de l’allemand au russe
Ditmar Rozental naquit en 1900 dans une famille juive de Łódź, ville de Pologne qui appartenait alors à l’Empire russe. Dans son entourage, on parlait yiddish, polonais, allemand. Son père avait travaillé en Allemagne et sa famille aimait ce pays. Ditmar Rozental maîtrisait ces trois langues depuis l’enfance.
Il fit des études de polonais et d’italien à l’Université de Moscou. Il consacra sa thèse à la langue de Dante puis l’enseigna aux agents de renseignement qui se formaient à l’École supérieure du NKVD (l’ancêtre du FSB). Ce n’est que plus tard qu’il s’intéressa comme linguiste au russe.
Il aborda d’abord aux questions liées à l’enseignement du russe comme langue étrangère.
« L’influence de Rozental fut globale. Il était membre de nombreux comités et organisations ». On doit cette constatation, citée sur le site Gramota.ru, à Vladimir Slavkine, collègue de Ditmar Rozental, doyen de la chaire de stylistique de la langue russe de la faculté de journalisme de l’Université d’État de Moscou. « Mais, c’était un chercheur qui ne restait pas enfermé dans son cabinet de travail. Il aimait réellement travailler au contact des gens ».
Lire aussi : Sergueï Ojegov, l’homme qui a réconcilié la science et le russe parlé
Fondateur de la stylistique appliquée
La devise de Ditmar Rozental était : « Parler correctement ». Pour que le plus grand nombre puisse le faire, il créa une nouvelle discipline : la stylistique appliquée du russe.
« Pourquoi cette discipline est-elle remarquable ? Elle s’adresse à des millions de locuteurs. On peut la définir comme la culture de la langue. (...) Elle enseigne l’art de pratiquer une langue dont la ponctuation et l’orthographe sont respectées », résume Vladimir Slavkine.
Grâce à Ditmar Rozental, des générations de journalistes apprirent et continuent d’apprendre à parler et écrire correctement. Il travailla comme consultant des présentateurs de la télévision et de la radio soviétiques. Il surveillait avec attention ce qui était dit sur les antennes, commentait de manière détaillée les erreurs pour éviter qu’elles ne soient répétées.
Ditmar Rozental publia plusieurs ouvrages à l’adresse des employés du secteur des media : Dictionnaire des difficultés de la langue russe, Guide de ponctuation, Guide d’orthographe et de correction littéraire, Majuscule ou minuscule ? Ces quelques références et bien d’autres devinrent les unes après les autres les livres de chevet des journalistes.
Intellectuel qui ne se prenait pas (trop) au sérieux
Ditmar Rozental était un homme extrêmement bien élevé et cultivé. Cela se remarquait même dans de petits détails. Mais il aimait plaisanter et ne manquait pas d’humour lorsqu’il parlait de ce qu’il faisait.
Dans les années 1980, les candidats à une place à la faculté de journalisme de l’Université d’État de Moscou devaient présenter à la commission d’admission des articles qu’ils avaient déjà pu publier dans différents journaux. Dans l’un écrit par une jeune femme, on lut : шотландское виски, bien que le manuel de Ditmar Rozental préconise un accord au masculin et non au neutre. Elle assura qu’elle le savait et que la rédaction du journal qui avait publié son article avait fait cette correction erronée.
Lire aussi : Sept cours de russe en ligne gratuits
« J’ai appelé Ditmar Eliachévitch chez lui et lui ai expliqué la situation. Je l’ai entendu sourire puis il m’a dit : "Qu’elle l’écrive ainsi, mais surtout qu’elle ne le mette pas au pluriel" » (au pluriel, les formes masculine, féminine et neutre de l’adjectif sont identiques – ndlr).
Toujours connu et reconnu
Plus de 30 ans après sa mort en 1994, Ditmar Rozental fait toujours autorité dans les domaines qui furent ceux de ses recherches. Ses manuels sont toujours les livres de chevet des étudiants en journalisme (et pas uniquement !). Et ce pour plusieurs raisons.
Beaucoup de ses affirmations sur la langue russe sont toujours d’actualité. Ditmar Rozental avait le don de prévoir les évolutions de la norme linguistique et comprenait ce que les locuteurs natifs feraient de leur langue plus tard.
Il voyait le russe comme un organisme vivant et n’hésitait pas à proposer des changements. Par exemple, фольга (feuille de métal) était la norme. Il suggéra фольга parce qu’il considérait que l’accent sur la seconde syllable était plus naturel pour une oreille russe.
Il savait comment présenter le résultat de ses recherches. Il n’aimait pas les formulations scientifiques, que tant de linguistes adorent, et préférait écrire de façon à être compris du lecteur lambda.
« Ditmar Rozental voulait que ceux dont le travail est de parler et d’écrire soient toujours conscients de ce qu’ils disent et écrivent et comment ils le disent et l’écrivent. Il espérait d’eux qu’ils aient une approche souple de leur langue. Nous essayons de maintenir ce précepte établi par Rozental dans notre apprentissage et notre enseignement de la langue », explique Vladimir Slavkine.
Dans cette autre publication, découvrez pourquoi la langue russe semble un peu effrayante aux étrangers.